Fabriquer local … Ici et ailleurs

Le savoir-faire et le territoire dont il est issu sont étroitement liés. Dans le plan de relance de l’économie française, l’objectif est de redynamiser l’activité industrielle, artisanale, locale et de soutenir l’entrepreneuriat créatif. Le consommateur, de son côté, est de plus en plus sensible à l’origine des produits et à leur process de fabrication. C’est dans ce contexte très actuel que le showroom parisien des professionnels du cuir, 64 Cléry, a tenu une table ronde sur le thème « Fabriquer local… ici et ailleurs ». Trois marques – Valet de Pique, Déjà-Vu Paris, Kataba – et deux organismes – Faire De Lance, Terre&Fils – ont partagé leurs expériences et échangé leurs pratiques autour d’un objectif commun : revitaliser la fabrication dans l’hexagone.

Valet de Pique maroquinerie France lauréat Au Delà du Cuir 2022
Valet de Pique est lauréat Au-Delà du Cuir 2022. La maroquinerie sellerie artisanale nourrit l’ADN de la marque.

Montrer et expliquer le savoir-faire

Martin Meunier est ingénieur de formation. C’est au cours d’un stage qu’il découvre l’entrepreneuriat. « Cela m’a tout de suite passionné et j’ai commencé à réfléchir à un projet qui serait basé sur l’artisanat », précise-t-il. Une rencontre se révèle décisive dans son parcours. Celle d’une manufacture parisienne, dans le quartier de Belleville, dont la cinquième génération continue de fabriquer mallettes, boîtes à outils et autres sacs en cuir à tannage végétal. Le jeune entrepreneur est séduit et lance Valet de Pique en 2018 par crowfunding. Selon lui, « insuffler le goût du produit durable est une bonne raison pour fabriquer local. Mon but, poursuit-il, est de partager les valeurs de l’artisanat, expliquer son savoir-faire. Fabriquer est un tout autre métier ! » Martin Meunier est un défenseur enthousiaste de la production raisonnée. Ce qui l’interpelle aujourd’hui est lié à la réparabilité, notion en forte croissance. « Il faudrait que le prix de vente soit inclus dans le critère de réparabilité d’un produit », suggère-t-il.

Déjà Vu Paris objets inspirés architecture parisienne céramique grès émaillé
Déjà-Vu Paris exporte un tiers de ses objets, inspirés par l’architecture parisienne. Telle la céramique en grès émaillé, clin d’œil au métro.

Quand Paris inspire la création

Luc Serreboubée fait partie du trio fondateur de la marque Déjà-Vu Paris. Axel Morales et Fanny Serouart sont diplômés, comme lui, de l’ENSCI Les Ateliers. « J’ai commencé par étudier la mécanique aéronautique à Toulouse puis l’ingénierie environnementale, précise t-il. Le design est venu faire le lien. À notre sortie de l’ENSCI, nous sommes partis faire un road trip aux États-Unis et avons décidé de s’emparer de l’objet souvenir ». Les trois designers ont conscience de l’image « kitsch, un peu cliché » de ce type de produit. Pour le revisiter, ils ont pris des détails de l’architecture parisienne comme point de départ et accordé une place de choix aux savoir-faire français. « C’est une volonté politique, soutient Luc Serreboubée. Dès qu’on s’intéresse aux savoir-faire, on est dans une dynamique d’autant plus pérenne qu’elle est fédératrice. Les produits sont dessinés à Paris mais sont fabriqués dans une douzaine de manufactures en région. Nous les considérons comme des partenaires bien plus que de simples fournisseurs ». Déjà-Vu Paris revendique son statut « hybride, mi éditeur, mi fabricant, car nos outils nous permettent de réaliser nos propres prototypes ». La marque, née en 2019, est commercialisée dans une vingtaine de points de vente diversifiés, concept-stores, boutiques de musées ou d’hôtels…

maison Kataba matériaux réemploi mobilier éco conçu
Les matériaux de réemploi composent le mobilier éco-conçu de la maison d’édition Kataba.

