La botte camarguaise, labellisée après la charentaise
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« 70% des marques qui n’incluent pas le développement durable dans leur charte sont vouées à disparaître dans les années à venir » d’après l’étude Meaningful Brands du groupe Havas. Mais toutes les entreprises ne sont pas au même niveau d’engagement en matière de durabilité. Néanmoins l’innovation progresse sur toute la chaîne de valeur de l’industrie du cuir, avec, au cœur des réflexions, la production de la matière qui pèse pour l’essentiel de l’empreinte sociale et environnementale. Alors comment choisir ses cuirs de référence en toute conscience ? D’où viennent-ils ? Comment sont-ils faits ? De quoi a-t-on besoin pour les transformer ? Riche de rencontres et d’expérience dans le cadre de la rédaction de notre magazine, je livre cinq pistes pour un sourcing responsable à la nouvelle plateforme suisse Good Brand Guru, qui à travers ses événements et activités, connecte les professionnels de l’industrie de la mode autour de ces enjeux incontournables.
Que ce soit à Hong Kong, Londres, Milan ou Paris, la question de la durabilité est de toutes les conversations. D’ailleurs les salons professionnels tels que Première Vision, Lineapelle et APLF anglent la plupart de leurs conférences sur ces sujets quand les entreprises consacrent la majorité de leurs investissements à la transition écologique. Mais bien que nous évoluions dans un milieu professionnel, en échangeant avec les plus jeunes je me suis rendu compte que certains d’entre eux ignorent tout de leur provenance, convaincus que nous élevons et abattons des animaux pour en faire du cuir ! Notre premier réflexe est de rétablir la vérité, et de leur rappeler que du jour où nous arrêterons de manger de la viande, le cuir disparaîtra. Ce n’est pas vrai pour toutes les espèces exotiques, dont l’élevage et la chasse, et la quantité d’individus sont soumis à quota et encadrés par la Convention de Washington. Dernièrement, les initiatives de valorisation de peaux de toutes sortes auparavant inexploitées se sont multipliées. Je pense aux poissons (thon, esturgeon, carpe, pirarucu) ou aux lapins issus de la chaîne agro-alimentaire. Et à l’entreprise britannique Billy Tannery, qui a trouvé des débouchés pour les peaux de chevreaux autrefois incinérées en collaboration avec Cabrito. Ce dernier achète de la viande de chevreaux aux fermes laitières qui prennent la peine de les élever jusqu’à sept mois pour une consommation locale plutôt que les abattre à la naissance ou les exporter. Dans cet esprit, en Mongolie, le label Aduu Mal a créé une filière de cuirs d’équidés à partir de peaux jusqu’ici délaissées. On voit même des peaux de crapauds valorisées d’une espèce devenue nuisible et invasive dans certaines régions du monde. À l’échelle globale 7,7 millions de tonnes de peaux seraient ainsi recyclées par les industriels de la tannerie chaque année (source FAO). En revanche, si le tannage peut se targuer de constituer la plus vieille activité de recyclage, l’industrie du cuir a encore beaucoup à faire sur toute la chaîne, à commencer par ses fournisseurs.
Du pré à la boutique, la route est longue et semée d’intervenants de tous bords. Entre l’éleveur qui peine à vivre de son activité et le consommateur de mieux en mieux informé et, de manière tout à fait légitime, de plus en plus exigeant, le créateur ou acheteur de cuir n’a pas le droit à l’erreur. À l’heure du sourcing responsable, quand bien même ce dernier n’a qu’une poignée de peaux finies à se procurer, il s’agit d’être là où le consommateur l’attend. Il veut s’assurer que tout est fait dans les règles, et par conséquent demande une traçabilité totale. Communiquera-t-on un jour sur l’existence de l’animal dont la peau s’est retrouvée sur un sac ? Décrédibilisés par les abus de certains maillons de la chaîne, il est probable que les professionnels aient à devenir de plus en plus transparents pour se distinguer des mauvais élèves. Nul ne peut rester de marbre face aux images de mauvais traitements d’animaux ou de forêts décimées pour laisser libre cours à l’élevage. À chacun de faire la part des choses, quand d’autres images sont retranscrites hors contexte. In fine, la montée de l’information fait bouger les lignes. Et des filières 100% durables et traçables s’organisent, mettant le bien-être animal au cœur de leur projet. C’est ainsi qu’aux Pays-Bas, la coopérative TLC (Trace your Leather Cooperative) favorise l’agriculture biologique et le développement durable. Elle a fédéré en une chaîne vertueuse des éleveurs de bétail labellisés bio (mais aussi de troupeaux qui paissent librement et se nourrissent exclusivement de ces pâtures) avec des tanneries et designers, désireux de savoir ce qu’il advenait de leur bétail. Certaines marques n’hésitent pas à remonter jusqu’aux fermes d’élevages pour assurer une production soucieuse de la condition animale. À l’instar du label français Le Cuir est dans le Pré qui travaille exclusivement le cuir de vaches nées et élevées dans des fermes de la Mayenne, de la Sarthe et de l’Orne, passant au moins 6 mois de l’année dans les pâturages. Cette chaîne vertueuse n’aurait été possible sans le concours de l’abattoir local (Teba-Pail à Pré-en-Pail) et d’un collecteur (ACPM – Alpes Cuir & Peaux du Midi) qui se charge ensuite de sélectionner les peaux correspondant à son cahier des charges.
