Milan sous le signe du design

« The art of Craftsmanship », projet design et campagne visuelle signés Tim Walker pour Tod’s - Photo © Nadine Guérin.

Le Salone del Mobile 2023 a retrouvé toute sa vitalité. La vitrine mondiale du design est le rendez-vous, chaque année très prisé, des acteurs de l’ameublement et de la décoration d’intérieur mais aussi des griffes de la mode et du luxe. Parmi elles, se sont distinguées Hermès, Louis Vuitton, Bottega Veneta, Berluti, Tod’s, Pollini pour leur maestria à magnifier le cuir.
L’édition 2023 fait déjà date. La Milan Design Week a tourné le dos à la pandémie. Plus de 300 000 visteurs ont conforté le come-back, en forme de triomphe, du Salone del Mobile et du Fuorisalone dans la capitale lombarde, à ses dates habituelles, en avril. Milan est sans conteste la rampe de lancement des nouveautés à laquelle le marché ne saurait déroger. L’art de vivre est un secteur en plein essor. Pour les marques internationales de mode, le design représente un terrain de jeu particulièrement inspirant. Des collaborations naissent chaque année plus nombreuses, nourrissant un dialogue innovant, polymorphe. Ce mélange des genres, unique au monde, avait cette année pour fils conducteurs la valeur de l’artisanat, les savoir-faire à sauvegarder ou encore l’utilisation durable des matériaux.

Hermès cultive l’essentiel

Le sellier parisien a pris l’habitude de dévoiler ses créations Maison dans un lieu emblématique, la Pelota, au printemps. La scénographie annuelle, toujours originale, contribue largement à faire de la présentation un événement majeur de la semaine milanaise. Hermès a adopté cette fois un parti-pris radicalement graphique pour son décor construit en tiges de fer patiné et béton. Intitulée « La force de l’essentiel », la collection « puise son esthétique dans une forme de vigueur naturelle et d’épure », précise la marque. En témoigne Ancelle, pièce maîtresse à l’élégance architecturée. Le fauteuil structuré, dessiné par la Danoise Cecilie Manz, s’inscrit dans la veine scandinave. Sa charpente en bois massif contraste avec une « feuille » de cuir de vache naturelle bordée de lin. Le cuir joue aussi le premier rôle sur la chaise Conservatoire, relecture par Jasper Morrison, en taurillon glacé, d’un modèle géométrique des années trente. Quant aux boîtes Patines d’Hermès, elles sont nées du « désir d’associer les deux matières des harnais d’origine » : le cuir de veau et le bronze patiné à la main, dans un savant contraste empreint d’élégance.

Bottega Veneta dialogue avec Gaetano Pesce

L’architecte designer sculpteur né en 1939 est considéré comme une figure non conformiste, avant-gardiste. À 80 ans passés, Gaetano Pesce est toujours aussi audacieux et prolifique. Matthieu Blazy, directeur artistique de Bottega Veneta, le connaît bien. Ensemble, ils ont édité l’ouvrage « Come Stai ? » et, pour le défilé de la collection printemps-été 2023, l’Italien a réalisé un sol sculptural et 400 sièges tout en résine. Une carte blanche créative baptisée « Vieni A Vedere » (Viens voir) a aiguisé la curiosité lors de la Milan Design Week. Pour Gaetano Pesce, le design concentre la puissance brute de la nature. C’est en grotte sinueuse, drapée de résine badigeonnée de traces dans un esprit rupestre, que le luxueux flagship de la via Montanapoleone a été métamorphosé. L’installation immersive n’a pas pour autant négligé le savoir-faire maroquinier de Bottega Veneta. Deux sacs colorés – véritables pièces d’exception – contrastaient avec la blancheur de la résine. Avec My Dear Mountains et My Dear Prairies, Gaetano Pesce avouait s’être lancé pour la première fois dans le design de sacs. « Je souhaitais, dit-il, une vision optimiste. Chez Bottega Veneta, tout est possible et ces deux sacs ouvrent la voie au design du futur en racontant une histoire ». Le premier, en cuir vert tressé, s’inspire des montagnes d’Este où l’artiste a grandi. Quant au second, il fait référence aux étendues verdoyantes du Colorado où il vit aujourd’hui. Il est peint à l’aérographe pour se rapprocher de l’aquarelle initiale de l’artiste et utilise la technique du crochet dans différentes nuances de cuir de veau et d’agneau.

Le cuir de veau est le matériau phare des Objets Nomades de Louis Vuitton. Binda dessiné par Raw Edges se caractérise par un volume généreux au passepoil contrasté - Photo © Bernard Vainchtein.

