LEATHER ICONS #5

Le cuir « version arty », suite et fin avec le dernier chapitre de cette série consacrée aux icônes du design d’hier, d’aujourd’hui, et peut-être même de demain. Le cuir se fait ici le matériau qui accompagne les facéties et expérimentations des artistes ou designers. Deux exemples de créations exacerbées et amusées de créatifs qui ont fait de la matière cuir un des éléments d’un vocabulaire disruptif : le fauteuil imaginé par la superstar de l’art contemporain à l’humour conceptuel, Fabrice Hyber, et la série de vases des frères Campana pour Corsi Design.

Tranchant ! Fauteuil Couteau Suisse, Fabrice Hyber, depuis 2001

Bousculant expérience et process muséal, floutant la frontière entre art et design, l’œuvre de Fabrice Hyber, fait souvent d’abord sourire, parfois grincer et toujours interroge. Fabrice Hyber déploie depuis ses débuts dans les années 90 une œuvre protéiforme et multi-matières – dessin, peinture, installation, vidéos… – et use de ce matériau cuir, récurrent avec sa charge symbolique, dans plusieurs de ses créations. Comme ce meuble-sculpture qui n’échappe pas à la règle. Objet hybride, c’est un fauteuil club gainé de cuir rouge, évoquant le rouge laqué des fameux couteaux. Il révèle son allure de couteau suisse lorsque ses tablettes en métal chromé contenus dans les accoudoirs se déploient. Il se décline aussi version canapé. C’est une œuvre qui s’inscrit dans la série phare de l’artiste, les P.O.F. (Prototype d’Objets en Fonctionnement), un objet qui convoque la technicité des artisans en même temps que la créativité de l’artiste. L’objet se fait alors le catalyseur des savoir-faire et provocateur de rencontres et d’interrogation. Un fauteuil confectionné depuis 2001, en plusieurs série d’éditions limitées, devenant ainsi une œuvre à la diffusion plus massive que celle de l’œuvre d’art, manière pour l’artiste d’interroger ce système du marché de l’art.
Ainsi dans le travail de Fabrice Hyber, le cuir se fait évocation de technicité, de tradition, de normalité qui ne demande qu’à être bousculée. Toujours dans cette même série des P.O.F., l’artiste imagine de nombreux et divers objets en cuir, par exemple le ballon de football… cubique, réinventant et « disturbant » par là-même toute l’iconographie et l’imagerie populaire liée au football. Un objet qui s’accompagne de surréalistes et complexes règles du jeu, et qui sera même l’objet de performances orchestrées par l’artiste, objets réédités lui-aussi en multiples exemplaires, aujourd’hui disséminés dans les collections privées ou musées d’art contemporain. Dans cette même série, il fait coudre ses dessins au fusain sur des peaux. Preuve supplémentaire de l’intérêt de l’artiste pour cette matière cuir, ses collaborations avec les marques de mode. En 2007, à l’invitation de Chanel pour son projet « Mobile Art Chanel », Fabrice Hyber propose une version inattendue de sa licencieuse balançoire, cette fois-ci gainée de cuir matelassé et suspendue à des chaînes empruntées aux codes de la maison de la rue Cambon, qui ne s’attendait sûrement pas à cela ! En 2022, c’est avec la marque Camille Fournet qu’il travaille, imaginant la collection capsule « hyberFournet », soit une série de sacs et d’accessoires réalisée en cuir de veau et pensée, selon les mots de l’artiste, « comme le prolongement naturel du corps humain », produits et commercialisés dans cette couleur devenue la signature de l’artiste, ce qu’on appelle communément désormais le vert Hyber… Ou quand le cuir accompagne les élucubrations de l’artiste et se fait alors matière à décalage !

Expérimentation Nativocampana, Vases en cuir et résine, Humberto et Fernando Campana, depuis 2010

Des vases qui semblent être, pour ces deux trublions du design, un vrai territoire d’exploration et d’expérimentations de la matière, hybridation de plaques de cuir découpées ou trouées, et de la résine. Jeu de lumière entre résine translucide et cuir, ils sont le témoignage parfait d’une démarche bien plus complexe qu’il n’y paraît de la part des deux designers brésiliens. Ces vases aux couleurs franches et joyeuses ont une allure aussi intrigante que leurs noms : « Sagarana », « Mulato », « Bromelia », « Olodum »… Quelque chose d’organique, comme en mutation pour ces objets créés pour la collection « Nativocampana » en collaboration avec l’Italien Andrea Corsi, édités et fabriqués à la main en édition limitée par l’éditeur Corsi Design Factory, entreprise née de la rencontre entre Andrea Corsi et le designer Gaetano Pesce. Devenus collector, ils apparaissent depuis, régulièrement, dans les ventes consacrées aux grands noms du design. En 2015, avec le même éditeur, des coupes à fruits ou centres de tables apparaissent sur le marché mariant, là encore, pastilles de cuir multico et résines.
Des objets qui sont aussi symptomatiques de la démarche d’Humberto et Fernando Campana, initiée dans les années 80, à savoir celles de la récupération, du mix de matériaux et de cette rencontre de l’artisanat et de la modernité, de ce dialogue et télescopage des cultures au travers le monde. Un mode de pensée et une philosophie de travail qui restera au cœur de leur démarche dans leur studio « Estudio Campana » de São Paulo fondé en 1984 (Fernando Campanadisparaît en 2022). Certaines de leurs créations – notamment en cuir – ayant d’ores et déjà trouvées leur place parmi les incontournables de l’histoire du design, comme le bien-nommé fauteuil « Leather works », une assise semblant être recouverte de multiples morceaux de cuirs, comme jetés au hasard, certains embossés d’un grain alligator. Ce modèle spectaculaire se décline aussi en cuir doré, avec pas moins 400 pièces de cuir nécessaires à la réalisation de ce meuble. Plus spectaculaire encore, l’« Alligator banquete » semblant être formée d’une multitude de crocodiles réalisés en cuir, prouesse technique et énième démonstration de l’humour qui caractérise aussi l’approche du design des deux frères. Pour Edra, c’est tout un travail de cuir plissé, techniques empruntées aux artisans toscans, qu’ils imaginent pour ce lit « Grinza », une déclinaison du fauteuil du même nom. Lors de la Design Week de Miami en 2015, ce sont encore d’autres gestes d’artisanat populaire qui sont l’inspiration des deux frères, pour la collection de mobilier « Cangaço », soit la rencontre de deux univers, la paille tressée des fameuses chaises Thonet, et les savoir-faire traditionnels du Brésil, avec ces patchworks de cuir colorés et cloutés… C’est donc le dialogue, le décalage, en même temps que la maîtrise des gestes ancestraux, ce va et vient perpétuel entre historicité et avant-garde, appropriation et usage à contre-courant des matériaux, autant de préceptes créatifs qui peuvent définir cette approche de la matière cuir – en particulier – et du design – en général – par les frères qui resteront sans doute les plus connus du design !

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Rédaction Florent Paudeleux

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