Olivier Saillard,
Directeur Artistique, Image et Culture de J. M. Weston

Olivier Saillard est Directeur Artistique, image et culture de J. M. Weston depuis janvier 2017.

En janvier 2017, l’historien de la mode et Directeur de musée Olivier Saillard saute le pas pour rejoindre le célèbre chausseur comme Directeur Artistique. Avec respect et humilité, il apporte sa vision subtile et onirique à cette référence du soulier pour homme et du cuir. Entretien avec un poète qui a les pieds sur terre.

Comment êtes-vous passé de votre fonction de Directeur de musée à celle de Directeur Artistique ?

Il y a un peu plus de trois ans, le Président de J. M. Weston, Thierry Oriez, m’a contacté pour me parler de son projet de recruter un Directeur Artistique. J’ai d’abord décliné son invitation, puis accepté un entretien, sans imaginer qu’il pensait à moi pour endosser cette fonction. En tant que Directeur de musée, j’avais plus de cent cinquante expositions à mon actif et l’impression d’avoir fait un peu le tour du sujet. Surtout que je ne ressens pas une admiration forte pour les designers de la nouvelle génération, comme j’en ai pour des créateurs comme Azzedine Alaïa, Yohji Yamamoto, Martin Margiela ou Jean-Paul Gaultier. J’avais besoin de mettre un peu à distance la mode du moment. Je me suis beaucoup renseigné sur la marque et y ai perçu des signes positifs, comme sa naissance en 1891, son atelier à Limoges, son unité de réparation, qui m’ont séduit. Après mûre réflexion, j’ai donc accepté de relever ce défi, d’abord à mi-temps, puis à temps complet à partir de janvier 2017.

En quoi consiste votre mission ?

L’ordre de mission était assez vague et abstrait. Thierry Oriez m’a demandé de renouveler le parc de modèles et de retravailler l’image de la marque. Avec les contraintes de fabrication de la manufacture et sa production inextensible. Dans ces conditions, on doit se limiter à trois nouveaux modèles par an, ou deux tous les six mois. De toute façon, J.M. Weston est et doit rester une marque de référence, synonyme de chaussures qui durent. Il n’est pas question de plonger J. M. Weston dans le tourbillon de la mode, mais plutôt d’y instiller une créativité sourde, discrète, en touches, empreinte d’une poésie l’éloignant de l’image de la marque pour cadres dynamiques qu’elle était dans les années 1980 et la fasse évoluer vers plus d’intemporalité. J’aimerais assez qu’on associe J. M. Weston à l’art de marcher. Autrefois, J. M. Weston était la marque préférée des garçons de café, à cause du confort de ses souliers. Cette anecdote m’intéresse beaucoup.

En décembre 2018, la boutique J.M. Weston de Tokyo Aoyama a rouvert, portant fièrement la nouvelle identité de la marque, imaginée sous l’égide du studio de création, donnant ainsi une écriture poétique, racée et lettrée à ses espaces de vente.

Comment avez-vous abordé votre tâche ?

Je l’ai abordée en néophyte, n’ayant pas une formation de styliste, et en historien aussi. J’ai quand même commencé par dessiner. Et j’ai vite arrêté quand je me suis rendu compte qu’il ne fallait pas réinventer ce qui peut s’apparenter à la perfection. On invente trop de choses qui passent trop vite. Je me contente donc de retoucher des détails, la longueur d’un modèle, son arrondi, l’épaisseur de sa semelle. Maintenant, je procède plutôt par collage, en associant des éléments existants et en faisant rencontrer différents modèles pour créer des hybrides. Les bases sont là comme les notes de la gamme. Il suffit juste de composer une nouvelle musique à partir de ces essentiels.

Comment voyez-vous évoluer l’offre de la marque ?

Il y a des modèles que je ne veux pas perturber, comme le mocassin plat, ou ces chasses (il montre la paire qu’il a aux pieds – NDLR) dont j’ai découvert que le dessin datait de 1936. Dans l’idéal, j’aimerais que, dans quatre ans environ, nous puissions proposer les principaux stéréotypes de la chaussure masculine, comme une sandale de curé, un sabot, une santiag, un mocassin, une charentaise etc., en cuir noir, comme des ombres. Je désirerais apporter un esprit workwear aux collections, en rapport avec le savoir-faire de la marque. Je souhaiterais pousser les recherches en matière de confort et de légèreté et revisiter les classiques à l’aune de ces deux notions primordiales. Nous travaillons actuellement sur une gamme de maroquinerie liée au monde de la chaussure et à la marche. Nous voulons également développer la ligne pour femmes qui ne génère aujourd’hui que 7 % du chiffre d’affaires. Et nous avons décidé de revendre des paires vintages dans nos boutiques après les avoir remises en état. Cela nous permettra de toucher une nouvelle cible, à des prix moins élevés. Nous préparons d’ailleurs une performance autour de cette initiative que nous présenterons pendant la fashion week masculine de janvier 2020.

