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Initiée par la Ville de Graulhet, « L’art de la rencontre » accueillait Romuald Jandolo pour la quatrième édition de la résidence en entreprises, en partenariat avec le centre d’art Le Lait et l’association Graulhet Le Cuir. À la clé de cette aventure singulière pour l’artiste, les salariés et chefs d’entreprise graulhetois : une valorisation des savoir-faire du cuir et de ses protagonistes locaux grâce à l’exposition « La pluie italienne » à La Maison des Métiers du Cuir.
Le temps d’une exposition, Romuald Jandolo réenchante la cité du cuir tarnaise, cette « princesse endormie » à l’aune du monde du cirque cher à l’artiste, issu du nomadisme et de la culture gitane. Et La Maison des Métiers du Cuir s’y prête à merveille : l’espace clos d’une ancienne mégisserie laissée dans son jus, imprégnée d’une pléthore d’odeurs, sollicitant tous les sens. Dès l’entrée de l’exposition, le visiteur se retrouve « les deux pieds dans le cuir, dans un rapport prégnant à l’animalité, au vivant », au plus près des 1,5 tonne de chutes de cuir récupérées au sein de la mégisserie Joqueviel & Cathala. Cette odeur extrêmement forte rappele des souvenirs de mégisserie aux anciens qui visitent l’exposition et invite les novices à s’y immerger « un peu comme au cirque où l’on met les deux pieds sur la piste », s’amuse l’artiste.
Au cœur du savoir-faire du cuir qui parcourt l’exposition : le toucher « comme présence haptique », cette science du toucher. La peau de bête sublimée se dévoile sous toutes ses coutures : recto verso, peau entière à la mesure de la bête. Les œuvres se parent d’une « esthétique de la séduction. J’utilise les effets de brillance, les motifs… Je ne savais pas que le travail du cuir offrait toutes ces possibilités de création, s’étonne-t-il. J’ai approché le travail de la peau animale avec de l’ingénierie technique de pointe. C’est la transformation de l’animal qui est belle. Il devient une sorte de costume à lui tout seul. » À l’image de la peau de galuchat à peine retravaillée ou de l’ensemble de 17 pièces de peaux. En suspension telles des arches dans l’espace d’exposition, ces peaux s’apparentent à « des bijoux. Et se dire que le cuir fut transformé de A à Z à Graulhet, sur une zone géographique limitée, est assez extraordinaire. C’est une découverte », s’émerveille l’artiste.
Œuvres en cuir, céramique, bois ou bronze constituent les décors d’un univers du cirque théâtralisé, joyeux, libre. L’« art total » revisité par l’artiste invite à la déambulation hallucinée au fil d’un couloir, d’un rideau de scène, de l’habillage du plafond et des murs avec un motif caractéristique des chapiteaux, des confettis en chutes de cuir au sol, des lumières et accessoires. On retrouve ses figures de prédilection : marginaux, bouffons, saltimbanques et autres personnages grotesques et extravagants peuplant les foisonnantes installations immersives aux allures de saynètes et cabinets de curiosités. « Une sorte de monde féerique au pays des merveilles », renchérit Romuald Jandolo, qui a tiré le titre de l’exposition du livre Les enchanteurs (1973) de Romain Gary. La « pluie italienne » renvoie aux confettis, lancés à l’occasion notamment du carnaval. S’invitent une dimension antisystème et une ode à l’inventivité fraternellement cultivées, de même, par l’univers circassien de l’artiste.
« À l’avenir, cette collaboration entre Romuald Jandolo et la filière du cuir locale resonnera au-delà du basin graulhetois », se réjouit Antoine Marchand, Commissaire de l’exposition et Directeur du centre d’art Le Lait. L’exposition tarnaise a suscité l’intérêt des Abattoirs, à la fois Musée de France et Fonds Régional d’Art Contemporain au rayonnement national et international qui a acheté trois pièces exposées. « Elles pourront être diffusées à l’échelle nationale ou internationale avec, à chaque fois, la mention de la production par les entreprises graulhetoises, » précise le directeur. Une réussite autant artistique qu’entrepreneuriale au vu des retombées bénéfiques de la collaboration pour les entreprises du cuir participantes.
