Le cuir marin : une matière pleine d’avenir

Silhouette Courrèges printemps-été 2020, veste en cuir de pirarucu en partenariat avec Instituto-e - Photo © Alain-Gil Gonzalez.

Saumon, perche, bar, morue, truite, loup de mer ou encore carpe. Jamais le champ des possibles n’a été aussi large autour des cuirs de poissons. Marché de niche et matière écoresponsable, le cuir marin fait de plus en plus d’adeptes. Plongée en eaux bouillonnantes !

Il y a parfois des événements inattendus qui donnent naissance à de belles idées. Ainsi, dans les années 1990, en Islande, face à un faible approvisionnement en peaux d’agneaux, une tannerie se tourne alors vers la matière première la plus foisonnante dans le pays : les peaux de poissons. « Tout a démarré tel un projet parallèle, explique Sigurlaug Eysteinsdóttir, la fille des fondateurs de la tannerie, aujourd’hui Directrice Commerciale d’Atlantic Leather. Et contre toute attente, les résultats ont tout de suite plu même s’il a fallu de nombreuses années de travail pour que ces petites peaux, au début dures et malodorantes, deviennent de sublimes cuirs souples. » Atlantic Leather est donc fondée en 1995 afin de se consacrer entièrement à cette typologie de cuirs. Pour autant, les vrais premiers produits de qualité pouvant être commercialisés  sont arrivés cinq ans après.

Sac Kelly Locke en cuir de poisson tilapia aux écailles cycloïdes et lisses. Encore méconnu en Europe il figure pourtant parmi les poissons les plus consommés au monde.

Des déchets devenus produits de luxe

Le cheminement est tout aussi inattendu lorsque l’on interroge l’un des trois co-fondateurs de la toute jeune société Ictyos Cuir Marin de France, née en août 2019. « Le déclic est venu au restaurant, confie Benjamin Malatrait. Il y a le cuir bovin, les cuirs exotiques, pourquoi n’existe-t-il pas de cuir de poisson ? » Ni tanneurs de profession, ni professionnels de la pêche, mais ingénieurs chimistes, le trio se lance le défi de faire de cette ressource inexploitée venue de l’industrie agro-alimentaire une matière de luxe. Trois années de recherches, de mise en place d’une filière et de financement participatif plus tard, la tannerie est mise sur pied dans la région de Lyon à Saint-Fons. « La première  ouverte en France depuis 40 ans », souligne fièrement Benjamin Malatrait. Peaux de saumons, de carpes et dès 2020 d’esturgeons, l’idée d’Ictyos Cuir Marin de France est de proposer chaque année un nouveau cuir de poisson. « Nous produisons d’ores et déjà 1 000 à 4 000 cuirs de poissons par mois, mais nous allons augmenter nos capacités de production », poursuit le co-fondateur.
« Pour nous, le cuir de poisson n’est pas un effet de mode, c’est un produit à part entière qui vient compléter la filière cuir existante. 

L’engouement pour les matières responsables

Et les marques comme les créateurs commencent à s’intéresser de près au cuir marin. Ainsi, à la dernière fashion week de Paris, en précurseur, Courrèges a notamment présenté une veste en cuir de pirarucu (plus gros poisson d’eau douce d’Amérique du Sud) et a rehaussé d’autres pièces de détails avec la même matière. Certes, vendu à des prix supérieurs au cuir bovin, il s’impose comme une alternative aux cuirs exotiques et surfe sur la consommation écoresponsable. Ainsi, les cuirs de poissons, issus des déchets de l’industrie agroalimentaire prônent le zéro déchet. Ils peuvent être aussi bien tannés de façon minérale, bio que végétale, ces deux derniers modes de tannage étant exempts de chrome ou de métaux lourds. « Présente à l’occasion  du dernier salon Première Vision Leather sur l’espace Smart Création dédié aux exposants associant créativité, innovation et durabilité, Ictyos Cuir Marin de France a remporté un gros succès, confirme Marina Coutelan, Responsable Mode pour ce département. Le cuir de poisson répond à 100 % au principe d’éco-circularité que l’on prêche actuellement. C’est une boucle vertueuse car elle réutilise des déchets. Bien sûr cela reste encore une niche car il y a encore peu d’acteurs sur ce marché, mais qui fait beaucoup parler d’elle. La consommation écoresponsable, même chez les professionnels, n’est plus un effet de mode, en 2019 nous avons véritablement mis les deux pieds dedans. » 

Un mouvement de fond donc que confirme l’étude récemment réalisée par l’Institut Français de la Mode dans le cadre de la Chaire IFM – Première Vision, sur l’ensemble de la filière. Du sourcing matière au consommateur, en passant par l’industrie textile et la confection, la  quête  est aux produits plus responsables ; alors que les consommateurs sont très fortement guidés par la composition de leurs vêtements ou accessoires et privilégient les fibres naturelles et les matières premières recyclées quand ils le peuvent et quand ils en ont connaissance. Et sur ce marché, le cuir marin a de nombreuses cartes à jouer : les procédés de tannage (traitement de la peau) peuvent être bio ou végétaux ; une certaine traçabilité des peaux est garantie ; tout comme les ovins et bovins, les poissons ne sont pas tués pour leurs peaux mais celles-ci proviennent de l’industrie agro-alimentaire ; enfin, les processus de production durables sont privilégiés (sourcing local, réutilisation de l’eau, traitement et réutilisation des déchets…). Une filière qui s’annonce prometteuse !

