Hermès fête ses résidences d’artistes

Bérengère Hénin, La Fin de la fête - Photo © Nadine Guérin.

La Fondation d’Entreprise Hermès invite des plasticiens en résidence au sein de ses manufactures depuis 2010. L’exposition « Formes du transfert » célèbre une décennie d’œuvres croisant l’art et l’artisanat. A Pantin, une douzaine d’artistes livrent leur réflexion sur le cuir, ses propriétés, son imaginaire.
Ils sont trentenaires, quarantenaires, majoritairement diplômés des beaux-arts et certains ont aussi étudié l’architecture ou le design. Les artistes, accueillis en résidence dans les ateliers Hermès répartis dans l’Hexagone, se sont immergés quelques semaines ou quelques mois dans le quotidien des artisans afin de produire une œuvre singulière, emblématique des métiers phares du fleuron français du luxe : la maroquinerie, la cristallerie, l’orfèvrerie, la soierie. Ce cycle de résidences donne lieu à une exposition anniversaire collective, construite en trois volets. Initiée en décembre dernier à l’atelier Hermès à Séoul, elle se déroule jusqu’au printemps à Tokyo et en Île-de-France. Les Magasins Généraux de Pantin accueillent, jusqu’au 13 mars 2022, une rétrospective foisonnante, sublimant matériaux et savoir-faire rares.

Sébastien Gouju, Contre-jour - Photo © Tadzio Fondation d’Entreprise Hermès.

Cartes blanches créatives

À la tête de la Fondation d’Entreprise Hermès, Laurent Pejoux résume la vocation des résidences d’artistes. « Elles représentent un levier essentiel en matière de création et reposent sur la rencontre audacieuse entre le monde de l’art et celui de l’entreprise. » Gaël Charbau, Commissaire de l’exposition, accompagne ce programme depuis 2012. La première exposition « Condensation », présentée au Palais de Tokyo montrait, dit-il, « l’alchimie entre artistes et artisans autour de la transformation de la matière. La seconde « Les mains sans sommeil » avait présenté au public français et japonais les passerelles entre le geste artisanal et l’invention artistique d’une forme ». L’exposition « Formes du transfert » est assurément la plus complète. « Le titre est moins énigmatique qu’il n’y paraît, précise Gaël Charbau. Il renvoie à la matérialité de l’œuvre, à l’intelligence du geste, aux échanges féconds avec la matière. Il souligne aussi que le temps de la conception est tout aussi précieux que l’objet final. Dans un présent que l’on dit pressé et que l’on veut efficace, le temps lent du passage des savoirs, le temps de l’échange, le temps de la transmission revêt une valeur unique. »

S’immerger pour explorer

Le cuir figure en bonne place parmi les matériaux d’exception inhérents à Hermès. Réalisée avec l’appui des artisans au sein des nombreuses manufactures françaises, « chaque oeuvre a nécessité des développements spécifiques, résultant d’une maîtrise absolue de la matière », poursuit Gaël Charbau. La dualité du cuir est, selon lui, particulièrement mise en évidence. « Yushin U Chang donne à voir la rigidité autoportante, quasi minérale, du cuir grâce à un savant travail de pliage et de couture. À l’inverse, l’installation « Contre-Jour » de Sébastien Gouju traduit la fragilité, la délicatesse du cuir pour imiter la nature ». L’artiste lorrain a immédiatement été inspiré par la couleur noire du cuir d’agneau. « La ganterie de Saint-Junien, où je suis resté six mois en résidence, l’utilise beaucoup. Les peaux d’agneaux m’ont tout de suite fait penser à des végétaux par leur épaisseur, leur surface satinée. Je m’intéresse à la représentativité et à la domestication de la nature. Le noir rompait avec l’exotisme du sujet. Il apporte un côté obscur, un peu fantastique à un jardin d’Éden crépusculaire. » Les résidences stimulent d’autant plus l’imaginaire des artistes qu’ils arrivent sans projet préalable. Les intuitions artistiques naissent généralement après un temps d’observation au plus près des artisans. Bérengère Hénin fait partie des derniers artistes invités. En résidence à la Manufacture de l’Allan dans le Doubs en 2020, elle précise comment elle a expérimenté une matière dont elle ignorait tout. « Je ne connaissais rien au cuir, à la maroquinerie, au luxe, aux sacs à main ! Le soin extrême apporté aux objets m’a vraiment enthousiasmée. Je me suis laissé guider par les gestes. Par exemple, certains sacs fabriqués à Seloncourt nécessitent des inserts intérieurs pour donner du volume. J’ai appliqué cette technique à une sculpture, une carpe musicale se débattant dans une flaque d’eau, que j’ai baptisée « Portrait de l’artiste désespéré ». Sa bouche est ourlée de cuir de vache. Des inserts de cuir d’autruche, d’alligator figurent ses écailles. » Bérengère Hénin manie l’autodérision, l’humour et a complété son installation en mettant en scène les vestiges d’une fête : une guirlande de fanions, des confettis, un sachet ouvert de Chips… « Le dessin est la base de mon travail, dit-elle. J’ai découvert comment la sculpture et la marqueterie me permettaient de dessiner autrement. » Pour réaliser un napperon en cuir taché de vin par un effet de marqueterie et assembler les multiples facettes en cuir mat de sa boule à facettes suspendue, elle a bénéficié du soutien bienveillant des artisans. Des moments de grande intensité vécus de part et d’autre…

