La filière cuir fait son bilan RSE annuel au 7e Sustainable Leather Forum #2

Sabine Bonnot, Head of Science & Purpose de Planet-score, lors de son intervention sur l’affichage environnemental.

Quittant le thème de l’eau traité durant la matinée, le Sustainable Leather Forum se poursuivait l’après-midi avec un programme abordant successivement les conséquences des bouleversements de l’agriculture sur le cuir, les limites des solutions de facilité et la réussite durable des baskets et autres sneakers. Un dîner de gala concluait cette 7e édition, précédé d’une alléchante intervention sur la Génération Z.

Les mutations agricoles et leur impact sur le cuir de demain, thématique de la première table ronde de l’après-midi.

Mutations du monde agricole : quels impacts sur le cuir de demain ? 

Après un déjeuner ponctué d’échanges entre tous les participants, les choses sérieuses reprenaient dans l’amphithéâtre avec un premier débat sur l’impact des mutations du monde agricole sur le cuir. Malheureusement pour la souveraineté alimentaire de la France et sa filière cuir, la première répercussion de cette évolution est quantitative avec un nombre d’animaux – et donc de peaux – en constante diminution. « La décapitalisation s’explique par la consommation de viande qui décroît, les crises sanitaires, les changements climatiques mais surtout par l’arrêt d’exploitations qui ne trouvent pas de repreneurs », déclarait Manon Gauthier, Directrice Générale du collecteur de peaux Les Cuirs de l’Ouest. « Le cheptel bovin français est passé de 20,5 millions en 1995 à 16,35 millions en 2024 ; soit une diminution de plus de 20% en trente ans » étayait Benoît Rouillé, Responsable du Service Climat à l’Institut de l’Élevage (Idele). « Même la consommation de lait et produits laitiers, à part le fromage, a chuté, ajoutait Didier Bastien, Directeur du Centre d’Innovation et de Recherche sur le Veau (Cirveau). La consommation de viande bovine est actuellement de 21 kg par habitant et par an, dont 3 kg sont du veau. Ce marché est déficitaire et nous sommes obligés d’importer environ 25% de la viande bovine consommée, pas toujours avec les mêmes garanties que pour la viande produite en France. » « L’élevage contribue à la biodiversité et à l’entretien des prairies, lui-même favorisant la séquestration de carbone », soulignait Benoît Rouillé. Les effets des changements de l’agriculture sont aussi qualitatifs. « La qualité de la fleur des peaux se détériore, avec beaucoup de cicatrices dues aux barbelés, de piqûres d’insectes et de tiques en raison d’hivers plus doux, de défauts générés au moment de la dépouille et du salage. Les peaux sont moins épaisses, moins grasses du fait du radoucissement du climat et celles des ovins ont beaucoup de marques aussi à cause des paillages plus secs », énumérait Manon Gauthier. « Les veaux sont abattus plus âgés, aux alentours de sept mois, ce qui donne des peaux plus grandes. La majorité des veaux en France sont élevés en bâtiments fermés et ventilés. Une étude a montré que les peaux de veaux élevés en extérieur ont plus de cicatrices mais paradoxalement moins de piqûres et ne montrent pas d’amélioration des traces de veines. Mais leur viande est moins blanche et donc moins facile à commercialiser, notait Didier Bastien. La Communauté européenne entend revoir les réglementations pour le bien-être animal. « L’amélioration du bien-être animal ne va pas forcément dans le sens de l’amélioration de la qualité des peaux » relevait Anna Heaton, Responsable de la stratégie fibres et matériaux de Textile Exchange. « Grâce à la Fédération Française des Cuirs et Peaux, le personnel en abattoir est régulièrement formé à la dépouille et au salage. Mais à cause de la décapitalisation, certains petits abattoirs se retrouvent en difficulté et n’arrivent pas à mettre en place les dispositifs de traçabilité », regrettait Manon Gauthier.  

Les limites des notations 

Après ce passionnant débat, la parole était donnée à la Directrice Scientifique de Planet-score, Sabine Bonnot, pour une intervention pleine d’enseignements. L’experte a rappelé la confiance très dégradée des consommateurs envers les marques et leur demande croissante de transparence. D’où l’utilité des labels et autres certifications. Encore faut-il qu’ils soient objectivement et rigoureusement élaborés. Et, aux dires de la spécialiste, il semblerait que ce ne soit pas toujours le cas, ce qui a son importance puisque c’est sur ces notations que le public et les médias se font leur opinion. « Les scénarios prétendument les plus favorables présentés par les institutions et les médias sont des scénarios allant dans le sens de la décapitalisation, objectait d’emblée l’experte. Les analyses de cycle de vie ne prennent pas toujours en compte tous les critères…On ne peut pas mettre sur le même plan l’élevage bovin qui émet du méthane à partir de carbone et d’hydrogène issu de l’alimentation herbivore des vaches et la pétrochimie qui extrait du carbone du sous-sol et le rejette dans l’atmosphère. Ou comparer l’élevage en pâturage et l’élevage en feed lots. L’élevage le plus vertueux est l’élevage en pâturage tournant dynamique. Donc attention aux notations hâtives ou biaisées… Les herbivores valorisent des surfaces où seule l’herbe peut pousser et facilitent la séquestration du carbone… L’Institut National de Recherche pour l’Agriculture, l’Alimentation et l’Environnement (INRAE) a montré que, pour des questions nutritionnelles, on ne peut descendre en dessous de 50% de protéines d’origine animale dans son régime alimentaire. Il faut aussi se méfier des fausses bonnes solutions, comme la consommation d’insectes qui contiennent de la chitine, hautement allergène. Quand on végétalise les régimes, on s’aperçoit qu’on ne diminue pas l’impact sur l’environnement. » 

La RSE dans l’industrie des baskets.

