Sylvie Bétard, consultante en économie circulaire et fondatrice de l’Upcyclerie

Sylvie Bétard, consultante créative upcycling & économie circulaire, accompagne les entreprises, parmi lesquelles les grandes maisons de luxe, afin d’identifier leurs déchets et imaginer ce qu’ils pourraient devenir.

Photographe de formation, Sylvie Bétard a orienté son travail autour des relations entre l’art et l’écologie. Aujourd’hui consultante créative upcycling & économie circulaire, elle accompagne les entreprises, parmi lesquelles les grandes maisons de luxe, afin d’identifier leurs déchets et d’imaginer ce qu’ils pourraient devenir. Sylvie Bétard travaille ainsi au cas par cas, cherchant pour chaque déchet une solution de ré-utilisation artistique ou, plus fréquemment, artisanale et industrielle. Elle revient pour nous sur son parcours, sur ses sources d’inspiration et sa vision du zéro déchet et de l’upcycling au quotidien. Itinéraire d’une femme engagée.

Pouvez-vous nous présenter votre parcours ?

« J’ai fait des études professionnelles en photographie avant d’intégrer l’Université Paris 8 Saint-Denis en Photographie puis en Esthétique de l’art contemporain. À la suite de ma Maîtrise, j’ai terminé mon parcours par un Master Pro en Management des entreprises culturelles. Cela m’a permis de travailler sur la question de la production artistique et culturelle. En sortant de l’université, je me posais des questions sur ce que j’avais réellement envie de faire, j’ai choisi un emploi qui me permettrait de prendre le temps de réfléchir. J’ai intégré une petite agence de production photo & film pour la publicité. C’était loin de mes principes mais j’ai beaucoup appris, notamment sur la méthodologie de travail. Pendant ce temps, j’ai continué à travailler sur les relations entre art et écologie et j’ai pu commencer à écrire le projet de La Réserve des arts. »

Comment en êtes-vous venue à l’environnement et à l’écologie ?

« Je pense avant tout à mon éducation, à l’environnement dans lequel j’ai grandi. Je suis issue de familles d’agriculteurs et d’éleveurs depuis des générations. Quand bien même ils ont connu l’évolution de l’agriculture quasi-intensive pour s’en sortir, à la maison, les principes de bon sens étaient évidents : bien-être, non-consommation et manger sain. Cette éducation familiale a resurgi lorsque j’ai commencé à travailler sur les questions de protection dans l’art contemporain nordique en Maîtrise (ex Master). J’ai abordé cette notion de protection (identitaire, environnementale, poétique…) au moment où la scène internationale de l’art contemporain annonçait de grands événements et la création de structures dédiées à ce sujet (Arts & Ecology à Londres, la Biennale de Sharjah de 2006 aux E.A.U.…). Puis à Paris, j’ai fait la rencontre de Frans Krajcberg, artiste polonais naturalisé brésilien qui a un espace d’exposition dédié dans le Chemin du Montparnasse (14e). Krajcberg est arrivé au Brésil au tout début de la déforestation et il a dédié toute son œuvre, sa vie à ce sujet. Ce lieu m’a tout de suite interpellée car j’y voyais un formidable espace d’expression alors que la programmation y était quasi-inexistante. Pourtant l’œuvre plastique et écrite de Frans Krajcberg est immense et méconnue. En 1978, il fait venir Pierre Restany en Amazonie et ils co-signent le Manifeste du Naturalisme intégral (réédition : le Nouveau Manifeste du Naturalisme intégral, éditions Wildproject, 1978-2013), un texte phare qui invite à envisager l’écologie comme une révolution culturelle et qui m’inspire encore. »

Comment est née La Réserve des arts ? Avec quelles ambitions ?

« Après avoir passé un an à programmer des conférences et expositions au sein de l’Espace Krajcberg, j’avais besoin de passer à une action concrète, à cette révolution culturelle ! Ou plus modestement à poser une pierre à cet édifice en devenir. J’avais proposé à Jeanne Granger – qui était dans ma promo en dernière année de fac – de venir travailler avec moi, et il nous paraissait évident que nous devions apporter une solution au niveau de la production. J’avais un peu d’expérience en production événements culturels et la question du matériau et de son sourcing était centrale, primordiale. Cela déterminait directement la façon de produire. Nous avions comme exemple Material for the Arts à New York et nous nous sommes inspirées de cette structure pour imaginer un modèle adapté à notre territoire. »

Depuis 2012, vous êtes consultante créative upcycling & économie circulaire. Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste votre métier ?

