La traçabilité des cuirs et peaux bruts, un enjeu majeur pour la filière

« Made in France », économie circulaire, traçabilité… Aujourd’hui le circuit court et la transparence sont des enjeux cruciaux dans tous les domaines. Pour la filière cuir, le Syndicat Général des Cuirs et Peaux (SGCP) et le Centre Technique du Cuir (CTC) travaillent étroitement pour rechercher et développer un nouveau processus de traçabilité à partir de cuir brut salé. Nous avons échangé à ce sujet avec Robert Ameteau, Vice-Président du SGCP et PDG du groupe familial COVICO, collecteur et négociant de cuirs et peaux bruts à Angoulême (Charente).

Quel est l’objectif de la traçabilité ? Peut-elle s’effectuer à toutes les étapes de la filière ?

La traçabilité doit permettre à la filière cuir de renforcer son image en garantissant l’origine de ses produits. Nous évoluons dans une ère où la transparence et le travail collaboratif sont plus que jamais d’actualité. La traçabilité se doit donc d’être intégrale, depuis l’élevage des animaux jusqu’à la distribution des produits finis. La France et notre filière se positionnent ainsi en chefs de file grâce à la recherche, le développement et les investissements majeurs qu’elles destinent à cette fin. Depuis trois ans, notre Syndicat professionnel et le CTC ont initié ce projet « filière » impliquant l’ensemble des acteurs du secteur. La traçabilité des cuirs et peaux existe déjà en lot chez les négociants ou dans les abattoirs mais le vrai défi est de travailler encore plus en profondeur pour déterminer la provenance des cuirs à l’unité. Pour le moment, seuls le cuir de bovin et la peau de veau peuvent être tracés car ils suscitent davantage l’intérêt des marques, notamment celles du luxe, pour leur grande taille et la valeur qu’ils génèrent. A contrario, l’agneau possède une peau plus fine et plus légère, et la laine empêche le développement de solutions techniques adaptées dans un temps prioritaire.

Cette démarche résulte-t-elle d’une sollicitation des consommateurs ?

Actuellement, la traçabilité des cuirs et peaux n’est pas obligatoire. Elle existe cependant de manière plutôt traditionnelle et empirique au cœur de chacune de nos entreprises. Elle est effectivement le fruit d’une demande des consommateurs, aujourd’hui davantage tournés vers l’achat réfléchi plutôt que compulsif. Ils souhaitent savoir si tous les acteurs qui ont participé à la réalisation du produit sont rémunérés raisonnablement et connaître l’impact de sa création sur l’environnement. La crise sanitaire a probablement accéléré cette prise de conscience non seulement en France, mais aussi dans le monde entier. Pendant le confinement, les consommateurs ont été stoppés dans leur frénésie de surconsommation et ont compris que la durabilité primait sur la quantité et parfois le prix. Ils se tournent dorénavant vers des produits avec encore plus de sens, d’authenticité et de valeurs humaines. Concernant le cuir, ils sont de plus en plus soucieux de la bientraitance animale. Par ailleurs, la mise en place de cette traçabilité nous oblige à connaître mieux chaque métier de la filière. La communication entre protagonistes est un point clé d’amélioration car elle permet une étroite collaboration afin d’optimiser la qualité des produits, d’intervenir sur des points précis de sensibilisation et de valoriser chaque étape de la chaîne de production.

Le Syndicat Général des Cuirs et Peaux et le CTC développent des processus techniques afin de certifier l’origine des cuirs et ce depuis la ferme d’origine.

Concrètement, par quels moyens peut-on tracer les peaux ?

Tous les abattoirs français disposent d’une traçabilité parfaite pour leurs produits viandes à travers une codification particulière. Ils attribuent sur chaque cuir soit une étiquette reprenant le numéro d’identification – le code IPG, « carte d’identité » unique de l’animal -, soit un numéro chronologique journalier d’abattage. Par conséquent, le CTC a lancé un prototype de marquage laser indélébile en capacité de reproduire ce matricule sur le cuir à l’état brut salé. Ce dispositif a été testé au sein de plusieurs groupes d’abattoirs français, notamment chez nous en interne sur notre site de Touraine Cuirs à Tours. En parallèle, CTC, en collaboration avec les tanneries, met en place un système de lecture automatique de ce numéro par caméra afin de maintenir une traçabilité parfaite, du cheptel jusqu’à la finition et la commercialisation en cuir fini.

À quelle hauteur s’élèvent les investissements ?

Garantir l’origine des cuirs et peaux engage bien évidemment des investissements importants d’un point de vue humain et financier. L’intégration informatique, technologique et opérationnelle du processus au sein de l’entreprise est estimée à plus de 150 000 euros. La traçabilité va devenir un argument commercial et concurrentiel de taille ; toutefois ces dépenses posent encore des limites aux plus petites entreprises qui ne peuvent s’offrir ces installations. Notre syndicat interviendra justement à ce niveau pour les orienter et les accompagner dans leurs démarches. Par ailleurs, la question du retour sur investissement reste en suspens, ce qui peut freiner l’engagement des professionnels du secteur. Cette traçabilité pourra-t-elle rétribuer à leur juste valeur toutes les personnes impliquées dans le processus ? Seuls le temps et le travail continu d’amélioration nous le diront.

La traçabilité est-elle intrinsèquement liée à la qualité ?

Ce n’est que lorsqu’il est tanné que l’on peut apercevoir les défauts d’un cuir. Ils peuvent être d’origine technique c’est-à-dire inhérents à l’élevage, l’abattage ou au transport, ou intrinsèques à la peau de l’animal. Ceux-ci sont simplement les témoins de la vie de l’animal dans son environnement naturel. En ce point, la traçabilité permet de compiler une véritable « défauthèque » capable d’identifier progressivement les lots porteurs de défauts. Nous avons ainsi une connaissance approfondie des problèmes rencontrés et pouvons remonter à leur source pour les rectifier.

Données clés du groupe COVICO

Domaine d’activité : collecte et négoce des cuirs et peaux bruts (bovin, veau, agneau).
Localisation : 5 entreprises disséminées dans toute la France.
Effectif : 48 personnes.
Chiffre d’affaires : environ 20 millions d’euros, dont 85% d’exportations vers l’Europe et l’Asie.

ERRATUM 

Suite à la publication de cette interview, Cédric Vigier, Responsable Département Innovation Technologique de CTC a souhaité apporter un complément d’information. « Nous ne pouvons pas dire que la technologie ne fonctionne pas sur les peaux d’agneaux car les essais sont en cours. Les premiers tests ont été réalisés en août 2020 et j’attends les résultats pour la mi-octobre 2020. Je pense que la technologie sera aussi efficace sur l’agneau que sur le veau avec un process légèrement différent. Nous avons débuté par les peaux de veau car ce sont les plus onéreuses et donc l’amélioration de leur qualité a le plus fort impact financier. Nous travaillons depuis plus de 15 ans sur ce sujet en ayant testé toutes les technologies du marché. Celle déployée est la seule permettant de répondre à la problématique et les erreurs desservent le déploiement de notre technologie. »

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Rédaction Emma Roesslinger

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