Pérenniser le succès des sneakers 

Une dernière table ronde réunissait quatre invités pour imaginer un avenir durable à la sneaker. William Wong, Président du Sustainable Footwear Summit fondé en 2012 et Consultant auprès de la Hong Kong Footwear Association, rappelait d’abord qu’il se vend 24 milliards de paires de baskets dans le monde chaque année, dont 13 milliards sont fabriquées en Chine. Un marché toujours en croissance dont le succès vient du confort mais aussi de la polyvalence stylistique des sneakers devenues chaussures de mode. « Aujourd’hui, la demande de durabilité est moins forte qu’après le Covid-19. Mais l’écoconception est devenue un prérequis évident : nous observons toujours beaucoup de demandes de made in France ou Europe, témoignait Julien Traverse, fondateur de l’agence de conseil en création All Triangles. Nous cherchons avant tout à améliorer l’usage de la chaussure, la performance et la durée de vie. Contre les odeurs, le cuir est la meilleure matière. » « Le cuir est rassurant pour sa durabilité, son confort et l’hygiène qu’il apporte, renchérissait Marie Soudré Richard, cofondatrice en 2021 de la société de recyclage de baskets en fin de vie The 8 Impact. Jusqu’à maintenant, les baskets étaient toutes incinérées. Compacter des baskets et les transformer en granulats ne donne pas de solution viable car la performance est trop dégradée. On a dû pousser le recyclage plus loin et collaborer avec les sociétés de produits chimiques. Par exemple, pour recycler l’EVA, il faut lui ajouter un produit pour qu’il conserve ses qualités. » « Avant, les entreprises qui se prétendaient collecteurs de baskets usagées n’étaient pas fiables car elles les expédiaient en fait dans des pays d’Afrique. C’est pourquoi nous avons installé des bacs de collecte dans nos magasins et créé un atelier de réparation, indiquait François-Ghislain Morillion, Président et cofondateur de la célèbre marque Veja. Cela nous permet aussi aujourd’hui de lancer une basket avec du caoutchouc régénéré en collaboration avec The 8 Impact. » En conclusion, les quatre intervenants s’accordaient à dire que la clé du problème est l’acceptation du prix par le consommateur, éco-disposé en tant que citoyen mais toujours attentif à son budget.
Le Président de l’Alliance France Cuir, Christophe Dehard, et le Directeur Général, Marc Brunel, accompagnaient le Président du Comité d’organisation de SLF, Yves Morin, sur scène pour clôturer la journée sur une note d’optimisme, notant l’esprit critique mais aussi la vision positive des participants sur un sujet longtemps resté tabou. Un bon état d’esprit pour envisager une prochaine session en 2026.
Les replays des différentes interventions de la journée sont disponibles sur le site dédié de SLF, https://www.slf-paris.com/fr/articles, soit en se connectant à son compte participant soit en souscrivant un abonnement. 

La Gen Z et ses paradoxes de consommation, par Éric Briones en ouverture du dîner de gala.

La génération Z en avant-goût 

Née entre 1995 et la fin des années 2000, la génération Z forgera le goût du futur. Pour mieux connaître ces consommateurs de demain, les organisateurs de SLF avaient invité le publicitaire et pédagogue Éric Briones à partager ses connaissances et expériences en ouverture du dîner de gala. Collaborateur de Publicis pendant vingt ans et fondateur de la Paris School of Luxury, il côtoie en effet cette classe d’âge au quotidien. « Ce qui caractérise avant tout cette génération, c’est sa culture du paradoxe. Elle est à la fois engagée pour des causes et narcissique, égalitariste tout en aspirant à la célébrité, persuadée de sa créativité précoce et hyper-consommatrice. Elle ne cache pas une obsession pour l’argent qui l’amène immanquablement – à part pour une poignée de privilégiés – à un certain mal-être. Et paradoxalement, c’est avec le luxe qu’elle soigne ce trouble. » L’expert notait néanmoins que, depuis 2023, celle-ci se montre plus circonspecte à l’égard de la qualité proposée par les griffes de luxe et ouvertement critique quant aux prix qu’elles pratiquent. Et le spécialiste de citer la marque américaine de maroquinerie Coach et son « luxe expressif » comme nouveau modèle pour la génération Z. Concernant le cuir, cette tranche d’âge affiche une connaissance inversement proportionnelle à sa préoccupation du bien-être animal, tout en reconnaissant au cuir une valeur de rareté et d’authenticité. L’orateur a clôturé son intervention par deux conseils à l’intention de l’assistance : rassurer les jeunes sur le bien-être des animaux dont on tire le cuir et moderniser l’artisanat qui lui est attaché.  

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Rédaction François Gaillard 
Photos © Ici Au Loin pour AFCuir 

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