« Je me suis rendue compte que ce qui manquait le plus au sein des entreprises, c’était d’imaginer ce que pouvaient devenir les déchets. On pourrait presque parler de « déni » lorsqu’on pose la question « quel type de déchets avez-vous ? » … « quasi rien » … La notion créative consiste donc à observer (par un diagnostic précis) les déchets, à comprendre leur flux et imaginer ce qu’ils pourraient devenir au sein même de l’entreprise ou au sein d’un réseau de distribution extérieur. Dans ce cas, il peut m’arriver de m’entourer de compétences très diverses : designers, architectes, urbanistes, paysagistes…
Je réponds aussi aux besoins de création de produit, d’objet, venus d’entreprises qui ont un besoin ponctuel sans avoir la ressource-matière. Je vais donc sourcer la matière à valoriser et créer un design spécifique. »

Vous avez fondé l’Upcyclerie en 2012. Parlez-nous de ce projet.

« C’est intéressant de mentionner la date de création du projet car après plusieurs années assez calmes et laborieuses disons, ce que nous vivons depuis un an c’est absolument excitant. En 2012, on parlait de « développement durable », et de sensibilisation des équipes. Depuis peu, on parle de « transition écologique » et de solutions concrètes. Il s’agit désormais d’accompagner une conduite du changement (conséquence d’une révolution culturelle en cours ?). Il ne s’agit plus de « communication » mais bien de viser le zéro déchet en trouvant de nouvelles utilités-augmentées. De ce fait, les missions ont bien entendu évolué : comprendre ce qui est déjà en place, comment déranger tout ça, quels sont les besoins d’achats, et surtout : qui et comment va-t-on fabriquer ces nouveaux produits et matériaux ?
En somme, je créé ce lien entre le gisement de déchets et les upcycleurs. Cela nécessite beaucoup de veille sur les innovations techniques, sur les désirs d’évolution des industriels et sur la créativité ambiante. »

Quelle valeur ajoutée par rapport à La Réserve des Arts ?

« La Réserve des arts gère physiquement des déchets, rebuts, stocks morts…. et propose un service de collecte ponctuel ou régulier pour le mettre à disposition des professionnels de la création au quotidien. Elle assure au secteur culturel un lieu de ressources et d’inspiration inépuisable.
À l’Upcyclerie, il n’est pas question de stocker de la matière. Nous travaillons au projet, au cas par cas, donc un déchet doit trouver sa solution de ré-utilisation. Elle peut être artistique pour un gisement exceptionnel, mais elle est principalement artisanale ou industrielle. Trouver une solution peut prendre quelques semaines ou des mois, en fonction de la recherche et des tests à réaliser avant d’arriver au matériau souhaité. Je pense précisément au développement d’un papier pour une grande marque de maroquinerie. Nous essayons d’intégrer un de leur déchet textile dans un papier qui leur serait dédié. L’objectif étant qu’ils puissent l’utiliser autant au niveau des produits finis que de leurs usages internes. Nous travaillons sur le sujet avec un industriel du papier depuis 9 mois et commençons à obtenir de premiers échantillons concluants. Le résultat final se doit d’être à la hauteur de la qualité, de l’esthétique et de l’image de marque de l’entreprise. »

Qui sont vos clients ?

« Je travaille principalement avec des grandes maisons de luxe. Ce n’est pas un hasard car elles ont intégré depuis longtemps la valorisation de leurs matières nobles et fabriquent en France. Mais je travaille aussi avec des marques écoresponsables, des entreprises du BTP, des lieux culturels, des fabricants d’équipements sportifs, des fabricants de matières non recyclables, c’est très vaste. »

Quels services leur proposez-vous ?

« Je leur propose toujours un parallèle important : qualifier et quantifier la nature même de leurs déchets tout en visant à répondre à leurs besoins en achats. Réussir ce challenge est le scénario idéal ! Cela passe par un diagnostic qui donne lieu à des propositions de solutions. Ces solutions, je les source, je veille en permanence, sur l’activité des designers, des artisans, des nouvelles TPE qui créent de l’innovation matière ou de l’industrie, capables et décidées à intégrer de nouveaux process dans leur chaîne de fabrication. Je suis le projet d’un bout à l’autre de la chaîne pour garantir à mon client le produit final et la durabilité de la production s’il y a lieu. »

Parmi les matériaux upcyclés, recyclés, figure le cuir. Quel est votre rapport à cette matière ?

« On parle de peau, donc de toucher, de sensation mais aussi d’humilité. Le cuir a été la première matière upcyclée par l’homme. On tue un animal pour se nourrir alors tout doit avoir une utilité jusqu’au moindre centimètre. Je suis plutôt effarée des alternatives dites « responsables » comme les cuirs synthétiques (vegan) qui sont en réalité issus de l’industrie pétrochimique. »

Le cuir fait-il partie des matériaux que vous upcyclez le plus ?

« J’aimerais beaucoup ! Il y a tant à faire. Souvent les marques qui utilisent le cuir ne pensent « cuir » que pour les produits finis. Alors que les chutes de production pourraient être valorisées en interne de bien des manières. La plupart du temps, c’est le manque de communication et d’interaction entre les services des grandes marques qui bloque ces initiatives. Mon rôle est aussi là, mettre tout le monde autour de la table pour viser une gestion intelligente des ressources internes. »

Parlez-nous de votre travail du cuir : d’où viennent les cuirs que vous upcyclez ? Quels types de cuirs upcyclez-vous ? Avec quelles contraintes ? Pour quelles réalisations (produits fonctionnels et/ou artistiques) ?

