Ganterie Agnelle : mains de maître

Célèbre marque de gants, Agnelle est aussi une manufacture reconnue par de grandes maisons qui lui confient leur fabrication. Traditionnel et authentique, son savoir-faire ne s’en prête pas moins volontiers à la créativité. Portrait d’un parfait sous-traitant.

Métier d’art, métier rare

Disparu des écoles, le savoir-faire de gantier est maintenant entièrement détenu et entretenu par les gantiers eux-mêmes. Basé à Saint-Junien, dans le département de la Haute Vienne, depuis plus de quatre-vingts ans, Agnelle en est un des derniers gardiens. Aussi est-elle aujourd’hui le partenaire de nombreuses marques qui lui délèguent leur fabrication. Grâce à ses deux ateliers, à Saint-Junien et aux Philippines, depuis la fin des années 1980, elle peut répondre avec réactivité à tous les types de demandes. Mais, comme le précise sa dirigeante Sophie Grégoire, « les commandes pour les grandes maisons sont fabriquées à Saint-Junien et le made in France y est intégralement réalisé ». Riche de tout un passé, elle met ses archives à disposition des stylistes pour qu’ils y puisent leur inspiration. Et à partir d’un simple dessin, elle peut mettre au point un prototype en moins de trois semaines. « Au sein des ateliers, les différents employés sont très polyvalents… La sous-traitance représente 20 à 30 % de notre activité », indique la cheffe d’entreprise. Labellisée EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) depuis 2006, Agnelle est également inscrite au registre des « Métiers d’Art Rares » de l’UNESCO depuis 2011.

Coups de mains

Il faut dire que le processus, pour passer d’une peau à un gant confortable et résistant n’est pas aussi simple qu’il n’y paraît et qu’il demande une belle maîtrise. Il se divise en deux séries d’étapes. La première, dite de coupe, débute par la réception des peaux et la vérification de leur souplesse, de la conformité de leur teinte par rapport à la commande et de leur épaisseur. « En les manipulant et en les étirant, on sent la souplesse des peaux et on voit comment elles se comportent », explique Olivier Granet, coupeur en titre de la maison. « On mesure l’épaisseur avec un appareil appelé pige ; elle est en général de 0,5 mm pour les gants pour femmes et 0,65 mm pour les gants pour hommes. La couleur est contrôlée à l’œil nu, en se référant au contretype fourni par le client, sur la totalité du lot de peaux. » Ces dernières sont ensuite classées par grade de qualité, les plus parfaites étant réservées à la confection des gants unis. Afin de les préparer à la coupe, elles sont d’abord assouplies en humidifiant leur côté chair puis étirées sur le bord d’une table. Ce geste typique des gantiers, donne un « sens » au cuir afin de le stabiliser, du poignet vers l’extrémité des doigts. « En l’étirant ainsi, on voit également si la peau ne craque pas et si d’éventuels défauts apparaissent », ajoute l’artisan. On procède ensuite à la coupe aux ciseaux de rectangles de différentes dimensions qu’on étire encore puis qu’on place dans une presse pour exécuter la découpe, à l’emporte-pièces, des différentes parties du gant : recto, verso, pouce et fourchettes formant les entre-doigts. « Les gabarits utilisés tiennent compte des tailles de gants bien sûr, précise le technicien. En général, on coupe deux paires dans une même peau. Il faut compter vingt à vingt-cinq minutes pour enchaîner toutes ces étapes ». Si le modèle comporte une fantaisie, comme une application, une broderie ou une perforation, celle-ci est effectuée à ce stade, à plat.

Les différents morceaux sont assortis afin d’éviter des décalages de teinte.

Sous toutes les coutures

La deuxième phase de la fabrication regroupe les opérations de couture qui, après assortiment des pouces et fourchettes aux mains, vont « fermer » le gant, généralement cousu à l’envers. « On pratique des coutures Brosser – du nom de la machine utilisée – ou des coutures sellier avec un fil de coton », détaille la responsable de l’atelier couture, Evelyne Bouleau. Les machines à coudre pour la ganterie sont particulières, avec deux disques qui tournent face à face et une aiguille à l’horizontale. « On doit parfois se talquer les mains pour éviter de tacher le cuir avec la transpiration. » Le gant est alors remis à l’endroit pour vérifier sa régularité puis de nouveau retourné pour fixer la doublure, en soie, en cachemire, en laine ou en fourrure. « La doublure est fixée à l’extrémité de chaque doigt et tout autour du poignet », indique la contremaîtresse. Les étiquettes de taille, de composition et de marque sont ensuite posées. Enfin, les paires sont enfilées sur des mains en métal chauffées pour les repasser de l’intérieur avant d’être appariées par un petit fil.

Tous les morceaux sont assemblés par couture sur des machines spéciales, à aiguille horizontale.

Cuirs particuliers

Les peaux utilisées en ganterie sont spécifiques, « plutôt petites, entre quatre et six pieds », précise Sophie Grégoire, « très souples avec beaucoup de prêtant, mais aussi résistantes car elles sont sensiblement amincies et bien sûr avec une belle fleur ». L’agneau est le cuir idéal pour cet accessoire requérant souplesse et solidité. Mais le choix est plutôt limité : « du plongé principalement ; pas d’article pigmenté, à moins d’un finissage élastique qui ne craquelle pas à l’usage et pas d’articles embossés car les peaux sont trop fines pour garder l’impression » résume la dirigeante. « Nous prisons particulièrement l’agneau éthiopien qui présente une fleur plus fine grâce à son alimentation moins grasse » confie son collaborateur saint-juniaud. Les cuirs exotiques, python et croco, « trop difficiles à retourner », comme le déplore sa collègue, ne sont utilisés qu’en décor, sur le dessus de la main par exemple. Le cerf, « qui se travaille comme l’agneau » selon les dires du coupeur, est une belle alternative pour peu qu’on aime les cuirs grainés. Enfin, le pécari est considéré comme le nec plus ultra de la ganterie pour son rapport solidité-souplesse. « Il épouse complètement la main ! » s’extasie l’artisan. Mais la petitesse des peaux et les nombreux défauts dus à sa vie sauvage ne permettent de couper qu’une paire ou une paire et demi dans chaque peau, en générant beaucoup de chutes.

Partenaire idéal

Licenciée de Christian Dior pendant de nombreuses années, l’entreprise limousine a travaillé pour les plus grands noms des années 1980 : Yves Saint Laurent, Sonia Rykiel, Azzedine Alaïa, Claude Montana, Jean-Paul Gaultier, Thierry Mugler, Christian Lacroix lui ont lancé les pires défis. Aujourd’hui encore, c’est naturellement vers elle que se tournent les grandes maisons pour faire confectionner leurs créations les plus folles comme les plus sobres. Loewe, Celine, Lanvin, Marc Jacobs, Rodarte, Rick Owens et d’autres encore s’en remettent à elle aveuglément pour compléter leurs collections vestimentaires de ce symbole d’une élégance aboutie. « C’est une belle reconnaissance, reconnaît la dirigeante. Mais nous apprécions aussi de collaborer avec de jeunes créateurs, comme les étudiants de La Cambre ou de l’IFM, qui nous font toujours progresser ». Comme quoi talent rime souvent avec modestie.

Inscrivez-vous à la Newsleather pour recevoir nos articles à votre rythme et selon vos préférences de thématiques.

Rédaction François Gaillard
Photos © Adrien Poznanski

j'AIME
TWEETER
PIN IT
LINKEDIN
Cuir Invest

Consultez
les derniers articles
de la rubrique

Fermer