Parmi les rendez-vous de la rentrée, le Sustainable Leather Forum (SLF) est devenu un incontournable pour les professionnels du cuir. Sa sixième édition, le 9 septembre dernier à la Maison de la Chimie à Paris, a encore prouvé l’engagement de tous les acteurs du secteur en faveur d’une filière plus durable et plus responsable. Près de 400 professionnels de la mode, du luxe et du design ont assisté aux interventions éclairées d’une quarantaine d’experts soigneusement sélectionnés. Structuré autour de trois grands débats, le programme s’agrémentait de plusieurs allocutions sur différents sujets touchant de près ou de plus loin le cuir et le développement durable. En parallèle des conférences plénières, 25 exposants spécialisés recevaient les participants en quête d’un accompagnement spécifique dans leur démarche RSE. Premier condensé d’une matinée passionnante.
Christophe Dehard, le nouveau Président de l’Alliance France Cuir, organisatrice de l’événement, a ouvert les festivités. Après une courte présentation à l’adresse de ceux qui ne le connaissaient pas encore, cet expérimenté collaborateur du groupe SVA Jean Rozé, également Président de la Fédération Française des Cuirs et Peaux depuis 2018 et premier Vice-Président de CTC, rappelait la mission fédératrice de ce symposium : rassembler les principaux acteurs de la filière pour échanger connaissances et bonnes pratiques et renforcer les liens mutuels, comparant également le Sustainable Leather Forum à une « boîte à outils » RSE. À sa suite, le Directeur Général de l’Alliance France Cuir, Marc Brunel, revenait brièvement sur la nouvelle dénomination de l’institution, « plus facilement identifiable, y compris à l’international, et plus évocatrice d’une collaboration renforcée avec les différentes fédérations adhérentes ». Citant l’affection particulière des Français à l’égard du cuir – leur deuxième matière préférée -, il rappelait « la volonté de la filière, au travers du SLF, de maintenir une dynamique de progrès autour de la RSE et de promouvoir les bonnes pratiques tout en abordant simultanément des sujets d’actualité ».
En préambule au débat qui devait suivre, Delphine Neumeister, Adjointe au Chef de Service des approches sociales et du travail de l’élevage à l’Institut de l’Élevage (IDELE), a décrypté la controverse autour de l’élevage à partir d’une étude réalisée au sein de l’IDELE entre 2015 et 2019. Apparue à la fin des années 1970 et en constant développement, cette polémique s’articule autour de quatre axes que sont l’environnement, la santé, la condition animale et l’économie. Autant de défis auxquels sont confrontés des éleveurs aussi sincères dans leurs efforts que peu armés pour y faire face. Concernant le bien-être animal, la sociologue en identifiait quatre conceptions et, par-là, différents profils de contempteurs de l’élevage de virulences inégales, allant des alternatifs et des progressistes largement majoritaires – aspirant à un changement ou à une amélioration des méthodes d’élevage – aux abolitionnistes – encore très minoritaires, pour l’abolition pure et simple de l’élevage. Même si, aujourd’hui, 66% des Français restent attachés à une alimentation carnée, différents scénarios d’évolution sont possibles : la généralisation de la malbouffe ou, à l’opposé, la généralisation du véganisme et la marginalisation de la consommation de viande ou, plus idéalement, la tendance du « moins mais mieux ». « Cela pose la question de l’attractivité du métier d’éleveur. Pourtant, il nous faut nous assurer qu’il y en aura encore à l’avenir en France », concluait l’intervenante en annonçant une prochaine étude plus spécifique sur le métier d’éleveur.
