« Louvre Couture », exploration historique entre la mode et les arts

La théâtralité de la silhouette baroque louis-quatorzienne aux notes punk rock a trouvé un parfait écrin dans cette salle où la robe qui arbore le motif du soleil fait écho au portrait du Roi Soleil, en arrière-plan. Collection Dior Haute Couture AH 2006-07 : robe en organza de soie brodé et peint, bras-armure et casque - Photo © Stéphanie Bui.

Pour la première fois, le Louvre intègre, dans une exposition, la mode. Jusqu’au 21 juillet 2025, « Louvre couture. Objets d’art, objets de mode » poétise la manifestation du geste créatif de la mode à l’aune d’œuvres du Département des Objets d’art. Historique à plus d’un titre.

Le motif de la croix byzantine reste l’une des grandes inspirations dans la mode contemporaine. Collection Atelier Versace, Haute Couture AH 1997-98 : robe longue en mesh de métal, brodée de croix grecques en cristaux Swarovski couleur topaze, col bénitier et léger drapé sur les épaules - Photo © Musée du Louvre - Nicolas Bousser.

Un parti pris audacieux

« Ouvrez l’œil ! Cette commode ? C’est une veste. Cette tapisserie ? Une robe de soirée. Cette céramique ? Une paire de chaussures ! », titille le Louvre. Le plus grand musée du monde nous surprend avec une aventure inattendue, sur les pas des œuvres qui ont pu inspirer 71 silhouettes de mode contemporaine, et une trentaine d’accessoires. Les pièces couvrent l’histoire de la mode entre les années 1960 et 2025, de Cristóbal Balenciaga à Iris van Herpen, exposées dans le Département des Objets d’art, allant du haut Moyen Âge au Second Empire. Une recherche aussi ludique qu’érudite, sous la houlette du commissariat dirigé par Olivier Gabet, assisté de Marie Brimicombe.
À une industrie du textile cristallisant de nombreuses critiques du consumérisme, le Louvre redonne ses lettres de noblesse à une mode façonnée dans les règles de l’art.  Cette « exposition d’auteur » nourrit l’imaginaire stimulé par un dialogue fécond entre la mode et les objets d’art et décoratifs, lesquels n’ont pas été déplacés pour la circonstance. Habilement, le tout est humblement servi par la sobriété d’une scénographie maximisant l’impact de chaque pièce de mode emblématique. « On se rend compte que les œuvres du Moyen Âge et de la Renaissance sont aussi extravagantes et contemporaines, à nos yeux, que les pièces les plus modernes des créateurs de mode », confie, lors de sa visite, Bérénice Geoffroy-Schneiter, archéologue et historienne de l’art de formation, critique d’art, conquise du « choix absolument subjectif et passionnant du commissariat. C’est ce renversement du regard qui me fascine le plus dans cette exposition ».
Là réside le parti pris audacieux du commissariat « soucieux de pas faire de l’ancien palais royal un sublime mais simple écrin prestigieux pour la mode, dans la foulée du grand succès des expositions du genre », insiste Olivier Gabet, par ailleurs ex-Directeur Général adjoint du MAD et directeur du Musée des Arts décoratifs. « Alors que la création contemporaine est très présente dans les salles du Louvre, il était un peu étonnant que la mode, un des champs les plus créatifs de notre époque contemporaine, ne soit pas invitée, à un moment donné, dans les salles du musée pour en parler d’une certaine manière. » De façon particulièrement rare,  ce ne sont pas les professionnels de la profession qui observent et pensent la mode, mais des historiens d’art.

Nombreux sont les créateurs de mode à s’être inspirés de l’armure. Aux côtés des robes suspendues signées Paco Rabanne, Balenciaga, Loewe et Gareth Pugh, des accessoires sont dévoilés dans les vitrines : Chanel, Mugler, Paco Rabane, Van Dinh… - Photo © Musée du Louvre - Nicolas Bousser.

