Le cuir de chevreau
en circuit court
de Billy Tannery

À l’heure où le développement durable et l’éthique sont devenus des enjeux majeurs pour une filière cuir structurée autour d’entreprises centenaires, de nouveaux acteurs placent ces préoccupations au cœur même de leur raison d’être et de leur modèle économique. Lancée en 2017 par Jack Millington et Rory Harker, Billy Tannery est sans aucun doute emblématique de ce mouvement qui anime une nouvelle génération d’entrepreneurs et d’artisans. Partis du constat que la quasi-totalité des peaux de chevreaux élevés en Grande-Bretagne quittaient leur territoire, les deux associés ont voulu agir en valorisant ce co-produit de qualité au niveau local. C’est dans leur région natale des Midlands, à deux pas de leurs fournisseurs et des ateliers qui transforment leurs cuirs en accessoires luxueux, qu’ils ont installé leur mégisserie. Jack Millington nous en a dévoilé les rouages.

Lancée en 2017 par Jack Millington et Rory Harker grâce au financement participatif, Billy Tannery a ouvert la première mégisserie depuis 50 ans en Grande Bretagne de cuir de chevreau qui prône le circuit court et l’artisanat local.

Remettre la viande de chèvre au goût du jour

Jack a grandi sur les terres du Leicestershire où son père élevait des vaches laitières et possédait un cheptel d’une centaine de chèvres. Il y est resté attaché et y retourne en 2013, alors que travaillant à Londres dans le marketing, il cherche un nouveau projet dans lequel s’impliquer. Dans un premier temps il aide son père à commercialiser la viande de chèvre de son élevage aux restaurants alentours. C’est à cette époque qu’il fait la connaissance de James Wethlor, le fondateur de Cabrito, qui fournit de prestigieux restaurants du Royaume-Uni en viande de caprins britanniques issus de fermes laitières. Car pour faire du lait, il faut des chevreaux. Mais une fois nés, les exploitations se voient contraintes de se débarrasser au plus tôt des jeunes mâles inutiles à leur activité s’ils ne trouvent pas preneurs auprès de la filière viande, essentiellement à l’export. À une époque où les ressources se font plus rares, où la durabilité et l’éthique ont la primeur dans bien des domaines, à commencer par nos assiettes, James Wethlor a pris le parti depuis 2012 de valoriser ce mets auprès de la clientèle nationale. Face à une consommation marginale en Grande-Bretagne, les influences des cuisines indienne et caribéenne l’ont aidé à toucher la nouvelle garde de chefs britanniques et à mettre le chevreau au menu des tables les plus créatives. 

Créer une micro-tannerie écologique et éthique

Le déclin de l’industrie du cuir britannique dans les années 80-90 a laissé peu d’acteurs présents et aucun pour s’intéresser aux peaux de chèvres revendues à des tanneries étrangères. Inspiré par l’expérience de James Wethlor, Jack Millington décide de trouver un moyen de prolonger sa démarche. Il commence à travailler depuis Londres sur le projet de création d’une mégisserie avec son ami d’enfance, Rory Harker, qui évolue à l’époque dans le design graphique. Laisser une empreinte minimale sur l’environnement est une préoccupation essentielle pour les deux fondateurs, qui souhaitent produire des peaux de tannage végétal.  Totalement novices dans le travail du cuir, ils se tournent vers l’Institute for Creative Leather Technology (ICLT) de Northampton, situé à proximité de la ferme dans laquelle ils vont s’installer. Ils y reçoivent l’aide de Chris Barnard et Paul Evans, qui les conseillent sur l’installation d’une « micro tannerie », produisant de petites quantités dans des bains à base de tanins de mimosa. Colin Clark de Beamhouse Engineering, trouve et installe tout l’équipement dont ils ont besoin, y compris des foulons en bois anciens et Richard Daniels développe pour eux un système de retraitement des eaux usées. Après chaque opération, 90% des liquides sont pompés et stockés dans des réservoirs avant d’être réutilisés pour le bain suivant, limitant grandement les rejets. L’eau qui ne peut être recyclée est traitée sur le site, épurée et utilisée comme engrais sur les terres de la ferme. Un circuit fermé totalement vertueux à l‘impact positif tangible.