Une gestion plus durable des ressources

« En naviguant, j’ai vu des endroits dévastés par la pollution. Je me suis intéressé aux questions environnementales et aux enjeux du développement durable. Kataba fait le lien entre mobilier et durabilité ». Son fondateur, Luc Monvoisin, est revenu au design après avoir parcouru les mers avec la marine marchande. En créant Kataba en 2017, il relève un défi de taille : inscrire une démarche éthique et locale au sein d’une filière française mise à mal par les importations du sud-est asiatique. « Notre constat de départ a été le suivant : 80% de nos impacts dans le secteur du meuble sont dus aux matières premières, 15% au transport. Les gisements de ressources existent sur place. C’est pourquoi nos meubles sont fabriqués à partir de déchets transformés en matières secondaires. Notre première collection nous a permis de diviser par quatre l’impact carbone ». Depuis, Kataba conjugue production en circuit court et analyse de cycle de vie pour chacun de ses produits. Luc Monvoisin en est convaincu. « Si on achète français, on crée deux fois plus de valeur pour le territoire. »

tannerie Bodin Joyeux France plateforme Faire de Lance
La tannerie Bodin Joyeux fait partie des ateliers français répertoriés sur la plateforme spécialisée Faire De Lance.

Rapprocher créateurs et fabricants du cuir

Julien Maire est un « enfant » de Romans-sur-Isère, l’un des berceaux du cuir en France. Son BTS Chaussure l’a mené chez Heschung, où il passe une dizaine d’années au bureau d’études. « 80 personnes étaient employées entre 2000 et 2010 », se souvient-il. J’ai intégré ensuite des maisons de mode à Paris, fait du consulting en chaussures et accessoires. » Depuis 2022, il pilote le dispositif Faire De Lance, lancé un an plus tôt par la filière française du cuir. « Il manquait un maillon au niveau de la chaîne de valeur, explique-t-il. Mettre en relation marques et fabricants va favoriser la fabrication d’accessoires made in France. » La plateforme est financée par la taxe fiscale collectée par CTC et ouverte à tous les porteurs de projets, jeunes créateurs, marques établies ou émergentes. « Nous prenons en compte la créativité, le potentiel économique du projet, poursuit-il. Les plus farfelus ont un prix inadapté par rapport à un design complexe. » En parallèle, Faire De Lance a entrepris d’identifier les ateliers régionaux aptes à fabriquer prototypes, échantillons, mini séries… « Nous en avons cartographié 150 avec l’aide des fédérations et visité environ 130. Un gros noyau se situe en Île-de-France, en Nouvelle-Aquitaine, dans les Pays de la Loire, qui ont mis en place des clusters ». La construction d’un réseau au service du cuir commence à porter ses fruits. Depuis 2022, une dizaine de marques ont abouti à des productions hexagonales. Parmi elles, la marque de maroquinerie RSVP. « Il reste que la sous-traitance s’est raréfiée dans la chaussure, déplore Julien Maire. Le secteur est très segmenté. L’approvisionnement d’éléments constitutifs – comme le talon, la semelle – est parti à l’étranger. »

Des territoires locaux plus attractifs

Partager les savoir-faire et les réinventer. Tel est l’objectif de Terre&Fils, à la fois fonds de dotation et société d’investissement. « Notre vocation est de soutenir l’entrepreneuriat de savoir-faire dans les régions, affirme la directrice générale Laure Lignon. Nous nous situons au carrefour de l’économie, de la culture et de l’environnement. Pour nous, un patrimoine doit encore avoir un usage. C’est la même chose pour un savoir-faire, qui doit s’adapter, se réinventer en fonction des enjeux actuels. » Terre&Fils a identifié deux écueils susceptibles de menacer le savoir-faire : la « folklorisation » et le luxe. Pour autant, « sauver tous les savoir-faire est un leurre, assure-t-elle. Pour redynamiser un patrimoine local, il faut que le savoir-faire s’inscrive dans un projet de filière. Notre soutien financier est sous le signe de l’intérêt général ». En six ans, Terre&Fils a accompagné divers entrepreneurs de savoir-faire. Tels Insoft qui fabrique des sneakers éco-conçus, la marque textile 1083, Lainamac dédiée à la relance de la filière française de la laine ou encore la Manufacture de Couleuvre, entreprise de céramique rachetée par une historienne. Autant de « modèles durables » qui, en diffusant un savoir-faire spécifique, « défendent la valeur de l’origine du territoire ».

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Rédaction Nadine Guérin

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