Rendez-vous annuel du Conseil National du Cuir (CNC), le bilan économique de la Filière Française du Cuir, réalisé par l’Observatoire Économique du CNC avec la participation des fédérations de la production et de la distribution, dresse un panorama complet d’un secteur qui pèse plus de 25 milliards d’euros de chiffre d’affaires, dont près de 20 milliards à l’export. Dans une conjoncture difficile, la filière est malmenée par une inflation persistante (+5% en moyenne annuelle en France – INSEE) qui impacte tous ses acteurs, à des degrés différents. « Cette inflation inflige une double peine aux entreprises, du fait du renchérissement des charges (matières premières, énergie, salaires, loyers) jusqu’à des niveaux impossibles à répercuter sur les prix de vente ce qui entraîne une réduction des marges ; et d’un niveau de consommation relativement faible, notamment dans le secteur de l’équipement de la personne (-6% en volume des ventes de chaussures dans les enseignes de la chaussure pour les trois premiers trimestres) », constate Frank Boehly, Président du Conseil National du Cuir. Quelles répercussions pour les professionnels du secteur ? Tour d’horizon.
« L’inflation impacte particulièrement l’alimentation, contraignant les ménages français à moins consommer de viande, entraînant une baisse de l’ordre de -15%, ce qui est considérable. Aujourd’hui 8% des Français ont cessé de manger de la viande faute de moyens », alerte le Président du CNC. « Cette situation a un impact sur l’amont du secteur et rejoint une tendance de long terme : notre cheptel bovin, le plus important d’Europe avec 20 millions de têtes, perd environ 100 000 têtes par an, et cela s’accélère depuis cinq ans : la filière a déjà perdu 2 millions de bovins, soit 10% du cheptel, ce qui n’est pas anodin, poursuit-il. Cette perte de souveraineté sur l’approvisionnement de la viande, et donc des peaux, va conduire à la nécessité d’en importer alors que notre pays est aujourd’hui le troisième exportateur mondial de peaux brutes, une situation inquiétante. »
Portées par le savoir-faire et la renommée des maisons de luxe ainsi que les atouts du made in France, les exportations françaises enregistrent, elles, une hausse de 11%, estimées à 20 milliards d’euros cette année (18 milliards en 2022), avec un excédent commercial 2023 de 5,5 milliards d’euros (contre 4,4 milliards en 2022). Dans ce contexte favorable, la Chine, premier client de la filière cuir tricolore en 2021 (devancé l’an dernier par les États-Unis), devrait retrouver le premier rang cette année avec une progression des exportations de 12% depuis début 2023. Si les ventes de chaussures ont fléchi de -1%, celles de la maroquinerie, locomotive du secteur du luxe, ont enregistré une hausse de 13% alors que les matières premières ont augmenté de 20%. Les ventes au sein de l’Empire du Milieu, d’un montant de 2,4 milliards d’euros, représentaient en 2022 plus de 13% des exportations françaises. « Il convient néanmoins d’être vigilant quant à l’évolution de ce marché dont la croissance connaît un essoufflement, impactée par les effets post-crise Covid, la bulle immobilière ou encore le vieillissement de sa population. »
Les exportations à destination de l’Europe, l’un des premiers clients de la filière française, se chiffrent, elles, à 7,5 milliards d’euros, en hausse de 9% (+10% pour la maroquinerie, +11% pour les chaussures mais une diminution des achats de matières premières de -10% notamment due à la nette baisse des commandes de matières françaises de la part de l’Italie, principal client de notre pays).
À noter le développement du marché au Moyen-Orient – Émirats arabes unis, Koweït et Qatar principalement – avec des exportations en progression de +8% vers cette région du monde, un secteur prometteur qui pèse désormais 15 milliards d’euros, et devrait plus que doubler d’ici 2030 (enquête Boston Consulting Group).
À l’aval de la filière, les entreprises s’adaptent à l’évolution de la consommation qui intervient concomitamment avec des changements de modes d’achat caractérisés par le développement de la seconde main et de la réparation.
Dans le monde, le secteur de la seconde main pèse 33 milliards d’euros estime la BPI.
En France dans les douze derniers mois, 64% de nos compatriotes ont déjà acheté un produit de seconde main. « C’est un marché en pleine expansion qui conduit à un changement de business model amenant les producteurs, marques et distributeurs à s’adapter et à ajouter une nouvelle corde à leur arc afin de devenir les premiers acteurs de cette pratique », poursuit Frank Boehly.
Quant au marché de la réparation, les projections laissent apparaître une progression soutenue avec une estimation de croissance moyenne annuelle de 7% sur les huit prochaines années, notamment dopée par la mise en place début novembre du Bonus Réparation pour les Textiles d’habillement, Linge de maison et Chaussures (TLC) sous la houlette de Refashion. Ce marché, sous l’impulsion de la réglementation, laisse présager une nouvelle dynamique et la valorisation des métiers de la cordonnerie. Les projections tablent en effet sur un chiffre d’affaires prévisionnel du secteur d’1,6 milliard d’euros en 2030, dont 1 milliard pour la chaussure et la maroquinerie (source Fédération de la Mode Circulaire).
Qu’il s’agisse du secteur de la seconde main ou de celui de la réparation, le cuir bénéficie d’atouts de taille, les notions de durabilité et de réparabilité étant intrinsèques à cette matière, écoproduit issu de l’agroalimentaire. Ce que les professionnels s’attachent à communiquer auprès des consommateurs.
Le luxe reste la locomotive de la Filière Française du Cuir. Soutenue par un secteur du luxe performant, la filière anticipe une poursuite de la croissance de ce marché avec un taux annuel moyen de 8% ces cinq prochaines années (source : cabinet L&CPG). « Les grandes maisons continuent d’investir dans des outils de production, principalement des ateliers en France, et créent des emplois afin de répondre à une forte demande. Ainsi 5 000 postes sont à pourvoir dans le secteur de maroquinerie aujourd’hui. Notre filière, forte de 12 800 entreprises et plus de 133 000 salariés, est raisonnablement optimiste pour 2024. Contre vents et marées, elle continue de se développer, de produire et d’exporter », conclut Frank Boehly.
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Rédaction Laëtitia Blin