Le cuir français à l’épreuve des tensions douanières américaines

Comment l’application de nouveaux droits douaniers impactera-t-elle la Filière Française du Cuir ? - Photo © Yoav Aziz pour Unsplash.

Le mois de juillet pourrait être celui de l’entrée en vigueur des droits douaniers supplémentaires annoncés en avril par Donald Trump contre l’Union européenne. Même si un nouveau délai était accordé aux négociateurs, ou si un terrain d’entente était finalement trouvé, le premier semestre restera marqué par cette épée de Damoclès qui menace la compétitivité européenne, et pourrait transformer le commerce franco-américain du cuir.
Depuis l’élection présidentielle américaine, suivie par l’annonce des nouveaux tarifs douaniers le 2 avril, l’inquiétude tarifaire transcende pays et filières. Aux 10% de taxes douanières appliquées depuis avril à l’ensemble des pays fournisseurs (exception faite du Canada et du Mexique), les États-Unis ajoutent en effet des pourcentages nationaux supplémentaires. Une taxe calculée en fonction du déficit commercial américain avec ces pays. L’Union européenne, en plus des 10% appliqués à tous, est actuellement menacée par Donald Trump d’un tarif douanier additionnel de 20%. Et même de 50%, chiffre plusieurs fois brandi par le président américain, en marge des négociations. Ce chiffre placerait le Vieux Continent au sommet des zones commerciales les plus taxées, dépassant même les 49% menaçant le Cambodge, et les 46% ciblant le Vietnam.
Le média allemand Handelsblatt indiquait mi-juin de sources diplomatiques que l’Europe serait prête à accepter une taxe de 10%. Une information démentie dans la journée par Bruxelles, désireux de ne pas montrer de faiblesse face à des représentants américains qui usent de la menace tarifaire pour prendre le dessus dans ces négociations. C’est dans ce contexte que l’ensemble des filières tentent de se préparer à un choc douanier dont seule l’ampleur reste une inconnue.

Des liens forts entre cuirs français et américains

Cette inquiétude du lendemain pourrait d’ores et déjà avoir joué un rôle dans l’accentuation récente des commandes américaines passées auprès de la Filière Française du Cuir. Selon les chiffres de l’Observatoire Économique de l’Alliance France Cuir, celles-ci ont atteint les 884,6 millions d’euros sur les quatre premiers mois de 2025. Une accélération de 11,2%, similaire à celle connue par les exportations de produits finis, qui ont été portées à 883 millions d’euros. Ceci notamment grâce à la maroquinerie française, en progression de 17,9% à 686,4 millions d’euros.
Vu des États-Unis, la France était en 2023 le quatrième fournisseur de maroquinerie, captant 10,4% de parts de marché sur les 27,7 prises par les productions européennes. La France est par ailleurs leur 9e fournisseur de vêtements en cuir, le 10e pour les cuirs et peaux bruts, le 11e pour ce qui est de la tannerie mégisserie, et le 26e pour l’ensemble des chaussures. De quoi faire de l’ensemble de la filière française le sixième fournisseur des États-Unis.
Vu depuis la France, les États-Unis sont le deuxième marché d’exportation pour la filière, avec 2,4 milliards d’euros de marchandises en 2024. Une progression de 1% qui les place derrière la Chine et ses 2,6 milliards, et devant l’Italie qui atteint 1,8 milliard. En 2022, à l’heure où l’ultime année de la politique “Zéro Covid” décidée par Pékin commençait à grever jusqu’aux dépenses chinoises dans le secteur du luxe, les USA s’étaient même glissés sur la première marche des clients de la Filière Française du Cuir, avec 2,5 milliards d’euros de commandes. Reste qu’à eux seuls, la Chine et les États-Unis représentent un quart des exportations du secteur cuir tricolore.
Eux-mêmes grands pays d’élevage, les États-Unis ne comptent cependant pas parmi les dix plus gros clients pour les cuirs et peaux bruts français. A contrario, les USA sont les premiers fournisseurs de la France en la matière, avec 44,9 millions d’euros de cuirs et peaux bruts importés des USA en 2024, en progression de 21%. Ce qui représente une contribution massive à la position de l’Hexagone au cinquième rang des importateurs mondiaux du domaine. S’y ajoutent en outre l’an passé 15,7 millions d’euros de produits américains de tannerie mégisserie importés par la France.

Les États-Unis sont le deuxième débouché des productions françaises de chaussures, derrière l’Italie - Photo © Pexels - Pixabay.

