Foulons et Palissons fait revivre la tannerie

Mathieu Gounon est responsable rivière tannage à la Tannerie d’Annonay. Il a créé Foulons et Palissons pour sauvegarder l’histoire des industries du cuir à Annonay.

Annonay est un berceau historique du cuir. La ville a même été la capitale mondiale de la mégisserie de chevreaux à destination de la ganterie au XIXe siècle. C’est pour valoriser et diffuser le patrimoine que Mathieu Gounon, depuis dix ans à la Tannerie d’Annonay, a fondé l’association Foulons et Palissons en 2023.

Quand la peau devient cuir

Mathieu Gounon connaît l’histoire de sa ville sur le bout des doigts ! Il est titulaire d’un Master d’Histoire et l’auteur d’un ouvrage de référence, « Tanneries et Mégisseries d’Annonay. 1815-2015 ». Pour lui, « le cuir revêt une importance particulière. Je l’ai d’abord étudié de manière théorique à travers ma formation puis rapidement de façon pratique ». Il débute en effet en tant qu’ouvrier parcheminier à la parcheminerie Dumas, fondée en 1936. Il rejoint ensuite la Tannerie d’Annonay, née dix ans plus tôt, et la dernière, aujourd’hui, encore en activité dans la ville. Mathieu Gounon y occupe divers postes avant de diriger le secteur rivière-tannage, depuis 2017. « Le travail de rivière doit son nom au fait qu’il s’est longtemps effectué sur la berge même de la rivière », explique-t-il. Les diverses opérations qui le composent consistent à épiler, réhydrater la peau brute, la préparer au tannage qui la rendra imputrescible. « Chaque peau est unique, poursuit l’Annonéen. Notre travail a beaucoup d’importance pour la suite du process et la qualité des cuirs finis. C’est un métier où la transformation est particulièrement impressionnante. » L’association qu’il préside célèbre justement le savoir-faire de la tannerie. « Je trouve le nom Foulons et Palissons très beau et suffisamment significatif, ajoute-t-il, car il réunit le travail humide, réalisé dans des foulons, et celui de la finition, quand on palissonne pour assouplir le cuir. Il y a une certaine poésie. Il est aussi intemporel et universel. C’est également un emprunt direct à un documentaire des années 80 sur la dernière mégisserie d’Annonay. »

La Cance entourée des anciens bâtiments en pierre et brique de la tannerie Meyzonnier.

La tannerie en pleine expansion

Au pied des Monts du Vivarais, la ville d’Annonay remplit toutes les conditions pour que la tannerie prenne tout son essor. Terre d’élevage, eau pure des rivières, la Cance et anciennement la Deûme, aujourd’hui couverte par l’Avenue de l’Europe… Un premier artisan de la peau est mentionné en 1246. À la veille des guerres de religion, les tanneurs travaillent les grandes peaux (vaches, bœufs) tandis que les mégissiers apprêtent les plus petites (agneaux, chevreaux). « En 1721, Annonay comptait 80 mégissiers – appelés à l’époque « blanchers » – et une cinquantaine de tanneurs. La ville est considérée comme le premier centre de tannerie du Vivarais. Alors que le premier vol des frères Joseph et Étienne Montgolfier, en 1782, met la ville en pleine lumière, l’industrie ardéchoise du cuir s’apprête à vivre son âge d’or. « Il n’y avait pas une seule famille qui n’était pas concernée par le travail de la peau, souligne Mathieu Gounon. La tannerie française du XIXe siècle est alors en plein essor. Elle innove, exporte, embauche. Les familles Seguin, Duret, Bechetoillefont d’Annonay une place de négoce et de commerce active. Sept millions de peaux de chevreau sont produites pour la ganterie ». Trois tanneries, en particulier, se développent. Il s’agit de Meyzonnier, Franc, Ribes/Combe. Une qualité spéciale de veau ciré, mise au point trois décennies plus tard pour la chaussure, connaît un vif succès. « La production de box calf à Annonay est l’une des plus importantes en France et en Europe, précise Mathieu Gounon. Elle prend le pas pendant l’entre-deux-guerres sur la mégisserie en déclin. » Les industries du cuir, qui n’ont pas fermé dans les années 50, finissent par se regrouper. Tel Meyzonnier, qui renaîtra en 1975 sous le nom de Tannerie d’Annonay après un long conflit social.

Publicité de la tannerie Ribes devenue Tannerie d’Annonay. Vers 1910

Entretenir la mémoire

« Annonay a connu un développement et une concentration des principales activités des peaux et cuirs uniques en France, souligne Mathieu Gounon. La mémoire annonéenne autour de ces industries tend malheureusement à disparaître. » Ne restent en effet aujourd’hui que deux maroquineries, Mavica et Maroquinor. La parcheminerie Dumas, où a débuté Mathieu Gounon, a continué à se distinguer après avoir fourni les tambours de la Garde républicaine et développé le cuir décoratif. Sa spécialisation dans la fabrication de parchemin pour les métiers d’art lui a valu une inscription à l‘inventaire des métiers d’art rares ainsi que la labellisation Entreprise du Patrimoine Vivant (EPV). La Tannerie d’Annonay, elle, a réussi à maintenir la tradition dans la fabrication française de cuir de veau. Elle est même devenue une référence mondiale dans le tannage box, un process très prisé optimisant la résistance et la transparence du cuir. Désormais dans le giron du groupe Hermès Cuirs Précieux (HCP), l’entreprise annonéenne compte parmi les fleurons sur la scène internationale du luxe. Foulons et Palissons prévoit d’ailleurs de lui rendre hommage en 2025 à l’occasion des cinquante ans de l’occupation de la Tannerie d’Annonay, suivie de son redémarrage et de sa renaissance. « Sans ce combat, assure Mathieu Gounon, il n’y aurait plus aucune tannerie à Annonay. » En attendant cette date anniversaire, il multiplie les actions, à la tête de l’association, pour raviver le souvenir et raconter un pan de l’histoire du patrimoine. Conférences, visites guidées, publications… Foulons et Palissons ne manque pas de projets !

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Rédaction Nadine Guérin

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