En Europe, le transport et l’abattage des animaux est régi par des règles pour la protection et bientraitance animale. Pour aller plus loin, une éleveuse française a même levé 600 000 euros pour développer Le Bœuf Éthique, un circuit d’approvisionnement de viande et de peaux de qualité. Calqué sur les pratiques suédoises, son concept d’abattoir mobile pour bovins se rendra bientôt directement en ferme afin de leur éviter le déplacement. Mais les lois et usages ne sont pas les mêmes dans d’autres régions du monde. En 2019, un million de bovins nés en Europe étaient exportés hors de l’Union, subissant de longs trajets jusqu’au port d’arrivée ! Nous ne maîtrisons donc pas leur sort. Ces animaux paient le lourd tribut de la logique économique et de la mondialisation qui engendre des flux de bovins vifs d’un continent à l’autre. Nous sommes face à un dilemme entre deux équations antinomiques : tout avoir, n’importe où n’importe quand, si possible au moindre prix, et de manière responsable. Pour se prémunir, l’industrie du cuir doit mobiliser les abattoirs mais aussi les éleveurs de bétail et faire en sorte qu’ils aient des comptes à rendre. En France, le Comité de Développement Cuir Chaussure Maroquinerie Ganterie (CTC) travaille à un dispositif de marquage des peaux brutes en abattoir, qui résiste au processus de tannage, permettant d’évaluer les pratiques mises en œuvre dans les élevages. Inédit, ce prototype de marquage unitaire des peaux au laser s’intégrera dans la chaîne de façon automatique. En effet le CTC, en collaboration avec les tanneries, met en place un système de lecture du code par caméra afin de maintenir une traçabilité parfaite, du cheptel jusqu’à la finition et la commercialisation en cuir fini. La finalité : veiller au bien-être animal qui favorise une meilleure qualité des peaux. Déployé cette année sur les peaux de veaux, il est actuellement à l’état de prototype sur les peaux d’agneaux.
Ce qui vaut pour les animaux vaut également pour nos égaux. La pandémie actuelle ne fait que corroborer l’approche One Welfare One health, qui montre le lien entre la santé de l’homme, des animaux et de la planète. Une transition durable bien menée va de pair avec performance et rentabilité. Nombreux sont les acteurs qui développent des partenariats équitables avec leurs fabricants ou fournisseurs. Veja est sans aucun doute en France la marque pionnière et emblématique de cette philosophie. Partant du constat que la basket est l’un des produits les plus mal fabriqués, dans de mauvaises conditions sociales et environnementales, elle a placé le développement durable au cœur de son ADN. C’est en s’associant à des ONG et coopératives brésiliennes que la marque favorise la production bio et les salariés d’un pays émergent comme le Brésil, en apportant un soutien financier et une rémunération plus élevés aux producteurs engagés. La marque britannique Bottle Top et la tannerie bio de cuir de pirarucu Nova Kaeru partagent la même vision avec leurs partenaires. L’innocuité des produits envers les consommateurs et l’environnement est régie par la réglementation Reach qui, depuis 2007, recense, évalue et contrôle les substances chimiques fabriquées ou importées en Europe. Les fournisseurs européens ont donc l’obligation de s’y conformer mais certains, comme le fabricant de produits chimiques L’Officina, ont pris les devants en anticipant des restrictions plus fermes de leurs clients. À l’instar de la charte de bonne conduite du programme Zero Discharge of Hazardous Chemicals, dressée en 2011 par les géants de la mode et du luxe (Burberry, Coach, LVMH, Kering…). La liste de substances à proscrire est mise à jour tous les 6 mois, avec son nouveau lot d’interdictions. Par exemple, cette entreprise transalpine produisait déjà des films sans formaldéhyde pour ennoblir les cuirs avant que son usage ne soit illégal.
Comment produire en limitant la consommation de ressources et la génération de déchets ? Qui peut collecter et upcycler les rebuts de nature très variée à toutes les étapes de la chaîne ? Partis de ces problématiques, les transformateurs de cuirs ont, pour la majorité, leurs propres stations d’épuration afin de retraiter leurs eaux avant d’être dirigées vers celle de la commune. En Italie, dans le célèbre cluster de Santa Croce en Toscane, les tanneurs en grand nombre n’ont pas attendu les législations pour investir dans la construction d’une station commune, Aquarno. Bientôt un projet ambitieux verra le jour (« Tubone »), permettant d’intégrer la purification industrielle. Fruit d’un accord entre le ministère de l’Environnement italien, la région et les administrations locales, les eaux usées urbaines de 42 municipalités toscanes seront redirigées vers l’épurateur. Une fois affinées, ce dernier les restituera aux tanneries qui cesseront ainsi de puiser dans les nappes phréatiques. Un autre aspect essentiel réside dans la gestion et le traitement des déchets. Des initiatives et nouveaux débouchés voient le jour pour donner une seconde vie aux rebuts de l’industrie. Des déchets à base d’agents tannants végétaux sont réemployés comme fertilisants. Les conteneurs en plastique pour l’emballage ou la conservation des peaux en crust qui couvrent les palettes sont recyclés. Les copeaux et chutes de cuir sont broyés et agglomérés sans additif et transformés en de nouveaux matériaux comme le cuir upcyclé de Recyc Leather, le fil de cuir à tisser zéro déchets d’Atko Leather ou les objets design de la start-up française Authentic Material. Dans un autre registre, des nouvelles filières de sourcing s’ouvrent grâce à la conscience de professionnels de la production, qui, après leur expérience passée en tant que salariés de grandes marques, se mobilisent pour libérer les stocks dormants de cuir en créant des ressourceries d’un nouveau genre à destination des créatifs.
En octobre, les ministres de l’Agriculture de l’Union européenne se sont mis d’accord sur une réforme de la politique agricole commune (PAC) dont les aides seront plus largement consacrées aux éco régimes, c’est à dire l’agro-foresterie, l’agriculture biologique et les exploitations qui vont au-delà des normes environnementales de base, seront gratifiés de fonds supplémentaires. À suivre.
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Rédaction Juliette Sebille pour la plateforme professionnelle goodbrand.guru
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