Nova Kaeru,
cuir de pirarucu bio équitable, made in Brésil

La couleur est travaillée en surface avec des pigments naturels, les nuances n’en sont que plus vibrantes.

Comment un cuir, peut-il influer sur le mode de vie d’une communauté enclavée dans les profondeurs de la forêt amazonienne ? Réponse avec Paulo Amaury, co-fondateur de Nova Kaeru, la tannerie brésilienne de cuir de pirarucu.

Pirarucu ? Quèsaco ?

Littéralement « poisson rouge », cette espèce, unique en son genre, est endémique de la rivière Amazone. Très populaire, pour ne pas dire vital, ce poisson n’est pas un simple poisson, car la vie de nombreuses communautés en dépend depuis des siècles. Avec une envergure de deux mètres de long et un poids moyen de 100kg, c’est dire s’il peut combler les appétits ! Il se distingue par sa peau aux larges écailles légèrement rougeâtres, que Nova Kaeru s’attelle à ennoblir depuis une petite dizaine d’années.
Retour au nouveau millénaire, il y a une vingtaine d’années, quand le co-fondateur de la tannerie, Eduardo Filgueiras, commence à travailler les peaux de crapauds, d’une toute autre dimension, pour en faire du cuir. C’est alors qu’il réussit à mettre au point un procédé, breveté, pour les assembler entre elles sous forme de panneaux, élargir les champs d’application et valoriser ces coproduits de l’industrie alimentaire. Puis il développe des cuirs de poisson et s’associe à Paulo Amaury pour former Nova Kaeru – « nova » signifiant « nouveau » ; « Kaeru » « grenouille » et « bonne étoile » en japonais. « À cette époque, le tannage bio n’était pas commun, mais nous avions toujours eu envie de proposer quelque chose de différent » se souvient Paulo Amaury. Aujourd’hui l’ADN de la tannerie, basé sur une offre de cuirs alternatifs de tannage bio demeure intact.

Environnement, économie et éthique

Et pourtant, il y a 8 ans quand ils ont commencé à produire du cuir de pirarucu, le principal obstacle était culturel dans la mesure où sa conception a impacté les habitudes des communautés indiennes. Les peaux étaient jetées car le poisson vient d’une région très reculée de la forêt amazonienne, enfer vert, chaud et humide, à plus de 600km à la ronde des premières villes. Alors il a fallu organiser leur collecte, une véritable aventure en soi. Développer une relation privilégiée, avec ces communautés était le point de départ sinon central du projet. Précurseurs en la matière, de petites sociétés de l’industrie alimentaire les ont rejoints par la suite. Les tribus autochtones consomment du pirarucu et le commercialisent pour sa chair réputée savoureuse et sans arête. « La valeur de la nourriture est bien plus grande que la valeur de la peau dans l’absolu sachant qu’un poisson peut faire jusqu’à 100kg mais remise au seul kg la peau vaut bien plus. Nous leur achetons les peaux et grâce à ce revenu additionnel, les communautés ont plus de poids pour négocier avec les industriels de la filière alimentaire. Une décennie plus tôt, elles n’avaient pas d’autre choix que de vendre les poissons à celui qui venait les chercher avec une solution frigorifique à la clé. D’un point de vue économique, social et écologique ce cuir est important, quand on pense que c’était un déchet, qui valorisé, a positivement influé sur leur niveau de vie. Les communautés se sont solidarisées sous forme d’association, pour séparer les peaux de pirarucu de leur chair. Le cuir fait désormais partie intégrante de leur chaîne logistique, et elles peuvent sélectionner les bons partenaires. Les process se sont professionnalisés, la législation est plus stricte. »

Une espèce protégée par la Convention de Washington

Si le pirarucu ou Arapaima gigas, de sa dénomination scientifique, est aujourd’hui protégé par la réglementation CITES sur le commerce international des espèces de faune et de flore menacées d’extinction, sa vie n’a pas toujours été long fleuve tranquille. Caïmans noirs, loutres, anacondas…comme bien des espèces exotiques qu’il côtoie sur les rives de l’Amazone, le poisson a frôlé la disparition au milieu des années 80, pour cause de chasse-pêche intensive. Pour autant, dans cette région, réservoir biologique de la planète, où les peuples vivent en symbiose avec leur environnement, il n’était pas question de prohibition. C’est alors que des personnes se sont associées pour proposer des programmes durables et faire perdurer la consommation de ce poisson, mets parmi les plus populaires outre le riz. Les communautés ont désormais une trentaine voire quarantaine de jours réglementés selon les années pour les pêcher, sous la supervision de l’agence nationale brésilienne IBAMA, œuvrant à la protection de l’environnement et des ressources naturelles. « Les pirarucus remontent à la surface pour respirer toutes les 20 minutes ce qui permet aux autorités d’estimer leur population. Les lacs où ils vivent sont surveillés et pour chacun d’entre eux IBAMA détermine un quota annuel à pêcher, équivalent à 30% de leur population. L’année dernière le quota était de 50 000 poissons adultes ce qui veut dire qu’il y en aurait 170 000. »

Un savoir-faire exotique et unique en son genre

Travailler le pirarucu n’est pas une mince affaire car le poisson a la peau dure ! La peau du pirarucu résiste aux morsures de piranhas, c’est dire…Pour l’assouplir, Nova Kaeru a mis au point une méthode de tannage bio (sans chrome) exclusive dont elle garde le secret. La couleur est travaillée en surface avec des pigments naturels, les nuances n’en sont que plus vibrantes. Les écailles sont tantôt coupées à la main, tantôt inversées, au gré de jeux graphiques sophistiqués. Ou bien brossées, conférant au cuir un aspect brut et vintage. 80% de la production est exportée aux USA et en Europe…Côté prix, ce cuir exotique oscille entre celui du python et du crocodile.
Présenté pour la première fois à l’occasion du salon APLF à Hong Kong, ce produit singulier a remporté le prix du « best leather » et par la suite d’autres récompenses lors de Première Vision Leather, Lineapelle, ACLE à Shanghaï…) « Il y a beaucoup de technologie impliquée dans le tannage bio, vous ne pouvez pas imaginer les progrès depuis 8 ans. » Au départ, les maisons de mode en faisaient de la maroquinerie mais maintenant on peut en voir en prêt-à-porter, sur des sneakers comme celles de la marque brésilienne Osklen que l’on peut trouver à la Casa Pau-Brasil à Lisbonne, concept-store dédié à l’avant-garde mode et design made in Brasil…
60 personnes travaillent à la tannerie, basée à une centaine de kilomètres de Rio. À l’avenir, les fondateurs aimeraient que le consommateur puisse connaître la provenance de chaque peau utilisée pour la confection du produit fini et sponsoriser la communauté de son choix, grâce à un système d’étiquetage résistant au tannage. Mais 6000 km séparent encore l’usine de l’Amazonie, et du chemin reste à faire en matière de transport et logistique. 

Rédaction Juliette Sebille
Photos © Corinne Jamet

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