Billy Tannery achète ses peaux brutes auprès de Cabrito, qui fournit de prestigieux restaurants du Royaume-Uni en viande de caprins britanniques issus de fermes laitières.

Garantir la traçabilité totale des peaux

Billy Tannery se fournit en premier lieu auprès de Cabrito, lui permettant de remonter jusqu’à la ferme ayant élevé les chèvres. Le développement de l’activité l’a, depuis, conduite à faire appel à d’autres fournisseurs, tous britanniques et géographiquement proches. Les peaux sont en général un peu plus grandes que celles d’origine étrangère, les animaux provenant de fermes appliquant des règles sanitaires strictes et de bonnes pratiques en matière de bien-être animal. Soignés, ces derniers présentent des peaux qui n’en sont que plus belles avec moins de défauts (cicatrices dues aux barbelés, piqûres de parasites…).

Se lancer grâce à l’économie participative

En 50 ans, Billy Tannery est la première mégisserie à voir le jour en Grande-Bretagne ! Un projet ambitieux pour lequel les recherches de ressources trésorières classiques auraient pu se révéler ardues. C’est donc vers le financement participatif que les deux associés se sont orientés : une initiative impliquant les consommateurs finaux, en phase avec leur volonté de produire à petite échelle, les plaçant dans le mouvement de « Slow Economy », qui privilégie la préservation des savoir-faire et la production locale. Confortés par les quelque 35 000 euros qu’ils ont levés en six heures grâce à leur première campagne en 2017 auprès des particuliers, le duo s’installe. Si le projet initial était de créer uniquement une tannerie, très rapidement, pour des raisons financières, mais aussi pour exploiter au maximum leurs compétences en design et en marketing, Jack Millington et Rory Harker décident de créer leur propre ligne de produits. Grâce à cette intégration verticale, ils gagnent en flexibilité et liberté. Rory dessine les collections tandis que la fabrication est confiée à deux ateliers du Somerset et du Leicestershire. La gamme s’étend du sac à dos doublé de coton avec fermeture roulée sur le dessus à 766 euros, au porte-clés à 29 euros en passant par le tote bag à 455 euros et le tablier en cuir à 271 euros.

Promouvoir leur cuir de chevreau auprès des marques

La majorité de leur production de peaux est dédiée à la réalisation de leurs produits, une tendance qu’ils font doucement évoluer grâce à l’expansion de collaborations avec des créateurs, permettant de démontrer la qualité et la versatilité de leurs cuirs. Des sneakers ont été développés en édition limitée pour la deuxième année consécutive avec Crown Northampton, cinquième génération de fabricants de chaussures qui se situe à 25 miles de la tannerie. D’autres partenariats notables avec des restaurants et hôtels de luxe, tels que Silo et Thyme Hôtel dans les Cotswolds, leur permettent de gagner en visibilité. La chèvre possède un grain assez prononcé qui varie avec chaque peau. Cet aspect est conservé lors du tannage et surtout des finitions semi-anilines et anilines très naturelles réalisées par un atelier du Northamptonshire. Billy Tannery présente une gamme colorielle classique, allant du naturel au noir en passant par le vert sapin, le bleu marine et le brun profond, dans un cuir pleine fleur souple. Elle a récemment lancé une gamme de cuir velours qu’ils développeront au cours de l’année 2020.

Cette année, Billy Tannerie doit également se relocaliser car la ferme dans laquelle elle se trouve a été vendue. Les entrepreneurs vont rebondir sur cette occasion afin d’emménager dans un autre site de la région, leur offrant la possibilité d’augmenter leur volume de production. Le succès de leur nouvelle campagne de financement participatif les encourage à voir l’avenir en grand et à développer de nouveaux produits et des projets en design de meubles et décoration.

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Rédaction Hélène Borderie

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