Le cuir de Cordoue est-il né … à Cordoue ?

Antichambre du château de Fontainebleau - Photo © Château de Fontainebleau - Les Carnets d’Igor.

C’est une tradition artisanale séculaire dont se revendique la ville andalouse de Cordoue. Mais les célèbres cuirs polychromes et dorés qui ont fait la réputation de la cité espagnole au Moyen-Âge et à la Renaissance sont-ils réellement nés en Andalousie ?
Ce qu’on appelle cuir de Cordoue, ou « Cordobane », est originellement un cuir de chèvre ou de mouton tanné végétal, puis travaillé en termes de formes et d’ornementations. Après l’application de feuilles d’argent et d’un vernis jaune pour imiter la dorure, il peut être réhaussé de couleurs et de décors en reliefs imprimés, puis enrichi de motifs ciselés à l’aide d’outils spécifiques.

Les origines libyennes du cuir de Cordoue

Les cuirs dorés et peints apparaissent à Cordoue au IXe siècle. Très vite, la ville développe son expertise et son réseau d’ateliers qui exportent dans toutes les cours aristocratiques d’Europe, pour habiller les murs des riches demeures et décorer les meubles les plus luxueux. Mais cette technique de travail et d’ennoblissement du cuir est en réalité bien plus ancienne. Elle se retrouve des siècles auparavant dans la ville de Ghadamès en Lybie, qui donnera aux premiers cuirs ainsi traités et exportés le nom de « guadamaciles » puis « guadamecies ». C’est ensuite lors de la conquête de la péninsule ibérique par les Maures au début du VIIIe siècle que cet artisanat libyen s’importera dans le califat de Cordoue, où il se développe grâce aux savoir-faire des artisans musulmans.

Salle à manger du château de Maintenon - Photo © Château de Maintenon - Fondation Mansart.

Une technique ancestrale

La technique originelle des « guadamecíes » répond à des critères stricts. Une peau de mouton « sain et fraîchement tué », appelée basane, était préparée par immersion dans l’eau, battue et essuyée, puis étendue sur une pierre polie. Une colle spéciale était ensuite appliquée pour fixer les feuilles d’argent.
Après séchage, l’argent était bruni à l’aide d’un brunissoir. La peau était alors pressée avec une planche en bois gravée de motifs et encrée de résine de cyprès, la sadaraque, ou de noir de fumé (pigment obtenu à partir de résidu de matières carbonisées). Les dessins imprimés étaient ensuite enrichis avec de la peinture à l’huile. Les règlements espagnols de l’époque indiquent, en outre, que la dimension de chaque cuir ne peut excéder 75 x 65 centimètres.

Le cuir de Cordoue : de l’âge d’or au déclin

Les cordobanes connaissent leur apogée au XVIe siècle, où ils sont désormais produits sur tout le territoire espagnol. Mais la Reconquista de l’Espagne par Philippe III au début du XVIIe siècle, suivie de l’expulsion des Maures qui maîtrisaient cet artisanat, réduit considérablement la production de cuir de Cordoue. Une décroissance à laquelle s’ajoute une concurrence qui se renforce partout en Europe, conduisant peu à peu au déclin du monopole ibérique.

Château de Maintenon - Photo © Château de Maintenon - Fondation Mansart.

L’essor des cuirs peints européens

Déjà au XVe siècle, alors qu’une partie des Pays-Bas passe sous domination espagnole, la Flandre tend à se spécialiser dans la fabrication de cuirs dorés et peints, faisant une ombre grandissante aux productions hispaniques. Cependant, au-delà des importantes manufactures qui fleurissent dans la région, c’est surtout l’innovation qui va révolutionner cet artisanat et faire le succès des cuirs flamands et hollandais.
Ainsi, en 1628, Jacob Dircxz de Swart met au point une technique d’impression au repoussé permettant des reliefs plus accentués et des décors plus raffinés. Cette méthode, rapidement adoptée dans toute la Flandre, inaugure la production de cuirs d’une qualité exceptionnelle, dont la créativité artistique est alors inégalée. Les décors se font multicolores, se diversifient et se complexifient : motifs baroques, guirlandes fleuries et végétales, personnages. C’est la naissance de ce qu’on appellera plus tard les « cuirs peints de la Renaissance », plus sophistiqués encore que leurs cousins andalous, que l’on continuera néanmoins à nommer « cuirs de Cordoue » par tradition.
Les Pays-Bas n’ont cependant pas le monopole. Dès la fin du XVIe siècle, les artisans du cuir français s’organisent en corporation, tout comme en Allemagne ou à Venise ; et au début du XVIIIe, la France prend la tête de la production avec des décors « à la française » plus légers, raffinés et symétriques. Par ailleurs, jusque-là limités à la taille des peaux, les artisans ont innové dès le XVIIe siècle avec un nouveau procédé de collage qui permet de créer des œuvres de grandes dimensions en assemblant différentes lés, renouvelant l’usage et le succès des panneaux de cuir décoratifs.

Le cuir de Cordoue : oubli et renaissance

À l’aube du XIXe siècle, le goût et la mode pour le cuir de Cordoue sont dépassés, voire ringardisés, au point de négliger la conservation des pièces existantes – peu nous sont ainsi parvenues du Moyen-Âge ou de la Renaissance. Les techniques de travail des cuirs dorés et peints tombent alors dans l’oubli.
Il faut attendre le milieu du XIXe, et la vogue de l’éclectisme et de l’historicisme, ce goût pour le mélange des styles et des arts décoratifs des siècles passés, pour que ressurgisse le cuir de Cordoue dans les riches maisons bourgeoises et aristocratiques. Il ne s’agit cependant pas, ici, de reproduire des tableaux en cuirs peints, mais plutôt de remplacer la toile murale, ou plus tard le papier peint, par des lés de cuirs embossés, dorés et peints.
Plusieurs lieux de notre patrimoine en présentent encore de beaux exemples aujourd’hui, comme la salle à manger du château de Maintenon, en Eure-et-Loir, dont les murs ont été recouverts d’un cuir de Cordoue aux motifs floraux vers 1850-1860 par Paul de Noailles, propriétaire de l’époque ; l’antichambre de l’appartement des Reines Mères du château de Fontainebleau, en Seine-et-Marne, qui présente un cuir de Cordoue de style néo-gothique, commandé par l’empereur Napoléon III au Second Empire (1852-1870) ; ou encore le salon Cordoue – qui porte bien son nom – de l’Hôtel Pereire érigé à partir de 1879 aux abords du parc Monceau à Paris, et aujourd’hui siège de la Fondation Del Duca.
Si les procédés techniques ne sont plus exactement les mêmes que ceux d’origine, ces exemples récents restent un témoignage précieux du travail unique autour du cuir décoratif. Quant aux cuirs de Cordoue et de la Renaissance plus anciens, redécouverts à la fin du XXe siècle, ils bénéficient aujourd’hui d’une attention toute particulière et de rénovations portées par des artisans qui ont sur retrouver le goût et la technique de savoir-faire ancestraux.

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Rédaction Igor Robinet-Slansky

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