Tassin :
gainerie, dorure d’art
et cuir de Cordoue

C’est dans le quartier de tradition populaire du faubourg Saint-Antoine que la maison Tassin s’est établie en 1905.

« Les gens du faubourg Saint-Antoine n’appellent jamais autrement ce quartier célèbre que le faubourg. C’est pour eux le faubourg par excellence, le souverain faubourg, et les fabricants eux-mêmes entendent par ce mot spécialement le faubourg Saint-Antoine. » La Cousine Bette, Balzac

On ne présente plus le « faubourg », unanimement connu et reconnu comme haut lieu de l’artisanat parisien, et plus particulièrement de l’artisanat du bois et du meuble. Menuisiers, ébénistes, ciseleurs et doreurs contribuèrent, entre autres, à la renommée du faubourg, qui connut son apogée aux XVIIe et XVIIIe siècles. C’est dans ce quartier de tradition populaire que la maison Tassin s’est établie en 1905. Elle fait aujourd’hui partie des leaders européens de la distribution de peaux de décoration et cuirs pour la haute décoration en France comme à l’international. Et se distingue tout particulièrement par son savoir-faire ancestral de gainier d’art, de doreur sur cuir et de peintre sur cuir de Cordoue sur des projets d’aménagement intérieur privés ou publics de palaces, bateaux, automobiles et avions.

Entreprise du Patrimoine Vivant

Depuis sa création, les bureaux et les ateliers sont demeurés dans la cour de l’Ours – qui doit son nom à la présence, en son temps, d’un éleveur d’ours -, loin de l’agitation de la rue du Faubourg Saint-Antoine et de ses commerces. Seuls les stocks, largement détruits durant l’incendie qui a ravagé une partie des locaux en septembre 2015, ont été déménagés. Ils sont désormais entreposés à une trentaine de kilomètres de Paris.
Labellisée Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV) en 2006, la maison Tassin figure aujourd’hui parmi les meilleurs spécialistes du cuir d’ameublement grâce à la qualité de ses cuirs et de ses créations. Elle nous a ouvert les portes de ses ateliers parisiens.

Cuir de Cordoue

Nous commençons notre visite par la cave, dans laquelle se trouvent deux machines : l’une très ancienne, bien que toujours en état de fonctionnement, et l’autre résolument moderne. Toutes deux, permettent d’obtenir le précieux cuir de Cordoue.

Le cuir de Cordoue ou Guadamacile est un cuir gaufré ou repoussé d’après une technique datant du XIVe siècle. Issu d’une technique libyenne, il fut importé en Europe par les Maures vers l’an 1000. Tassin est aujourd’hui l’un des rares ateliers européens à gaufrer ce cuir, qui se caractérise par son exceptionnelle robustesse, sa souplesse et ses applications infinies : revêtements de sols et de murs, têtes de lit, paravents, arts du bureau, arts de la table et arts de vivre, dos de livres et fausses bibliothèques…

Une grande variété de plaques à gaufrer et le large choix de motifs et de mises en couleurs (monochromie, bichromie, polychromie, patine, finition vitrail…) contribuent profusément à l’étendue des possibilités d’utilisation.

Dur à cuir

Tout débute par une sélection rigoureuse du cuir. La maison Tassin propose une dizaine de gammes de cuirs différents en plus de deux cents coloris, parmi lesquels des cuirs classiques, des cuirs spéciaux – galuchat, parchemin, autruche, crocodile – et des peaux de décoration ou peaux à poil, particulièrement appréciées pour la décoration intérieure.

Pour le cuir de Cordoue, l’atelier Tassin utilise du mouton en tannage végétal, soit un tannage beaucoup plus long et plus dur qui rend la fleur du cuir extrêmement raide. Cette caractéristique est particulièrement importante lorsqu’il s’agit par exemple de travailler du cuir tendu. La difficulté première réside dans la sélection de peaux de mouton les plus larges possibles, de manière à pouvoir effectuer parfaitement l’assemblage par raccords au moment de la pose chez le client. Que le mouton présente quelques imperfections ne constitue guère un problème en soi, car celles-ci seront cachées par les motifs.

Riche collection

Intervient ensuite le choix de la plaque d’impression. À cet égard, la maison Tassin peut s’enorgueillir de posséder une collection unique de plaques à gaufrer aux dessins traditionnels, régulièrement enrichie par la création de décors plus contemporains.

Les anciennes plaques en laiton ont aujourd’hui laissé la place aux plaques de magnésium, un matériau qui présente pour avantages d’être plus léger, plus facile à travailler et moins cher pour le client – le coût de fabrication d’une plaque pouvant atteindre, selon la complexité de cette dernière, 4000 ou 5000 euros -.

Les plaques utilisées pour le cuir de Cordoue présentent pour la plupart des motifs floraux et animaliers. L’absence de plaque à motifs rectilignes a par conséquent conduit l’atelier à créer quelques plaques, mais surtout à récupérer celle au motif dit « les tours ». Pour la petite histoire, il s’agit d’un motif réalisé il y a longtemps par un autre atelier pour des sièges du célèbre hôtel Negresco, à Nice. Lorsque l’établissement a fait appel à la maison Tassin pour restaurer les sièges en question, l’atelier fut obligé, faute de posséder la plaque d’origine ou de la retrouver, de la faire reproduire à l’identique. Elle fait, depuis, partie de la précieuse collection de l’atelier.

