35ème Festival de Hyères : place à la mode d’après

Emma Bruschi a reçu le Prix Chanel Métiers d'Art 19M pour sa collection Almanach. Inspirée par les savoir-faire transmis traditionnellement au sein des familles rurales, elle a développé une collection de bijoux en collaboration avec le plumassier Lemarié - Photo © Jalis.

La 35ème édition du Festival International de Mode, Accessoires et Photographie, qui s’est déroulée à Hyères du 15 au 19 octobre derniers, était sans conteste exceptionnelle. Menacé puis finalement décalé en raison de la pandémie, ce festival a magistralement démontré la capacité de résilience des créatifs. L’ouverture, entre autres, avec une chorégraphie signée du collectif d’artistes (La) Horde, à la beauté pleine de fureur et de sensualité, ancrait l’événement hors de la normalisation avec des partis pris forts voire extrêmes, enclins à faire naître l’émotion. Les différents jurys, réunis sous la présidence de J.W. Anderson (Directeur Artistique de Loewe) pour la mode, et d’Hubert Barrère (Directeur Artistique de la maison Lesage) pour les accessoires, ont récompensé des créations singulières, reflets des problématiques de leur époque. À l’unanimité, les lauréats ont prôné et mis en œuvre, une valorisation responsable des matériaux, faits preuve d’une grande maîtrise technique et d’un respect du geste artisanal.
Florilège des découvertes les plus marquantes dans les catégories Mode et Accessoires.

Matériaux déclassés et recyclés : étoffes d’un nouveau luxe

Juana et Ddiddue Etcheberry sont lauréats du Grand Prix du Jury Accessoires ainsi que du Prix Hermès des Accessoires de Mode. Cette dernière récompense avec une dotation de 20 000 euros à la clé, est consacrée à la conception d’un bijou en cuir en collaboration avec les ateliers Hermès. Cumulant les compétences de designers et artisans, la fratrie aux parcours complémentaires – elle est diplômée d’un Master de l’École de la Chambre Syndicale de la Couture Parisienne et lui d’un Bachelor de la Design Academy d’Eindhoven – ont conçu et réalisé à la main une collection de casquettes intégralement composées de déchets revalorisés. Toutes sortes d’objets glanés dans les déchetteries locales, pots de fleurs et bassines en plastique, chambres à air et bottes en caoutchouc, toiles de tente, chutes de cuir… connaissent une seconde vie en tant que couvre-chefs raffinés, très structurés et épurés, réminiscence des Kabuto des samouraïs.
Avec son défilé Seven ways to be TVDB, le belge Tom Van der Borght remporte le Grand Prix du jury Première Vision et le Prix du public Mode, et nous transporte dans son imaginaire peuplé de créatures totémiques sublimes et extravagantes. Son inventivité couplée à sa grande expertise s’exprime sur des silhouettes mêlant une mixité de matériaux recyclés, plastiques, d’origine végétale et animale – dont les cuirs marins d’Ictyos cuir marin de France -. Collaborant avec la maison Montex, atelier de broderie du groupe Chanel, il manie avec brio les ressources hors normes, considérées comme pauvres pour proposer une autre vision du luxe.

Jil Jander nourrit son imaginaire de ses souvenirs de bord de mer. Ses créations très structurées flirtent avec le surréalisme, un esprit qui s’exprime pleinement à travers un cabas orné de dessins tracés au doigt avec de la crème solaire.

Narration de l’intime et de l’universel

Lauréats de la Mention Spéciale du Jury Accessoires de Mode, Antonin Mongin, Dimitri Zephir et Florian Dach, tous trois diplômés de l’ENSAD, ont présenté une collection de bijoux de têtes réalisés à partir de cheveux synthétiques ou naturels. Réinterprétant les parures en vogue de la fin du XVIIIe à la fin du XIXe siècles, ils usent des techniques de tricotage, feutrage, tissage et même de sérigraphie avec une pâte fabriquée à partir de cheveux pulvérisés. Pensée pour la personnalisation, chaque pièce peut être gravée, au niveau de la boucle métallique, de la date du cadeau, ainsi que des noms du donateur et de l’heureux bénéficiaire. Leur travail très moderne s’inscrit néanmoins dans la continuité (NDLR – ils livrent par exemple une très belle variation autour du Durag) témoignant du lien qui unit les êtres à travers le temps grâce à cette matière incorruptible propre à l’humain.
Côté mode, Andrea Grossi fait la part belle au cuir travaillé comme une seconde peau, au plus proche du naturel. Désireux de mettre en perspective nos choix actuels, politiques ou environnementaux, il dépeint une galerie de personnages et une imagerie s’inspirant des toiles de Jouy du XVIIIe siècle. Reproduits sous forme de tatouages au laser sur les cuirs à tannage végétal NeoNatur© d’ECCO Leather, ils donnent corps à des silhouettes transhumanistes et futuristes. Deux paires de gants, clin d’œil au sport automobile avec Causse (Chanel) complètent la panoplie rapprochant les savoir-faire d’ateliers et tanneries en Lombardie et en Toscane. Avec des produits Wet-Green découpés au laser, le lauréat conjugue tradition et innovation, ayant à cœur de préserver les ressources et l’environnement.

Andrea Grossi souhaite mettre en perspective nos choix actuels, politiques ou environnementaux et dépeint une galerie de personnages et une imagerie s’inspirant des toiles de Jouy du XVIIIe siècle. Il a notamment réalisé en collaboration avec Causse (Chanel) deux paires de gants, clin d’œil au sport automobile.