QUEL CUIR DE POISSON POUR QUEL USAGE ?

Atlantic Leather, Ictyos Cuir Marin de France, Nova Kaeru, Mégisserie de la Molière, Kotaï mais aussi des ateliers plus artisanaux comme Femer ou Lohi, chaque entreprise a ses propres recettes et surtout développe son propre style. Voici quelques cuirs marins à découvrir :

LE SAUMON : CLASSIQUE ET POLYVALENT

Pêché dans l’Océan Atlantique ou élevé dans des fermes piscicoles en Écosse, en Norvège, au Canada ou au Chili, le saumon est un des poissons les plus consommés au monde. Mince, flexible et résistant, le grain de ce cuir est lisse et raffiné. Point fort : il prend très bien la couleur. Les teintes peuvent être vives et régulières ou au contraire très subtiles. On peut même obtenir du cuir de saumon blanc éclatant. Actuellement, c’est l’un des classiques du marché qui se prête à de multiples usages. Épaisseur de la peau : 0,6 mm.

LE LOUP DE MER : EFFET LISSE ET TACHETÉ

Espèce qui vit en eau profonde, le loup de mer provient d’Islande. Son cuir possède deux caractéristiques uniques : un motif tacheté sombre qui parcourt sa peau et lui donne l’aspect d’un cuir exotique, et un corps lisse et doux car complètement dépourvu d’écailles. Quelle que soit la couleur de finition, le motif tacheté du cuir de loup de mer est toujours brillant sauf en noir. Utilisation : maroquinerie, souliers, détail de grosses pièces. Épaisseur de la peau : 0,8 mm.

LA PERCHE : RUGOSITÉ ET ASPECT BRUT

Grandes et épaisses, les peaux de perche n’ont rien de délicates. Cependant, leur côté sauvage donne un cuir à la texture rugueuse au caractère unique proche de peaux exotiques. Si on laisse les écailles ouvertes, le cuir a une texture naturelle et brute. À l’inverse, il peut également se faire lisse en fermant celles-ci avec du vernis. Le cuir de perche convient aussi bien pour des coloris clairs et foncés. Il prend de l’éclat combiné avec des finis métallisés qui intensifient les motifs de la peau et se prête à de nombreuses utilisations. Épaisseur de la peau : 0,8 mm.

LE THON : RAFFINEMENT ET ULTRA RÉSISTANCE

Lancé en septembre 2018, après deux années de recherches et développement entre le Groupe Barba et la Mégisserie de la Molière, le cuir de thon Pantuna® est issu d’un mode de pêche respectueux certifié MSC (Marine Stewardship Council). En matière de prêtant, le cuir obtenu peut être plus ou moins souple, de tannage végétal ou minéral. Les écailles lisses, avec un très beau relief, offrent de multiples débouchés : maroquinerie, petite maroquinerie, bracelet de montre, prêt-à-porter (en empiècement ou liseré lavable en programme laine). On peut également tresser le cuir ou en faire des chaussures.

LA MORUE : SOUPLESSE ET FINESSE

Le cuir de morue est l’un des cuirs de poisson les plus fins. Une caractéristique qui ne l’empêche pas d’être très résistant et souple. L’intérêt dans son grain réside dans une gamme délicate de motifs due à sa surface très irrégulière. Rugueuse, celle-ci peut être lissée en appliquant un vernis qui lui donne un aspect soyeux. Peu réceptif à la couleur, le cuir se décline surtout dans des teintes sombres. Utilisation : maroquinerie et petite maroquinerie. Épaisseur de la peau : 0,4 mm.

LA RAIE : PRÉCIOSITÉ ET HAUTE RÉSISTANCE

À mi-chemin entre le cuir et le minéral, les peaux de raies à aiguillon « Stingray » donnent le fameux cuir de galuchat. Rare et précieux celui-ci est probablement le cuir le plus résistant de la planète (indice de 4 sur l’échelle de Mohs, soit 20 fois plus qu’un cuir de vachette), il présente un aspect lisse qui laisse apparaître de petites rangées de perles blanches scintillantes (une à deux zones par peau). Utilisation : principalement en maroquinerie, mais aussi ceintures, bracelets de montre, sans compter l’ameublement. Épaisseur de la peau : autour de 0,7 mm, mais variable car celle-ci est poncée afin d’obtenir une surface parfaitement plane et polie pour un toucher lisse.

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Rédaction Céline Vautard

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