« Faire entrer l’art à l’atelier »
Cette résidence en entreprises de trois mois a fait la fierté des collaborateurs, encense Marie-Laure Biscond, co-fondatrice de la maroquinerie Bandit Manchot, et Présidente de l’association Graulhet Le Cuir : « Nous faisons entrer un artiste dans l’atelier. Nous travaillons un métier d’art qui peut donner forme à des œuvres d’art dont ils observent l’élaboration depuis les croquis. La fabrication de pièces uniques exposées par un artiste les rend fiers et confère une nouvelle dimension à leur travail. » Autre point notable : que l’artiste comme les artisans, ouvriers et chefs d’entreprise sortent de leur zone de confort, hors de la production commerciale habituelle. « Ne pas faire que du beau », médite l’artiste qui a souhaité introduire des notes un peu plus « punk et radicales ». « Le grand ennemi de l’art, c’est le bon goût », revendiquait en son temps Marcel Duchamp, l’une des figures clés de l’art contemporain. Ce qui exige, au préalable, la réussite de l’intégration de l’artiste dans l’entreprise. « Ce que je retiendrai de ma résidence, de mon immersion dans la Manufacture de Cuir de Réalmont qui crée des vêtements en cuir de haute qualité ou dans la maroquinerie Bandit Manchot, s’enthousiasme l’artiste, c’est une connivence avec les ouvriers. Alors qu’existe un rapport à la hiérarchie assez stricte dans les entreprises, en tant qu’artiste, je suis venu titiller une chaîne de production dans le sens où chacun avait ses habitudes. Voir où, dans cette mécanique, je pouvais agir comme un grain de sable, ce que je pouvais apporter à l’entreprise sans l’empêcher de travailler pour autant était captivant. Il ne fallait pas malmener les habitudes de tous, tout en les amenant ailleurs avec mon travail. »
C’est un échange vivifiant qui eut lieu entre tous les protagonistes de la filière cuir participant à cette résidence en entreprises et l’artiste. « J’ai appris un métier avant d’aller à l’école », confie celui qui fut contorsionniste et acrobate de l’âge de 3 à 10 ans dans un cirque itinérant, un peu partout en Europe, sans savoir alors ni lire ni écrire. « Ce rapport au temps, au labeur, à la minutie me touche beaucoup. J’ai vu des ouvriers fondre en larmes de ne pas avoir pu réaliser en fin de journée ce qu’ils souhaitaient. Non pas qu’ils étaient soumis à la pression du patron mais étaient portés par l’envie de bien faire. Je trouvais cela assez extraordinaire et touchant. Et ça se rapproche énormément des aléas auxquels je peux être confrontés dans mon atelier. »
Pendant deux mois, l’artiste n’arrivait plus à dormir. « Je devenais complètement obnubilé par tous les sacs qui passaient dans la rue, les vêtements. Je décomposais tout en coupes et montages, et j’essayais de comprendre comment tout était fabriqué. » Une immersion artistique dans le monde du cuir qui ne fait que commencer pour l’artiste. « J’ai envie de m’acheter une machine pour piquer le cuir parce que j’ai réellement piqué du cuir pendant trois mois, entre 12 et 14 heures par jour, car, lorsque je ne parviens pas à réaliser quelque chose qui me plaît, je m’accroche d’autant plus ! La volonté de m’approprier cette matière a donné lieu à une exposition particulièrement foisonnante. » Et de conclure, songeur sur cette aventure dans le cuir graulhetois : « Ce n’est que le début de quelque chose ».
* « La pluie italienne » par Romuald Jandolo, jusqu’au 22 septembre puis du 19 octobre au 2 novembre 2024 à la Maison des Métiers du Cuir à Graulhet.
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