Félix Pinquier, Station - Photo © Tadzio Fondation d’Entreprise Hermès.

Le cuir dans tous ses états

Une fois la manufacture choisie, chaque artiste en résidence conjugue les propriétés physiques du matériau avec son propre univers plastique. La production s’étale de trois mois à un an. Les œuvres novatrices, rassemblées pour la première fois depuis une dizaine d’années, témoignent toutes d’une exploration plurielle des gestes se rapportant au cuir. La mémoire primitive de la peau et le lien intime qu’entretiennent les artisans avec l’animal ont donné lieu à la « Living Dead Factory » d’Anne-Charlotte Yver, invitée à l’atelier sur-mesure John Lobb à Paris, où elle a éprouvé l’élasticité et la robustesse de la matière. À Paris également, à la Maroquinerie de Saint-Antoine, Sébastien Gschwind a étagé, selon leur taille décroissante, cuirs de taurillon, d’autruche, de chèvre, de crocodile pour construire une « utopie architecturale », baptisée « Un genre humain ». Le peintre grec Vassilis Salpistis a jeté son dévolu, au sein de la Maroquinerie de Normandie, sur la fleur de peau – généralement peu visible -, mêlant nervures naturelles du cuir de veau et empreintes du pinceau. Io Burgard – première artiste à avoir été accueillie à la Maroquinerie de Seloncourt – reconnaît avoir été « immédiatement fascinée par les outils dont découlent les savoir-faire et inversement, les savoir-faire qui engendrent les outils ». Son installation « Que vogue la galère » explore le volume dans l’espace. Le cuir n’est pas l’ennemi du monumental, bien au contraire. L’Anglaise Elisabeth S.Clark déploie dans l’espace un cercle de quatre mètres de diamètre entièrement gainé de cuir de taurillon blanc. Les artisans de la Maroquinerie de Sayat en Auvergne ont rendu les raccords invisibles. La sculpture « Station », au-delà de sa grande échelle, exerce aussi un fort pouvoir d’évocation. Félix Pinquier, son auteur artiste trompettiste et novice du cuir, a conçu un soufflet géant avec le concours de la Maroquinerie de Belley située dans l’Ain. Pour son rideau de scène au tombé de cuir d’agneau spectaculaire, Emilie Pitoiset a dû mettre au défi le savoir-faire des artisans de la Maroquinerie de Pierre-Bénite en région lyonnaise. La construction rigoureuse du motif chevron lui a été notamment inspirée par les procédés de connexion ferroviaire… Des interactions complexes dialoguent enfin avec de savantes technicités. C’est le cas de Marcos Avila Forero, dont les tambours en cuir de parchemin croisent ses racines colombiennes avec le savoir-faire de la Maroquinerie Nontronnaise. Quant à Simon Boudvin, invité à la Maroquinerie des Ardennes, il a optimisé l’usage du cuir de vache en réalisant une table au plateau gainé et des moules à sculpture.

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Rédaction Nadine Guérin

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