L’esprit du « moodboard »

Sur près de 9 000m2 de salles et galeries, le visiteur déambule sur ce terrain d’influence qu’a toujours été le Louvre pour les artistes et les créateurs de mode, dont Karl Lagerfeld qui, précise le commissaire d’exposition, « connaissait par cœur » les collections du XVIIIe siècle. « Je suis superficiel, mais il faut voir aussi la taille de la superficie », ironisait le géant de la mode. Dans la peau d’un créateur de mode, le visiteur flâne, au gré de délicieux surgissements de tableaux d’humeur ou planches d’ambiance, soit le moodboard évoqué, ici, à partir du rapprochement entre pièces de mode et objets d’arts, construits de façon érudite ou sensible, visuelle ou profonde, commente Olivier Gabet. L’esprit du moodboard, fil rouge du catalogue de l’exposition, irrigue, de même, la flânerie. Car le visiteur a rendez-vous avec l’inattendu, toujours. Que ce soit dans l’imposante salle où trône, aux pieds d’un portrait de Louis XIV, la majestueuse robe aux notes louis-quatorziennes de John Galliano pour Dior (AH 2006-07), ou devant une modeste vitrine où l’œil surprend des damiers jaune miel et brun chaud, colorant semblablement des céramiques et un soulier Louboutin réinterprétant, avec extravagance, le modèle de la chopine en velours et cuir de Cordoue (95). Une exposition d’autant plus inédite par ses pièces de mode principalement issues de collections privées.

Croix, dame à la licorne et éclectisme

La précieuse robe en maille dorée brodée de croix byzantines de Gianni Versace (AH 1997-98), les courbes finement ponctuées de feuilles d’acanthe brodées de Dries Van Noten (PE 2017), la gothique robe cathédrale de Iris van Herpen (PE 2012), la flamboyante figure du Troubadour de Galliano pour Dior (AH 2006-07) ou encore le surnaturel buste-reliquaire convoqué par Daniel Roseberrypour Schiaparelli (PE 2003) … De Byzance et du Moyen Âge, les créateurs de mode ont puisé la puissance visuelle et esthétique, voire spirituelle pour Marine Serres, subjuguée par la figure de la Dame à la Licorne. « J’aime le symbolisme du Moyen Âge, sa manière de raconter des récits mystiques et métaphysiques. »

Arme, armure, uniforme

Sur les pas de la Renaissance, la flânerie surprend au détour d’une percutante immersion dans le vocabulaire guerrier et chevaleresque empoigné par les créateurs. Armes, armures et uniformes sont vaillamment déployés : du gant bijou en métal doré ajouré dans un motif de dentelle par Karl Lagerfeld pour Chanel (Métiers d’art 2007-08) à la bague des amours incassables née de la collaboration entre Paco Rabanne et Dinh Van (67), en passant par le sac en cuir et métal aux airs de mini bouclier aristocratique chez Louis Vuitton (AH 2020-21), ou encore l’inébranlable robe en armure imprimée en 3D, façonnée dans une résine galvanisée puis polie et chromée par Demna pour Balenciaga (AH 2023-24)…

Quintessence du raffinement

Sans pour autant oublier l’influence du style du Second Empire sur la démesure de silhouettes haute couture contemporaines, comment ne pas s’attarder sur son prédécesseur, le fastueux XVIIIe siècle, éternellement indissociable de l’art de vivre à la française, et source d’inspiration inépuisable pour les créateurs. Même si la plupart des références s’apparentent davantage à des réinterprétations du vêtement de l’époque, s’illustrent des « indices » d’inspiration du style décoratif : un écho au mobilier Louis XV avec un sac à l’allure d’une commode miniature dotée de petits pieds en laiton doré, orné du goût du trompe l’œil de Schiaparelli (AH 2021-22), les porcelaines de Wedgwood dont raffole Christian Louboutin pour leurs douces notes ludiques à l’origine de la botte Wedgwood (PE 1994) et bien plus encore… Se distingue la figure de Karl Lagerfeld à qui un passage particulier consacré au style du siècle des Lumières est réservé. Le visiteur y découvre la précieuse Tabatière du duc de Choiseul, dont il possédait des reproductions photographiques mises en valeur dans les photos du couturier chez lui, dans les années 90. Enfin, autre inspiration notable du couturier : l’éclatante parure de saphirs de la Reine Marie-Amélie et de la Reine Hortense dont le couturier a paré Inès de la Fressange, habillée en robe de soie Chanel, pour une séance photo, dans la Galerie d’Apollon. Une photo devenue l’une des cartes postales les plus vendues des Musées nationaux en France (RMN), après le portrait de Mona Lisa. La mode au Louvre : une évidence !

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Rédaction Stéphanie Bui

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