Craintes des marques et distributeurs américains

Face à la perspective d’une barrière douanière avec leurs fournisseurs français, les fabricants américains sont donc moins inquiets que ne le sont les marques et distributeurs locaux de produits finis. La puissante National Retail Federation(NRF), qui représente les commerçants à Washington, n’a pas attendu l’élection présidentielle de 2024 pour s’inquiéter ouvertement des tarifs douaniers promis par le candidat Trump. Ces cris d’alarme restés sans réponse deviennent aujourd’hui un appel à faire pression, par courrier, sur les parlementaires américains. Un appel lancé aussi bien aux professionnels qu’aux consommateurs finaux, dans l’espoir de faire invalider une mesure pouvant compromettre tout un pan de la consommation américaine. « Les tarifs douaniers menacent le rêve américain », estime la fédération. Celle-ci prévoit un impact désastreux sur l’économie quand les tarifs, une fois appliqués, causeront des hausses de prix dans tous les domaines. Et l’impact des 10% de taxes déjà imposées depuis avril aux importations donne raison à l’instance. « Notre secteur représente plus d’un emploi sur quatre aux États-Unis (…). Créer de l’incertitude pour les entreprises du commerce de détail peut avoir un effet d’entraînement dramatique sur l’ensemble de l’économie. Plus les entreprises sont confrontées à un environnement incertain, plus nous risquons d’assister à un ralentissement, voire à une récession », pour l’organisation.
Une crainte partagée par l’American Apparel & Footwear Association (AAFA) représentant les secteurs de l’habillement-chaussure. « Avant le soi-disant ‘Jour de la Libération’ (nom donné par l’administration Trump à l’annonce du 2 avril, NDLR), les droits de douane moyens sur les vêtements, les chaussures et les accessoires (…) étaient déjà plus de cinq fois plus élevés que sur les autres importations américaines », alertait dès janvier Steve Lamar, Président de l’AAFA. Pour la fédération, les tarifs douaniers de Donald Trump promettent des retours de flamme. « Pour être clair, les droits de douane sont des taxes supportées par les entreprises américaines qui importent les biens, et par les familles américaines qui travaillent dur pour pouvoir les acheter. »
Avant même l’annonce du 2 avril, les États-Unis ont connu un bond des importations de textile-habillement, à l’image de celui vécu du côté du cuir français. Selon les données du Département du Commerce, les donneurs d’ordres américains ont accéléré leurs commandes de textile-habillement de 9,4% sur la période, les portant à 26,9 milliards de dollars, dont 20 milliards pour l’habillement. Une situation qui n’a cependant pas profité à l’Union européenne, stable sur la période, mais plutôt aux pays d’Asie. Les tensions entre Washington et Pékin étaient cependant telles que, chose rare, les donneurs d’ordre américains ont mis le Vietnam au premier rang de leurs fournisseurs d’habillement. Le plaçant ainsi devant une Chine alors vouée aux gémonies douanières par la Maison Blanche.

Impacts sur les produits finis français

À l’échelle de la Filière Française du Cuir, un accroissement des frais douaniers américains aurait un impact limité sur les exportations de cuirs et peaux bruts, et cuirs finis. L’affaire risque cependant d’être toute autre du côté des produits finis, pour qui les vitrines américaines sont un débouché particulièrement stratégique. Les maroquiniers français ont exporté l’an passé pour 1,8 milliard d’euros de produits vers les États-Unis. Un chiffre en deçà du niveau atteint au lendemain de la crise sanitaire en 2022, mais qui s’inscrit cependant en progression de 4% par rapport à 2023. Les USA sont le deuxième plus gros client du secteur, entre la Chine et le Japon. Une deuxième place que, dans le détail, les USA occupent également dans les commandes de sacs à main (1,2 milliard d’euros), de petite maroquinerie (177,8 millions d’euros), sans oublier les achats d’articles de voyage (155,9 millions d’euros).
Dans la chaussure, les États-Unis sont le deuxième débouché des productions françaises, derrière l’Italie. Ce sont pour 606,1 millions d’euros de paires qui ont été expédiées l’an passé de l’autre côté d l’Atlantique, en contraction de 8% après le vigoureux exercice de reprise qu’avait été l’année 2023. Mais derrière ce recul se cachait une hausse de 51% des prix en douane, selon les données de l’Observatoire Économique de l’Alliance France Cuir. Une donnée qui souligne la force de frappe française sur le marché de la chaussure haut de gamme aux USA. Dans le détail, les États-Unis sont aussi le premier marché d’exportation pour les chaussures en cuir françaises, avec pour 390,6 millions d’euros de produits exportés l’an passé.
Si la France trône au top 10 des fournisseurs de vêtements en cuir pour les marques et détaillants américains, ceux-ci représentent surtout le débouché numéro un pour les fabricants français du domaine. Ce sont ainsi pour 38,3 millions d’euros de vêtements français en cuir qui ont été envoyés aux États-Unis l’an passé. Une accélération notable de 19% sur un an qui est venue renforcer l’excédent commercial tricolore sur ce marché.

Bénéfice discutable pour la filière cuir américaine

S’inscrivant dans la doctrine “America First” de Donald Trump, les tarifs douaniers doivent, selon la Maison-Blanche, profiter à l’industrie locale. Pourtant, la filière locale du cuir n’échappe pas à l’inquiétude généralisée. Du côté du Leather & Hide Council of America (LHCA), qui fédère 75 groupes américains, les entreprises redoutent notamment de voir leur premier client, la Chine, répondre par ses propres barrières tarifaires. Avec en creux la crainte de voir l’Europe prendre le même chemin.
Aux incertitudes créées par les taxes Trump s’en ajoutent effectivement d’autres : celles entourant les ripostes potentielles des pays ciblés. La France pourrait certes pâtir d’une taxation des peaux américaines par l’UE. Mais elle pourrait en parallèle bénéficier d’un report des commandes chinoises, si Pékin venait à surtaxer les productions américaines. Par ailleurs, la perspective d’un choc tarifaire pourrait inciter certains acteurs à accélérer la diversification de leurs débouchés. Au rayon des bras de fer douaniers, la saison des incertitudes semble donc destinée à se poursuivre.

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Rédaction Louis Endau

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