Inspirations naturalistes et savoir-faire séculaires

Diplômée de la Haute École d’Art et de Design (HEAD) Genève, Emma Bruschi a reçu le Prix Chanel Métiers d’Art 19M pour sa collection Almanach. Inspirée par les savoir-faire traditionnellement transmis au sein des familles rurales, chez qui les matières étaient toutes récupérées, filées, cardées, tricotées et brodées, elle fait appel à des artisans vanniers pour travailler la paille et va jusqu’à broder du verre sur ses silhouettes. La jeune femme a développé une collection de bijoux en collaboration avec le plumassier Lemarié (Chanel). Des impressions toiles de Jouy teintes grâce à des pelures d’oignons à partir de ses dessins originaux narrent la vie pastorale ; un succédané de cuir est ainsi créé à partir d’un procédé de fermentation végétale. L’agriculture, dépassant son rôle inspirationnel, est ici véritablement intégrée au processus créatif.
Le Prix Chloé dédié aux créateurs ayant dessiné, en sus de leur collection, une silhouette féminine pour la maison Chloé, a été décerné à Marvin M’Toumo, diplômé de la HEAD. Complétant par une onzième pièce sa présentation Chien Fleur foisonnant d’expressions animalières, il réinterprète les codes de la maison fondée par Gaby Aghion incarnant une femme cow-girl champêtre et romantique, lookée de cuir blanc intégralement plissé par la maison Lognon (Chanel).
Enfin, Eva Verwicht, elle aussi diplômée de la HEAD, nous invite à plonger dans un monde aquatique relatant ses souvenirs d’enfance en bord de mer. La sculpture constitue son médium d’expérimentation afin de définir les formes et les matières qu’elle retranscrit en maroquinerie. Alimentée d’échanges constructifs avec des maitres artisans, elle a doté ses sacs de forme souple de poignées rigides en verre ou en aluminium aux proportions étonnantes, ou au contraire des anses moelleuses en soie peinte.

Juana et Ddiddue Etcheberry sont lauréats du Grand Prix du Jury Accessoires ainsi que du Prix Hermès des Accessoires de Mode. La fratrie a conçu et réalisé à la main une collection de casquettes intégralement composées de déchets revalorisés.

Objets réinterprétés et multifonctions

Ce sont aussi ses souvenirs de vacances passées en famille qui nourrissent Jil Jander. C’est du côté de l’objet, et non de la nature, que s’est tournée la jeune diplômée de l’Académie Royale d’Anvers en design de bijoux, et de l’ECAL en MAS Design for Luxury and Craftsmanship. Le seau de plage se fait cabas, la housse de raquette de ping-pong devient un sac porté en bandoulière, le brassard de nage une pochette ceinturée autour du bras. Ses modèles très structurés flirtent avec le surréalisme, un esprit qui s’exprime pleinement à travers le sac en cuir à tannage végétal qui porte les marques de bronzage d’un bikini, ou le cabas simulant des dessins tracés au doigt avec de la crème solaire.
Formée au design d’objet à La Cambre et au Royal College of Arts de Londres, Félicie Eymard propose une ligne nommée Species fabriquée à la main à Paris à partir de cuirs revalorisés. Privilégiant une approche de designer, tous les articles offrent une double fonctionnalité, au-delà de leur caractère ornemental. Le collier se transforme en visière, le col en cache-oreilles, le bijou de bras en éventail. L’objet prend vie grâce au mouvement et dans ses transformations, transcendant la banalité. L’élégant collier bijou qu’elle a imaginé pour Hermès reprend la courbe de l’encolure du cheval et se mue en boucles d’oreilles, soulignant la forme du pavillon.

Félicie Eymard propose une collection nommée Species fabriquée à la main à Paris à partir de cuirs revalorisés. Le bijou qu’elle a imaginé pour Hermès s’inspire de la courbe de l’encolure du cheval et se transforme en boucles d’oreilles soulignant la forme du pavillon.

Une nouvelle gestuelle du sac

Avec sa gamme Gesture, Oubadah Nouktah, titulaire d’un MAS Design for Luxury and Craftsmanship de l’ECAL, a remporté le Prix du Public dans la catégorie Accessoires. Il invente une nouvelle gestuelle d’ouverture basée sur l’enroulage du cuir sur lui-même autour de plusieurs axes. On fait glisser et rouler le dessus de ces sacs/boîtes gainés dans des cuirs à tannage végétal.
Giulia Chéhab a, quant à elle, mené un véritable travail anthropologique en observant et photographiant des passantes munies de tote bags. Partie du constat que ces sacs sont aujourd’hui omniprésents, bien souvent couplés à une pochette ou un sac à main, elle a souhaité mener une réflexion sur l’optimisation de leur forme, l’amélioration du confort et les différentes fonctions qu’ils pouvaient remplir. Sa déclinaison de sacs à soufflets, comme des accordéons, baptisée Augmented Totes, peuvent accueillir de multiples dossiers et être portés sur le dos comme en bandoulière grâce à des anses rembourrées.

Lauréats de la Mention Spéciale du Jury Accessoires de Mode, Antonin Mongin, Dimitri Zephir et Florian Dach ont proposé une collection de couvre-chefs réalisés à partir de cheveux synthétiques ou naturels.

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Rédaction Hélène Borderie

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