Le 11 septembre, la filière cuir tenait ses cinquièmes assises dédiées au développement durable. Plus de 400 participants ont pu écouter les discours et échanges de 28 experts venus de nombreux pays. Retour sur les débats de l’après-midi d’une journée riche et éclairante.
Deux cadres de Zadig & Voltaire ont présenté à l’assistance le contenu du projet VoltAIRe lancé il y a deux ans par la marque pour concrétiser sa politique RSE. « Avec ce projet, Zadig & Voltaire s’engage à fabriquer des produits durables, c’est-à-dire d’abord qui durent dans le temps, et qui respectent les hommes, les animaux et l’environnement, énonçait d’entrée Hélène Jessua, Directrice Développement Durable de la griffe. Cela passe par une transformation profonde de nos produits et notamment des matières que nous utilisons et par la formation de nos équipes et partenaires. Pour ce projet, nous nous faisons accompagner d’experts extérieurs à l’entreprise et nous appuyons sur les certifications existantes. L’objectif est aussi de proposer 100% de produits tracés en 2025. » Pour la collection automne-hiver 2023, 85% des matières utilisées sont certifiées, les sneakers comportent 30% de matière recyclée et tous les cuirs sélectionnés proviennent de tanneries certifiées LWG (Leather Working Group). « Nous voulons élever la certification de nos tanneries fournisseurs au niveau silver », annonçait la Directrice des Accessoires, Hélène Billard. Avant de détailler les différents points du projet qui permettront d’en atteindre l’objectif : réduction des impacts liés aux matières premières et aux process de fabrication ; lutte contre la déforestation ; éco-conception des produits pour en maximiser la durée et minimiser l’empreinte carbone. « Nous avons élaboré une charte du bien-être animal ; nous n’utilisons pas de cuirs en provenance de zones à haut risque de déforestation – même si cet engagement repose encore sur le déclaratif de nos fournisseurs – ni de cuirs exotiques ou d’espèces protégées. Nous travaillons avec nos sous-traitants pour diminuer l’impact de nos fabrications. Les produits éco-conçus comportent des surcoûts que nous ne voulons pas faire supporter par nos clients. » Un atelier de réparation a été créé et des consignes d’entretien sont prodiguées aux clients pour allonger la durée de vie de leurs achats. Une stratégie qui « concilie durabilité, désirabilité et créativité » et devrait aussi augmenter la part des accessoires de 40 à 50% du chiffre d’affaires.
Suivait un débat des plus instructifs sur l’exemplarité du secteur des équipements de protection individuelle (EPI). Par essence, celui-ci priorise la sécurité des personnes et c’est donc très logiquement qu’il adopte un fonctionnement préservant aussi l’environnement. « En 2016, nous avons réalisé des investissements pour économiser l’énergie dans notre usine, déclarait Pierre Mischel, Directeur des Opérations de la société Lemaitre Sécurité, qui fabrique 1,4 million de paires de chaussures de sécurité par an. Nous utilisons la chaleur émise par les compresseurs pour le chauffage des locaux. Nous avons réduit nos émissions de carbone de 31%… L’année dernière, nous avons mis en place l’analyse du cycle de vie (ACV) pour certains produits. Nous confions nos déchets de PUR à un partenaire en Allemagne qui nous renvoie une nouvelle matière que nous réutilisons dans notre production. Nous proposons une gamme éco-conçue avec 80% des composants en circuit court, 25% recyclés et des emballages recyclés. » Nicolas Mille, Président Directeur Général du concurrent Gaston Mille, d’où sortent 400 000 paires par an, insistait sur le made in France que son entreprise s’acharne à conserver. « Cela nous permet de maîtriser les approvisionnements et toute notre chaîne de production », soulignait le dirigeant. Et pour éviter les finissages éventuellement problématiques lors de la fin de vie du produit, l’entreprise privilégie les supports européens, pleine fleur et en grosse épaisseur (2,2 mm). Tannerie fondée en 1789 et reconvertie dans la fabrication de gants de protection dans les années 1950, Rostaing SAS fabrique également en France. « Nous nous efforçons d’aller au-delà de la norme CE, malgré ses fortes contraintes, assurait son Président Stéphane Rostaing. Les contraintes sont nécessaires pour impulser du changement. Ce label fait référence dans le monde entier. » Spécialisée dans les cuirs techniques et souples, la tannerie aveyronnaise Pechdo fournit les fabricants de gants de sécurité et de sport. « Nous achetons nos peaux brutes en circuit court. Nous travaillons avec les mêmes abattoirs depuis longtemps. On ne compte pas moins de 25 opérations et six semaines de travail entre l’arrivée