Nouveaux Objets Nomades chez Louis Vuitton

La collection Objets Nomades, initiée en 2012, compte déjà une soixantaine de pièces d’ameublement et de décoration signées par les designers internationaux les plus influents. Inventives et fonctionnelles à la fois, les créations démontrent toute la polyvalence du cuir mise en œuvre par les artisans de la maison. La nouvelle série, présentée au Palazzo Serbeloni, n’échappe pas à la règle. Le studio de design suisse atelier a livré trois pièces très originales. À commencer par Origami, une sculpture pyramidale composée d’une seule pièce de cuir pliée et fendue. Porte-objets ou objet d’art, à chacun de choisir. Quetzal, avec ses plumes rigides et courbes habillées de cuir, figure un grand mobile décoratif aussi coloré que l’oiseau d’Amérique du Sud dont il s’inspire. La lampe Piva se suspend aussi au plafond. Ses anneaux en verre dépoli entrelacés de larges pétales de cuir tirent leur forme d’une pomme de pin ouverte. Binda est un ensemble plus imposant, créé par le duo londonien Raw Edges. Le canapé et son fauteuil assorti sont des assises sculpturales, dont l’effet tridimensionnel ne fait aucun doute ! Le large dossier épuré, gainé de cuir de veau, accentue la fluidité de ses courbes. La table Basket, elle, a recours à une technique de tressage qu’explore Zanellato/Bartotto depuis la Lantern, l’un des premiers Objets Nomades du duo italien. Un subtil entrelac de bandes de cuir rouge et crème structure le piètement couronné d’un plateau de lave émaillée.

Berluti joue avec la patine

Le fauteuil club fait partie intégrante du décor de la boutique historique Berluti à Paris, depuis les origines dans les années 60. Cette assise enveloppante toute en cuir, née dans les clubs anglais au début du XIXème siècle, est considérée comme le summum du confort. La maison italienne a choisi de la mettre en lumière à Milan, en dévoilant Berluti Interiors, ligne de décoration et de mobilier introduite discrètement dès 2015. La marque a été fondée par Alessandro Berluti, ébéniste de formation devenu maître bottier. Elle est réputée dans le monde entier pour son cuir Venezia et l’art de la patine, développés par Olga Berluti. « Play with patina » donne le ton. L’exposition dans la boutique, située dans le quartier du luxe, réserve la même virtuosité technique au fauteuil club Marbeuf qu’aux souliers et sacs, confectionnés en cuir de veau pleine fleur. Grâce aux pigments et huiles essentielles, les artisans coloristes donnent une transparence et une profondeur uniques au cuir. Les couleurs personnalisables sont infinies. Mais celles, inspirées par la ville de Chandigarh en Inde, insufflent à la rigueur de la ligne Marbeuf une créativité décalée du plus bel effet. Les nuances Utopia Blue, Nespola Orange, Pinjore Garden Green, Sukhna Sunset Purple font vibrer le cuir avec une opulente sophistication.

L’habilité artisanale selon Tod’s et Pollini

« Dans un monde de plus en plus numérique, où tant de produits sont fabriqués à échelle industrielle, la valeur de l’artisanat se révèle encore plus précieuse. » Les propos de Tim Walker résument le projet du photographe britannique entrepris avec la marque Tod’s. Pour réaliser « The Art of Craftsmanship », il s’est « immergé » dans le studio de production à Brancadoro au plus près du quotidien des artisans italiens. Pas de création, en effet, sans artisans expérimentés et leurs indispensables outils… Réputé pour son imagination créative, Tim Walker a présenté une série photographique amplifiant, au sens strict du terme, ciseaux, mètre-ruban, brosse, aiguille à coudre ou encore bobine de fil, utilisés tout au long de la fabrication par des mains expertes. Les proportions géantes recomposent de manière presque surréaliste la précision du geste artisanal, inhérent à la fabrication du mocassin Gommino ou du DBag, emblématiques chez Tod’s. Un mode d’expression ludique qui devrait séduire la jeune génération… Ces images décalées ont été scénographiées dans la boutique milanaise et plus largement au musée des Sciences et de la Technologie Leonardo da Vinci. Elles font l’objet d’une campagne visuelle qui, après Milan, voyagera tout au long de l’année aux États-Unis, en Asie… Autre chausseur « made in Italy », Pollini fête cette année ses 70 ans. La marque, dans le giron du groupe Aeffe, a mis à profit la visibilité milanaise pour remettre au premier plan son ADN artisanal. Sa boutique dévoilait un logo redessiné et une sculpture au nom évocateur. « Mani d’Oro » (mains d’or) figure une main en train de coudre. Entièrement composée de cuirs récupérés dans l’atelier, elle a été réalisée par l’artiste scénographe Elena Borghi. Collection « capsule » et campagne visuelle à base d’archives des sept dernières décennies sont appelées à rythmer cette année de célébration.

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Rédaction Nadine Guérin

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