À Saint-Junien, en Limousin, dans une région historique du cuir, Daguet confectionne les ceintures pour le compte de marques haut de gamme et luxe. Avec maîtrise et passion, il se plie aux quatre volontés de clients exigeants.

À la célèbre citation de Pierre Corneille, « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », on pourrait ajouter : « surtout quand elles sont passionnées ». Comme l’illustre la carrière précoce dans le cuir de Thibault Favre d’Echallens, puisqu’il avait à peine 24 ans quand il reprit l’entreprise qu’il allait ensuite rebaptiser Daguet. Mais revenons au début de l’histoire et remontons à la fin des années soixante, lorsque André Reijasse, autodidacte mais passionné lui aussi, fonda l’entreprise de fabrication de ceintures Médicis. « Celle-ci compta jusqu’à 35 employés et atteignit une production de 200 000 unités par an » rappelle son digne successeur. Mais la première guerre du Golfe, au début des années 1990, frappa l’entreprise de plein fouet et le fils, Claude Reijasse, alors aux commandes de l’affaire, dut réduire la voilure pour faire face à une chute des commandes. Une fois cette épreuve passée, « il a remonté un atelier avec une équipe resserrée et gravi en gamme ». C’est dans cette petite structure que Thibault Favre d’Echallens, alors jeune maroquinier, arrive dans l’entreprise en 2001 pour y faire son stage de compagnon. « Après deux ans dans l’entreprise, j’ai vécu d’autres expériences à l’étranger. Mais lorsque Claude Reijasse est parti en retraite, en 2009, il m’a contacté pour me proposer de reprendre la société » raconte le dirigeant encore sous le choc de sa décision radicale.

L’activité de sous-traitance pour le compte de marque de mode génère 95 % du chiffre d’affaires de Daguet.

La ceinture, sans restriction

« À l’époque, 70 % de l’activité provenait du commerce via les détaillants multimarques. La qualité n’était pas très poussée et l’entreprise ne faisait aucune sous-traitance » se souvient Thibault Favre d’Echallens. Celui-ci partit donc en prospection avec l’intention de perfectionner le savoir-faire de l’entreprise pour servir des marques haut de gamme. Et c’est auprès des bottiers, son autre passion, qu’il décrocha ses premières commandes. « La ceinture est un bon complément pour les chausseurs ou les maroquiniers » note le dirigeant. Petit à petit, la société se diversifie dans la maroquinerie. Et son développement s’accélère jusqu’à employer 15 personnes et obtenir le précieux label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) en 2011. Mais l’affaire subit un nouveau coup dur avec l’effondrement du réseau des détaillants indépendants et doit revoir sa stratégie. « En 2014, je décide d’orienter l’activité vers la sous-traitance de ceintures pour le haut de gamme et le luxe, en petites séries ou à la pièce. La marque Daguet ne perdure que pour la maroquinerie et les ceintures que nous vendons dans notre magasin d’usine » témoigne le Manager. Aujourd’hui, l’effectif est revenu à dix salariés et la ceinture – 65 % pour homme et 35 % pour femme – représente 90 % de l’activité. La production annuelle oscille entre 20 et 30 000 pièces. Et la sous-traitance génère 95 % du chiffre d’affaires, les 5 % restant provenant du magasin d’usine. « Notre service convient bien aux griffes naissantes ou aux marques de souliers ou de prêt-à-porter établies qui veulent compléter leur offre avec de la ceinture haut de gamme, dans des quantités limitées », vante Thibault Favre d’Echallens. Nous proposons deux gammes : un premier niveau pour des ceintures classiques bien finies et un second niveau que j’appelle le « no limit » pour le grand luxe. Nous sommes capables de livrer en 15 jours des pièces sur-mesure. L’entreprise compte une cinquantaine de clients, pratiquement exclusivement en France ».

Teinture des tranches au tampon, jusqu’à 5 couches. Daguet a obtenu le précieux label EPV (Entreprise du Patrimoine Vivant) en 2011.