de la peau brute et sa transformation en cuir fini, rappelait Caroline Krug, qui a repris la tannerie il y a sept ans. Nous voulons conserver les étapes de rivière afin de mieux contrôler notre production. Notre tannerie est équipée d’une station d’épuration qui rejette les eaux traitées dans la station d’épuration de la ville. Nous sommes certifiés LWG, comme nous le demandent beaucoup de nos clients, anglo-saxons particulièrement. La production en France est une gageure car nos concurrents bénéficient de coûts de production bien moindres. Elle nous oblige à proposer des produits de pointe pour justifier nos prix plus élevés. » En intermède avant la dernière thématique, la responsable habillement, textiles et chaussures de l’organisme de certification Cradle to Cradle Products Innovation Institute, Nienke Steen, prenait le micro pour rappeler d’abord l’importance de l’étape de création « où il faut éliminer tout gaspillage… Notre production de vêtements a doublé durant les quinze dernières années. 75% finissent dans des décharges et moins de 1% sont réutilisés pour faire de nouveaux vêtements. Notre économie n’est circulaire qu’à hauteur de 7%. Il faut changer les approches de production et de consommation ». En illustration de ces propos, la Directrice de la Conception et du Développement Produits de la marque de chaussures Roccamore, Signe Marie Bakka Backhaus, exposait, en suivant, les initiatives de ce chausseur danois : « nous avons commencé avec un produit certifié en cuir de tannage végétal. Nous préparons une collection entièrement traçable permettant de remonter jusqu’à la ferme d’élevage. D’ici la fin de l’année, 30% de notre offre sera traçable ».
La quatrième table ronde de la journée traitait de la mode circulaire et de la réparation en particulier. Matthieu Vicard, Chef de Projet Développement Durable pour la chaussure au CTC, ouvrait la séance en notant l’impact relatif de la phase d’usage d’une chaussure comparé à sa fin de vie. Il insistait sur la nécessité de développer la réparation, qu’elle soit effectuée par les marques en direct ou sous-traitée. En tant que membre du Conseil d’administration de la Fédération Française de la Cordonnerie Multiservice (FFCM), Clément Fabries rappelait la possibilité de s’appuyer sur le réseau de cordonniers pour réparer mais aussi la difficulté de ces derniers à s’adapter à la grande diversité des produits et des matières avec des équipements issus de la fabrication traditionnelle des chaussures. Opposant le « design to last » au « design to cost », il soulignait la place que devait prendre sa profession au sein du dispositif Refashion. Il proposait aussi l’instauration de fiches de réparation par les marques afin de faciliter la tâche des cordonniers. Administratrice de la marque Paraboot, Clémentine Colin Richard relevait le paradoxe entre la durabilité qu’on exige d’une chaussure – et donc la solidité de sa construction – et sa réparabilité simplifiée par un démontage aisé. Elle recommandait également d’intégrer la durabilité à l’analyse du cycle de vie. Elle s’étonnait enfin de l’état parfois très dégradé de chaussures en vente sur des sites de seconde main et donc des faibles connaissances et attentes des consommateurs en matière de réparation. Citant le sac Pliage créé en 1993 et aujourd’hui à base de polyamide ou polyester recyclé et de cuir certifié LWG, le Directeur Qualité de Longchamp, Sylvain Charretier, évoquait le laboratoire de tests de la marque où la durabilité est mise à rude épreuve et le service après-vente où plus de 60 000 produits sont réparés chaque année « sans limite d’âge. Ce service nous permet de recueillir beaucoup d’informations sur l’usure des produits et donc de faire évoluer ceux-ci dans le sens d’une plus longue durée de vie. Nous allons le développer sur tous les continents. L’impression 3D va aussi permettre de développer la réparation ». Tandis que le ministre de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, Marc Fesneau, abordait le sujet du partage de la valeur dans sa brève allocution enregistrée, Frank Boehly clôturait les débats sur les mots de « solidarité, responsabilité, sobriété et optimisme. Il faut accepter que notre modèle soit remis en question et accélérer son changement. Le cheptel bovin diminue et le phénomène va s’amplifier. Mais des solutions encourageantes existent », concluait le Président du Conseil National du Cuir (CNC), organisateur de l’événement, pour son dernier forum. Des mots d’adieu qui augurent aussi d’un avenir prometteur pour le Sustainable Leather Forum (SLF).
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Rédaction François Gaillard
Photos © Romuald Meigneux pour le CNC