La première table ronde de la journée, coanimée par Yves Morin, Président du Comité d’organisation du forum, traitait de l’évolution des élevages, entre traçabilité et déforestation, et des enjeux qui en découlent pour le négoce des cuirs et peaux. Fernando Bellese, Directeur Général des chaînes d’approvisionnement du bœuf et du cuir de la WWF USA (World Wildlife Fund) relativisait la part due à l’élevage dans la déforestation, même s’il en est indéniablement un des principaux responsables. Il soulignait l’urgence de la situation en Amérique Latine tandis que Shemina Amarsy, Conseillère en standards de durabilité et chaînes de valeur à l’International Trade Centre (ITC), précisait que la part de l’Europe dans la déforestation est tout de même de 16%. Elle expliquait comment la nouvelle réglementation européenne EUDR entend lutter contre la déforestation, notamment par la traçabilité permettant de remonter aux lieux de naissance et de vie des animaux et de vérifier s’ils participent à ce fléau. Laquelle traçabilité est, selon Nick Winters, Vice-Président de la Fédération Française des Cuirs et Peaux, plus avancée en Europe – en particulier sur le veau – qu’aux États-Unis où elle est encore au stade des lots. « Nous devons travailler avec les éleveurs pour rendre la technologie de traçabilité plus disponible et veiller à ce qu’elle respecte une certaine confidentialité des informations », affirmait Fernando Bellese. Monsieur Winters s’inquiétait des difficultés du commerce depuis un semestre et de l’excédent des stocks de peaux, en particulier en Chine. « Dans les pays riches, la consommation de viande décroit mais la qualité des peaux s’améliore. En Chine ou en Inde, les abattages augmentent pour suivre la croissance de la consommation de viande bovine mais pas avec les mêmes garanties pour la qualité des peaux. Les quantités de veau en boucherie diminuent d’année en année. Il y aura moins de peaux de bonne qualité dans le futur. C’est un danger pour les tanneries européennes et pour le luxe qui doit chercher des solutions et des alternatives. »
Rachel Kolbe Semhoun a ensuite fait profiter de son expérience de l’écologie acquise tout au long de sa carrière, au sein de l’union de coopératives agricoles InVivo d’abord, puis dans le groupe Kering où elle occupe actuellement la Direction des Approvisionnements durables et des Initiatives pour la nature. « On vilipende l’agriculture, et en particulier l’élevage, pour sa responsabilité dans les émissions de gaz à effet de serre ; pourtant elle peut apporter des solutions favorables à l’environnement comme la sauvegarde des terres pour séquestrer du carbone ou leur exploitation pour éviter des inondations », plaidait cette ancienne consultante en stratégie d’entreprise. Soucieux de l’empreinte environnementale de ses marques depuis 2012, le groupe Kering a donné, en 2020, une nouvelle impulsion à sa politique en faveur de l’environnement en soutenant des fournisseurs de cachemire, laine, coton et cuir aux pratiques plus vertueuses. « Nous accompagnons les fermiers adeptes d’une agriculture régénérative, déclarait Madame Kolbe Semhoun. Pour le cuir, nous travaillons avec des éleveurs et des vétérinaires pour savoir si l’on peut privilégier l’élevage des veaux sous la mère et en prairie – qui produit une chair plus rosée moins prisée des gourmets que la chair blanche – sans entraver les ventes de viande ni nuire à la qualité des peaux. »
L’avenir de la tannerie et de la mégisserie françaises passe certes par la qualité de leur production mais également par leur engagement en matière de RSE. Pour évoquer ce deuxième grand sujet de la session, les organisateurs avaient convié trois éminents représentants du secteur. Directeur des Opérations industrielles chez Hermès Cuirs Précieux (HCP), Olivier Marsal citait les trois fondements de la politique RSE de la marque, à savoir : l’humain, les communautés et le développement durable. À propos du premier, le responsable soulignait les investissements de l’entreprise pour l’amélioration de la sécurité dans les ateliers et des conditions de travail tout en maintenant les savoir-faire et en favorisant leur transmission. La griffe du Faubourg Saint-Honoré s’attache également à proposer plus de polyvalence dans les parcours professionnels afin de rester attractive pour les jeunes artisans. Monsieur Marsal insistait aussi sur les partenariats de longue durée que la marque tient à instaurer avec ses fournisseurs. Le troisième point, et non des moindres, de la politique RSE d’Hermès est le développement durable et en particulier la traçabilité, la gestion des déchets et de l’eau et la décarbonation des sites de production. De par son ancrage dans une région d’élevage ovin, la mégisserie de La Molière est encline à la pratique du circuit court et à l’écoute du monde agricole. « Nous encourageons les éleveurs à bannir les barbelés et à utiliser de la litière en paille broyée qui est plus confortable pour les animaux et laisse moins de marques sur les peaux, confiait son Directeur François Roques. Nous utilisons beaucoup d’eau mais en consommons peu : sur 1000 litres prélevés dans la rivière, nous en restituons 995 en aval après passage en station d’épuration. » Comme le rappelait Sylvain Bussière, Directeur Général des Tanneries Roux (LVMH Métiers d’Art), le tannage au sel de chrome possède des avantages indéniables pour sa rapidité, la qualité et la résistance du cuir qu’il produit. Mais la mutation du chrome III en chrome VI demeure un risque au cours du processus. Les nouvelles méthodes de tannage sans chrome, par l’oxyde d’aluminium, éliminent cet écueil et présentent l’avantage de générer des déchets compostables. « Les progrès sont notables dans toutes les tanneries internationales, dont de plus en plus sont certifiées LWG (Leather Working Group) », ajoutait ce professionnel passé par l’Asie et ses tanneries surdimensionnées.
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Rédaction François Gaillard
Photos © SLF 2024 © Romuald Meigneux pour l’Alliance France Cuir