Le sens du service

Les méthodes de travail de Daguet sont assez similaires à celles d’autres sous-traitants. Si ce n’est que, pour Thibault Favre d’Echallens, la rencontre est primordiale. « Lorsqu’un client nous démarche, je l’invite une journée afin qu’il constate l’étendue de notre savoir-faire et soit sûr de vouloir collaborer avec nous. Après une première discussion pour cerner le projet, je lui fais visiter l’usine. Certains clients viennent avec une idée très précise ; d’autres attendent davantage de conseil. Nous assistons le client dans son choix de boucles et de cuirs, mais nous le laissons acheter ses matériaux. Quand le produit est au point, nous fabriquons un prototype et nous nous mettons d’accord sur la finition. Une tête de séries de cinq pièces à la couleur est ensuite lancée, que nous faisons valider par le client. Une fois cet accord obtenu, la première commande peut être honorée. Entre la prise de contact et la première commande, il peut s’écouler jusqu’à une année ». Le savoir-faire de Daguet lui permet de répondre à des demandes relativement standards comme à des requêtes nettement plus atypiques pour réaliser des modèles iconoclastes et complexes voire des exemplaires uniques. « Certains modèles particulièrement sophistiqués peuvent atteindre mille euros en boutique » note l’artisan chevronné.

La règle de l’art…et plus si affinité

La fabrication d’une ceinture n’est pas aussi simple qu’elle en a l’air et comporte de multiples opérations. La première est la coupe des lanières pour l’extérieur de la ceinture et pour sa doublure. La découpe se fait avec une machine manuelle ; mais l’entreprise a récemment investi dans une machine à découpe numérique pour les prototypes et les formes non rectilignes. La pointe de la ceinture est coupée à l’emporte-pièce. Les lanières sont ensuite amincies – refendues dans le jargon – avec une moindre épaisseur sur les bords pour faciliter la couture et donner du bombé à la ceinture. Les deux parties – extérieure et doublure – sont alors encollées avec une colle à l’eau non polluante et superposées après deux à cinq secondes de séchage. Un renfort peut être intercalé entre les deux lanières pour stabiliser le montage de la ceinture et lui donner plus de rondeur. Une surtaille des bords permet d’obtenir la largeur exacte, les trous sont percés à la machine et la gravure de la taille et de la marque est faite à chaud sur la pointe ou au milieu de la ceinture, à l’endroit ou à l’envers. Parallèlement, la patte qui porte la boucle est coupée ainsi que le passant. Après la teinture manuelle des tranches – jusqu’à 5 couches – le piquage d’une couture apporte solidité et esthétique à la ceinture. « Le client peut choisir la couleur du fil, la longueur du point » précise l’ancien Compagnon devenu patron. Les pattes de l’enchapure qui va tenir la boucle sont cousues à la main puis fixées sur la ceinture et le passant est monté.

Le cuir dans la peau

Bien sûr, le cuir occupe une place privilégiée dans l’entreprise. Une pièce entière des 850 m² de l’atelier lui est d’ailleurs consacrée. « Nous employons essentiellement du cuir de bovin, vachette et veau, et des cuirs exotiques comme le python, le serpent Karung, le lézard et bien sûr le croco », décrit ce passionné, confessant un penchant assumé pour les cuirs gras. « Le cuir ne doit pas avoir de prêtant. Pour cette raison, nous utilisons des peaux cadrées et jamais d’agneau par exemple. Nous travaillons des articles aussi bien embossés ou lisses que du veau box, provenant de tanneries françaises comme Rémy Carriat ou Degermann. Toutes nos doublures sont en bovin végétal de la tannerie Masure, lisse ou nubucké. En croco, nous confectionnons les ceintures à partir d’une seule peau, sans couture. Celui-ci provient de Cuirs de Lagny. Certains clients désirent parfois une finition patinée, ce qui nous oblige à monter la ceinture en crust. » La souplesse est définitivement un atout maître de Daguet.

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Rédaction François Gaillard 

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