Cette résidence en entreprises de trois mois a fait la fierté des collaborateurs, encense Marie-Laure Biscond, co-fondatrice de la maroquinerie Bandit Manchot, et Présidente de l’association Graulhet Le Cuir : « Nous faisons entrer un artiste dans l’atelier. Nous travaillons un métier d’art qui peut donner forme à des œuvres d’art dont ils observent l’élaboration depuis les croquis. La fabrication de pièces uniques exposées par un artiste les rend fiers et confère une nouvelle dimension à leur travail. » Autre point notable : que l’artiste comme les artisans, ouvriers et chefs d’entreprise sortent de leur zone de confort, hors de la production commerciale habituelle. « Ne pas faire que du beau », médite l’artiste qui a souhaité introduire des notes un peu plus « punk et radicales ». « Le grand ennemi de l’art, c’est le bon goût », revendiquait en son temps Marcel Duchamp, l’une des figures clés de l’art contemporain. Ce qui exige, au préalable, la réussite de l’intégration de l’artiste dans l’entreprise. « Ce que je retiendrai de ma résidence, de mon immersion dans la Manufacture de Cuir de Réalmont qui crée des vêtements en cuir de haute qualité ou dans la maroquinerie Bandit Manchot, s’enthousiasme l’artiste, c’est une connivence avec les ouvriers. Alors qu’existe un rapport à la hiérarchie assez stricte dans les entreprises, en tant qu’artiste, je suis venu titiller une chaîne de production dans le sens où chacun avait ses habitudes. Voir où, dans cette mécanique, je pouvais agir comme un grain de sable, ce que je pouvais apporter à l’entreprise sans l’empêcher de travailler pour autant était captivant. Il ne fallait pas malmener les habitudes de tous, tout en les amenant ailleurs avec mon travail. »
C’est un échange vivifiant qui eut lieu entre tous les protagonistes de la filière cuir participant à cette résidence en entreprises et l’artiste. « J’ai appris un métier avant d’aller à l’école », confie celui qui fut contorsionniste et acrobate de l’âge de 3 à 10 ans dans un cirque itinérant, un peu partout en Europe, sans savoir alors ni lire ni écrire. « Ce rapport au temps, au labeur, à la minutie me touche beaucoup. J’ai vu des ouvriers fondre en larmes de ne pas avoir pu réaliser en fin de journée ce qu’ils souhaitaient. Non pas qu’ils étaient soumis à la pression du patron mais étaient portés par l’envie de bien faire. Je trouvais cela assez extraordinaire et touchant. Et ça se rapproche énormément des aléas auxquels je peux être confrontés dans mon atelier. »
Pendant deux mois, l’artiste n’arrivait plus à dormir. « Je devenais complètement obnubilé par tous les sacs qui passaient dans la rue, les vêtements. Je décomposais tout en coupes et montages, et j’essayais de comprendre comment tout était fabriqué. » Une immersion artistique dans le monde du cuir qui ne fait que commencer pour l’artiste. « J’ai envie de m’acheter une machine pour piquer le cuir parce que j’ai réellement piqué du cuir pendant trois mois, entre 12 et 14 heures par jour, car, lorsque je ne parviens pas à réaliser quelque chose qui me plaît, je m’accroche d’autant plus ! La volonté de m’approprier cette matière a donné lieu à une exposition particulièrement foisonnante. » Et de conclure, songeur sur cette aventure dans le cuir graulhetois : « Ce n’est que le début de quelque chose ».
* « La pluie italienne » par Romuald Jandolo, jusqu’au 22 septembre puis du 19 octobre au 2 novembre 2024 à la Maison des Métiers du Cuir à Graulhet.
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Rédaction Stéphanie Bui
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