« J’avais créé une marque de papeterie haut de gamme écoresponsable il y a quelques années et évidemment, j’y mettais toutes mes compétences en matière d’upcycling et d’objectif zéro déchet. Lorsque nous avions évoqué l’idée d’un sous-main de bureau dans la gamme de produits, il ne pouvait être qu’en cuir upcyclé ! À ce moment-là, j’étais en contact avec Virginie Ducatillon qui créait Adapta et nous avons été son premier client ! Je peux aussi citer un exemple qui n’a pas encore vu le jour mais qui est assez emblématique. Une grande marque de mode m’a appelée car la direction venait tout juste d’annoncer la fin de la commercialisation des peaux exotiques. Pas de chance, le SAV du service joaillerie venait de remplir les stocks de bracelets de montre. Que faire de ce stock invendable, luxueux, précieux mais finalement en toute petite quantité ? Nous avions envisagé de le transformer en objets de bureau pour les employés de la marque. »

Qu’est-ce qui vous inspire ?

« Les mauvaises pratiques ! Je n’ai jamais vraiment travaillé en entreprise, cela me donne une certaine liberté de réflexion et d’action. Je peux déranger parfois, j’en ai conscience, mais c’est bien là, la clé du changement. Ça ne paie pas toujours, mais je suis sûre que c’est la manière de faire, sinon on tombe dans le greenwashing. Ce à quoi je me refuse. Je suis capable de refuser un projet si je vois qu’on commence par réfléchir à « comment on communique sur le sujet » et qu’il faut lancer un communiqué de presse la semaine suivante. Plus généralement, ce qui m’inspire c’est l’art et la créativité. L’art car ce sont les artistes qui inspirent le monde, qui dérangent nos consciences, notre perception. Nous n’en avons pas conscience mais tellement de sujets et tellement d’objets sont inspirés des créations artistiques. Et la créativité pour ce que les femmes et les hommes d’aujourd’hui sont capables d’inventer et de mettre en œuvre pour trouver des solutions viables ou même expérimentales ! Il faut absolument donner la chance aux entrepreneurs, aux designers de développer leurs innovations. Le rôle de l’État, des banques, des investisseurs et des fabricants eux-mêmes est essentiel dans cette évolution. On sait combien il est compliqué pour une start-up sortie des sentiers battus (la tech, la finance, et toutes ces industries dites ultra-rentables rapidement) de trouver des financements rapidement. Les institutions publiques et privées doivent financer de la recherche & du développement pour voir naître les matériaux de demain. Cette conviction-là m’habite profondément. On est un peu pris par le temps… »

Comment sensibilisez-vous à l’upcycling au quotidien ?

« L’upcycling relève de la créativité et de l’innovation. Au quotidien, c’est notre créativité qui doit s’activer. Rien ne se perd, c’est certain. Mais que faire de ce qu’on stocke, de ce qui tombe en panne, se déchire… ? Il est important de sensibiliser à la création, au faire soi-même. Autrefois dans les écoles, on apprenait à coudre, à bricoler, à cuisiner, à jardiner… Autant de notions essentielles en réalité pour pouvoir upcycler soi-même, viser une certaine autonomie et éviter de sur-consommer. Leur disparation des programmes scolaires a participé à notre déconnexion à la nature et à la vie simple. Aujourd’hui, ces activités ne sont réservées qu’aux écoles alternatives.
À cela je rajouterais qu’il faut sensibiliser au beau, à une certaine culture visuelle. L’esthétique-palette a fait son temps, il faut rendre les objets désirables, sexy, intemporels ! Il n’est surtout pas nécessaire de voir qu’un objet est upcyclé-recyclé-ré-employé… Ce n’est pas cela qui compte. La notion du beau implique également l’intemporalité, clé de la durabilité. »

Quels sont vos projets pour les mois à venir ?

« Voir aboutir ce papier upcyclé tout en faisant en sorte qu’il intègre l’ensemble des besoins de l’entreprise en question ! C’est un objectif maintenant à assez court terme.
J’étudie en ce moment des solutions pour beaucoup de matériaux différents : des ballons de foot, des déchets de grandes surfaces de bricolage, des déchets de chantier, du PVC qui contient du chlore, des vêtements de travail… Les mois à venir vont être denses. Je crois que beaucoup d’entreprises ont compris maintenant que leurs déchets n’avaient plus de raison d’être dans ce nouveau monde qui se prépare et arrivent enfin à débloquer des budgets pour cela. Une des réponses à la crise climatique, sanitaire et sociale que nous traversons réside dans ces solutions en devenir. »

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Propos recueillis par Garance André
Photo © Marion Parez

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