Mise en relief

Une fois la plaque d’impression choisie, le principe du gaufrage est ensuite relativement simple : on chauffe la plaque – cela permet d’obtenir une meilleure empreinte sur le cuir -, on dispose le cuir de mouton entre la plaque et la contre-plaque, on presse une quinzaine de secondes environ – guère plus, sinon le cuir brunit – et l’on obtient une plaque brute, en relief, qu’il faut laisser sécher longuement. Une fois séché, le cuir de Cordoue peut recevoir une première teinte de fond puis éventuellement être doré à la feuille, peint et patiné à la main. Car contrairement aux plaques Henri II qui sont teintes uniquement en marron, les plaques de Cordoue peuvent rester en naturel ou être peintes, sur une ou plusieurs couches, afin de mieux mettre en valeur les détails du cuir repoussé. Chaque pièce, colorée à la main, est unique. Les possibilités de mises en couleurs sont innombrables et permettent aux clients de laisser libre cours à leur imagination en ce qui concerne le choix des teintes et des finitions. L’un d’eux avait ainsi demandé à ce que le cuir soit coloré avec une peinture visible de nuit grâce à une lampe spéciale. La peinture n’étant jamais laissée brute sur le cuir, l’opération ne prend véritablement fin qu’avec la pose d’une patine plus ou moins prononcée qui permet d’estomper l’intensité de certaines couleurs et d’harmoniser l’ensemble.

Mode projet

Ces étapes successives expliquent que la réalisation d’un projet en cuir de Cordoue puisse parfois durer plusieurs mois. Tout dépend en effet de l’ampleur du projet, de sa superficie, du travail de préparation nécessaire en amont – qui peut s’avérer colossal – et des finitions demandées. Si le cuir n’est pas laissé au naturel mais peint sur plusieurs couches, le temps de séchage entre chacune d’elles peut se révéler excessivement long. Pour le Royal Mansour de Marrakech par exemple, la maison Tassin devait travailler sur une surface de 200 m². L’envergure du projet a nécessité la participation de l’ensemble des artisans. Tout a été réalisé au sein de l’atelier parisien avant d’être posé – soit directement sur le mur, soit sur des panneaux en bois démontables et réparables en cas de problème – et minutieusement raccordé sur place à la manière d’un papier peint. L’assemblage par raccords, tant horizontaux que verticaux, est essentiel car tout doit tomber impeccablement.

Gainerie – dorure

Nous terminons notre visite dans l’atelier de gainerie. L’équipe, alors composée de quatre personnes, est quasiment au complet. Les ateliers utilisent encore des outils d’époque. Notre attention est ainsi immédiatement attirée par l’impressionnante collection de plusieurs centaines de roulettes et de poinçons à dorer qui permettent de réaliser ou de restaurer des motifs souvent très anciens. Un gainier-doreur est justement en plein travail : il applique des vignettes à l’or fin sur des dessus de bureau. Il nous explique l’importance de toujours chauffer la roulette avant usage, de façon à ce que le dépôt de l’or adhère bien sur le cuir. La chaleur permet en effet d’obtenir une meilleure accroche. Plus loin, un autre artisan découpe des morceaux de cuir pour gainer des accessoires de bureau. La maison Tassin, qui travaille avec de grands groupes et de nombreux hôtels, propose en effet une large gamme d’objets quotidiens et fonctionnels parmi lesquels des parures et accessoires de bureau – sous-main, corbeille à papier, trieur, pot à crayons …- entièrement fabriqués sur place et gainés pièce par pièce.

Les ateliers utilisent encore des outils d’époque. En témoigne la collection de plusieurs centaines de roulettes à dorer.

Références

Les artisans-gainiers de la maison Tassin se déplacent ainsi dans le monde entier pour satisfaire une clientèle internationale toujours plus exigeante. S’il leur arrive parfois de travailler pour des musées et de réaliser quelques travaux de restauration – essentiellement de sièges, comme ceux qui se trouvent au Château de Maintenon -, cela reste marginal. La clientèle se compose en effet essentiellement de particuliers, d’architectes d’intérieur – parmi lesquels Alberto Pinto, Jacques Garcia, Jean Nouvel ou encore Philippe Stark – ou de décorateurs, qui travaillent eux-mêmes le plus souvent pour des particuliers. La maison Tassin travaille également pour de nombreuses maisons de luxe – joaillier, grande maison de Champagne…- et pour des institutions prestigieuses. Elle a ainsi récemment réalisé des coffrets destinés à abriter les épées des Académiciens. Mais l’une des pièces phares de la maison est sans aucun doute le splendide paravent entièrement conçu sur place et jalousement conservé à l’atelier. Réalisé en cuir naturel, celui-ci compte près de sept teintes de peinture différentes et une finition vitrail pour ajouter de la brillance.

Mieux que du made in France ou du made in Paris, du made in Faubourg.

Tassin en quelques dates

1905 : création par Jules Tassin.
1940 : création de deux entités distinctes : Jules Tassin (peausserie) et Girouy (gainerie) qui deviendra Girouy-Pellerin.
2005 : entreprise reprise par Emeric d’Argoeuves.
2006 : obtention du label Entreprise du Patrimoine Vivant.

Rédaction & photos Garance André

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