Virginie Ducatillon,
négociante de cuirs
en économie circulaire

Virginie Ducatillon, experte en développement produit maroquinerie
Virginie Ducatillon, experte en développement produit maroquinerie pour de grandes maisons de luxe, vient de lancer Adapta Paris, société de sourcing personnalisé de cuirs de qualité en économie circulaire.

Vous êtes créateur de mode ? Ou artisan du cuir ? En quête de pièces uniques pour concevoir vos produits en petites séries ? Et désireux de vous engager dans une démarche de production durable sans saper vos exigences de qualité et de créativité ?
Et Virginie Ducataillon, experte en développement produit maroquinerie pour de grandes maisons de luxe, inventa Adapta Paris : un nouveau mode de sourcing personnalisé de cuirs de qualité en économie circulaire ! Explications.

Vous vendez des cuirs finis à la pièce aux créateurs de mode, parlez-nous de votre concept.

Je me positionne en tant que centrale d’achats de cuirs, que je vends, de l’unité à quelques pièces d’une même couleur, aux créateurs. Je sélectionne les peaux, qui reposent dans les stocks dormants, chez les tanneurs ou les grandes maisons de luxe. Contrairement aux destockeurs qui reprennent des lots entiers, je vais dénicher les trésors, prendre le temps de choisir les plus belles parmi les seconds et troisièmes choix qui n’ont pas trouvé preneur. Une opportunité pour les créateurs, qui ne peuvent s’engager sur des grandes quantités de commande de cuirs, qu’ils sourcent habituellement à l’occasion des salons.

Qu’est-ce qui vous a amené à créer ce service ?

J’ai travaillé une dizaine d’années dans l’industrie du luxe, en développement maroquinerie chez Hermès, Chanel et Céline, en tant que Responsable des Collections ou Chef de Produits. J’ai pu constater qu’il y avait énormément de peaux entières stockées ou immobilisées dans les maisons, résultante dont nous avions tous la responsabilité, à chaque étape de la chaîne. En l’occurrence, au développement produit, entre le moment où l’on lançait la collection et la validation des prototypes, la collection avait connu bien des ajustements. Par conséquent, on se retrouvait avec des peaux inutilisables qui ne correspondaient plus au nouveau cahier des charges, mais que l’on pensait utiliser pour une prochaine collection, alors que la Direction Artistique partait sur une autre histoire…Bien que ces entreprises en aient conscience et essaient de trouver des solutions, je crois que si les employés n’ont pas le respect des normes RSE inscrites à leur fiche de poste, ce sera difficile de faire bouger les choses car cela leur demanderait bien du temps de travail.
Côté fournisseurs, il arrive que les tanneurs lancent des productions par anticipation pour répondre au rythme très soutenu des maisons ; ou se retrouvent avec des peaux à défauts qui ne remplissent pas le cahier des charges ; ou le contrôle qualité d’une marque de luxe ; ou encore un « master » coloris qui ne correspond pas. Ces cuirs, qui restent de qualité, peuvent toutefois être utiles à un créateur, plus flexible au niveau de la production puisqu’il travaille en petites séries.

Créativité et sourcing responsable, est-ce compatible ?

Le cœur de mon projet repose sur l’écoconception au sens d’une démarche d’économie circulaire qui consiste à utiliser l’existant. Ou comment tirer profit d’une contrainte, qui est ici le manque d’approvisionnements sur des petites séries avec un budget limité, pour en faire une source alternative de créativité ? Faire rimer désirabilité avec éco-responsabilité car je crois au motto « Green is not an excuse for bad design ». Cela peut paraître caricatural mais on a tous en tête les vêtements en chanvre d’il y a une dizaine d’années. Ce n’est pas parce qu’un produit s’inscrit dans une démarche durable qu’il doit être pauvre en terme de design.
Il s’agit également de remettre à l’honneur toute une filière mise à mal, dans un contexte de cuir bashing ou de véganisme. Et de valoriser toutes les bonnes pratiques et les savoir-faire dans une optique constructive, pour se challenger les uns les autres – tanneurs, mégissiers, maisons de luxe qui font tout un travail pour mettre au point des nouvelles techniques autour du cuir et qui poussent l’industrie vers le futur. Évidemment les mauvaises pratiques sont condamnables et leur mise à jour permet de faire avancer les choses. Demain, on peut espérer que la niche sera la norme, que notre façon de concevoir les produits, se repense aujourd’hui. Et ne soit plus un argument marketing mais intégré de manière naturelle par tous les acteurs de la production – que ce soit les tanneurs, les fabricants, les créateurs…Quand je discute avec ces derniers, ils sont de plus en plus ouverts à cela car plus flexibles c’est vrai en matière de volume contrairement aux industriels du luxe, qui partent d’un thème couleur pour lancer toute une production bien plus conséquente. Néanmoins, si l’économie circulaire est l’un des piliers de l’écoconception, il y a tout un tas d’autres paramètres à prendre en compte sur lesquels ils progressent de jour en jour.

Comment vous positionnez vous en terme de service et produits ?

Un certain nombre de maisons et tanneries travaillent déjà en partenariat avec des déstockeurs. Mais moi je peux aussi leur assurer une traçabilité au niveau de la destination des peaux. Imaginez si des cuirs issus de leurs stocks se retrouvaient à l’autre bout du monde, travaillés par des mineurs. C’est pourquoi je sélectionne les designers qui vont les utiliser et m’assure de l’usage qui en sera fait.
Je souhaite instaurer une relation privilégiée avec eux afin de pouvoir me projeter sur l’attribution de la  matière dès le moment même où je la choisis ; leur proposer des produits susceptibles de les intéresser avec la compréhension de leur univers de marque. Bref du sourcing personnalisé !
Je me positionne sur du cuir haut de gamme pour les artisans ou créateurs de prêt-à-porter, maroquinerie, chaussure, décoration, reliure… J’ai monté mon projet cet été et peux vous dire que c’est un vrai travail de lobbying d’essayer de faire bouger les lignes, de discuter avec les équipes RSE ou opérationnelles. Si tout le monde est partant, les process de validation, de mise en place restent à définir…donc c’est un peu plus long au niveau des marques, fournisseurs potentiels qui ont bien des priorités à gérer. Côté tanneurs, je travaille dans un premier temps avec les français, que je connaissais déjà, pour limiter l’empreinte carbone. Le stock dont je dispose va d’une à 20 peaux par coloris à un prix deux voire trois fois inférieur au prix initial, de 80 à 150€ m² à l’origine, sachant que les tanneurs peuvent majorer les prix pour les commandes en deçà de leurs minima. 

Comment doit-on s’y prendre pour vous commander des peaux ?

Je rencontre chacun de mes clients, leur montre un échantillonnage qu’ils peuvent soit venir chercher à mon entrepôt en proche banlieue, soit je leur expédie. Par ailleurs, j’organise des ventes exceptionnelles, comme celle que j’ai pu faire à la rentrée au show-room ADC à Paris, l’incubateur de créateurs de la filière cuir. En 3 jours, j’y ai vendu 40% de mon stock ! À terme, je souhaite développer un site e-commerce et pourquoi pas créer des abonnements sous forme de box avec mes clients fidèles, incluant des cuirs lisses ou grainés de diverses variétés et couleurs, comme un complément capsule à leur approvisionnement cœur de collection. Et comme ces sujets me tiennent particulièrement à cœur, accompagner les créateurs sur les problématiques environnementales et de traçabilité.

Rédaction Juliette Sebille
Photo © Christophe Lautrec

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