Entre cabinet de curiosité et galerie d’art, la scénographie de la boutique de Bordeaux expose les Emblématiques, les Intemporels et les nouvelles collections en qualité d’objets uniques, de véritables œuvres-à-porter.

Comment votre vision de la marque se traduit-elle dans les boutiques ?

Je veux réaliser des boutiques comme j’ai monté des expositions, en reprenant une esthétique un peu muséale qui magnifie les produits. Les modèles sont présentés dans des petites boîtes en verre sur pied qui rappellent les vitrines de musées et sur des tables en bois comme des parquets. Et toujours par paire. L’espace est segmenté en chapitres, avec, d’un côté, les classiques, d’un autre, les nouveautés, dans tes tons neutres et naturels. Pour le sol, nous avons fait tisser des tapis, en laine tachetée, inspirés des buvards des écoliers d’autrefois. Le reste du décor est sobre, avec beaucoup de chêne, qui se marie bien avec le cuir. Les boutiques auront un concept commun avec chacune des particularités. Notre réseau de points de vente comprend quarante et une boutiques dont dix neuf en propre, douze en France et sept à l’étranger. Nous avons déjà rénové les magasins de Tokyo, en février dernier, et Bordeaux, ce printemps. Nous allons continuer cette entreprise au rythme de deux ou trois boutiques par an. La prochaine est celle de Deauville, pour novembre. Suivront Paris rue de Courcelles, Lyon et peut-être une autre au Japon. Paris Saint Honoré a vocation à devenir un peu expérimentale.

Quel est votre point de vue sur la distribution à l’heure actuelle ?

Nous voulons continuer à vendre de façon traditionnelle. Nos vendeurs sont bien formés pour faire vivre une expérience rare et intime à nos clients. Nous avons une boutique en ligne, mais la vente sur internet est difficilement compatible avec notre offre élaborée avec les plus beaux cuirs, en demi-pointures et plusieurs largeurs. J’aime l’idée qu’on n’achète pas chez nous en un clic. Avec internet, on a créé un besoin dont on n’avait pas besoin. On consommait déjà trop. Les modes de consommation sont en train d’évoluer. Les consommateurs exigent des marques une responsabilisation. Notre réponse à cette demande est notre lien avec le passé, notre atelier de réparation et la capacité limitée de notre usine qui nous évite tout risque de surproduction.

Deuxième espace au concept qui reprend l’intimité d’un atelier d’artiste, la boutique de Bordeaux expose la nouvelle vision créative de la maison dans un écrin historique, sur le cours de l’Intendance.

Que pensez-vous du marché de la chaussure masculine ?

Il a beaucoup changé. La chaussure pour homme aussi est devenue un produit de mode. Je ne suis pas contre le fait que des modèles fantaisies existent pour répondre à une certaine gourmandise des fans de mode. Mais ce n’est pas dans l’ADN de J. M. Weston de rentrer dans cette logique. La griffe doit faire des intemporels qui durent. Ces dernières décennies, l’homme a développé un goût pour la mode et acquis un droit à l’apparence, avec une certaine liberté. Il ne veut plus forcément lier son look à son statut social. Le costume n’est plus un must, sauf pour quelques professions. La griffe doit donc s’inscrire dans d’autres moments de la vie des hommes, leur parler différemment, leur apporter du rêve, les faire marcher le nez en l’air. Pour cela, je compte beaucoup sur les mots de notre belle langue française, affichés dans les boutiques. La marque porte un nom d’emprunt, ce qui est, en soi, assez dadaïste.

Quel est votre relation avec le cuir ?

Je me suis familiarisé au cuir en écrivant, il y a plusieurs années, un livre sur les savoir-faire pour Hermès. Il y avait des charpentiers dans ma famille et je n’ai pas eu de mal à m’attacher à cette matière qui vieillit, s’embellit même lorsqu’on l’entretient et qui est tellement agréable à porter. J’ai une préférence pour les cuirs lisses plutôt que grainés, comme le veau box par exemple, et les articles assez épais, structurés, fermes et pas trop brillants. Je n’aime pas les excès dans les patines ni les couleurs vives et pop. J’apprécie les cuirs plutôt peu couverts, dont on perçoit la fleur. Je ne suis pas très porté sur les cuirs exotiques, un peu trop voyants à mon goût. Par contre, les défauts sur les peaux ne me dérangent pas et je ne craindrais pas de les assumer, même s’ils créent une dissymétrie entre les deux pieds. Mais faire admettre cette idée aux artisans de la manufacture est une autre paire…de manches !

Comment voyez-vous l’avenir du cuir ?

Le cuir est une matière durable, provenant d’un recyclage ; en cela, il me paraît plus responsable que beaucoup d’autres. Jusqu’à présent, je ne trouve pas les alternatives très convaincantes. Et je suis fier de ne pas utiliser beaucoup de plastique. Le secteur a vite pris la mesure du danger qui menace l’environnement. Mais je suis pour un usage modéré et raisonné du cuir. Il faut compenser son utilisation par sa durabilité. Dans les années 1920, déjà, Eugène Blanchard avait pris la décision de produire mieux et moins.

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Rédaction François Gaillard

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