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On a tous en tête un sac à main, une paire de chaussures, une belle ceinture qui tient une place à part dans nos cœurs et dans nos âmes. Savoir-faire uniques, raffinements esthétiques, audace créative, souvenirs personnels ou mémoire collective, les ingrédients de cette étrange alchimie nous échappent souvent.
À l’occasion du salon MIF Expo en novembre dernier, Adrian Kammarti, Historien de la Mode et professeur à l’Institut Français de la Mode, et Laurent Boukobza, cofondateur de l’atelier de maroquinerie 23.11, ont expliqué lors d’un talk sur l’espace Made in Cuir du Conseil National du Cuir (CNC) pourquoi un accessoire de mode en cuir est un peu plus qu’un simple objet utilitaire.
Laurent Boukobza reçoit quotidiennement dans la boutique de son atelier des client(e)s qui lui confient de la belle maroquinerie, à rafraîchir, à soigner ou à réparer. Le petit vernis, le joli matelassé, le grand trapézoïdale ou le tout doux en agneau plongé, ils sont tous différents, mais ils ont tous en commun une histoire particulière qui les rend uniques aux yeux de leur propriétaire : qu’il s’agisse d’un sac ancien offert par une grand-mère ou par un être aimé, du sac « trophée » acheté avec un premier salaire, symbole d’une émancipation méritée, du sac de rêve, finalement acquis à force de persévérance. Aucun d’entre eux n’est juste pratique ou utile. « On s’attache à un objet parce qu’on le trouve beau, pour les souvenirs qu’il véhicule et parce qu’on aime ce qu’il dit de nous », explique Adrien Kammarti.
Outre la fonction d’usage, qui répond à un besoin pratique, les objets – et par extension les accessoires de mode – incarnent un riche mélange de fonctions symboliques qui brasse notamment l’esthétique, l’affect et la reconnaissance sociale.
Le goût du beau et du bien fait, les artisans de l’Atelier 23.11 l’éprouvent au quotidien, avec un sentiment de privilège car chaque réparation est un voyage qui les amène à lever le voile sur des secrets de fabrication, connus parfois de quelques rares initiés. Et quand on parle de savoir-faire d’excellence, « tout n’est pas affaire de logos ou de monogrammes », souligne Laurent Boukobza. « Il y a des pièces de maroquinerie fabriquées en France dans les années 1960-70 qui ne sont pas griffées mais dont la fabrication est magnifique, entièrement doublée en cuir, avec des bijouteries dorées à l’or fin qui sont somptueuses, des fermoirs parapluies et des matières splendides. »
Quant à l’attachement aux choses matérielles, on pourrait croire qu’il est lié à notre société de consommation, mais il n’en est rien ! Pour Adrian Kammarti, « cette relation singulière est tout simplement dans la nature humaine ». Il prend d’ailleurs à témoin « Regrets sur ma vieille robe de chambre », un texte publié par Diderot en 1768. Le penseur des Lumières s’y épanche sur la perte du vêtement aimé et nous rappelle en creux que les objets de notre quotidien peuvent devenir les réceptacles de nos émotions, de nos souvenirs et parfois même de nos croyances !
À écouter l’Historien de la Mode, on comprend que porter un modèle de sac plutôt qu’un autre est une forme d’allégeance tribale, un signe d’appartenance sociale. Si quelques-uns deviennent d’ailleurs des icônes, c’est aussi parce qu’on les associe à certains modes de vie comme le sac de voyage Keepal de Louis Vuitton, voire à des personnalités célèbres comme le Birkin ou le Kelly chez Hermès, ou à leurs créateurs comme le 2.55 de Gabrielle Chanel. Les arborer, c’est un peu s’identifier à eux.
Mais la culture des accessoires de mode n’est pas uniquement une pop culture. Les musées, les artistes et les penseurs en ont d’ailleurs fait un sujet culturel d’élection. Adrian Kammarti cite à ce propos les collaborations des artistes Stephen Sprouse et Jeff Koons avec Louis Vuitton et nous rappelle que les collections permanentes des plus grands musées ont fait une place de choix à ses objets iconiques. Les mocassins Gucci ont d’ailleurs intégré celles du MET (Metropolitan Museum of Art de New York) dès 1985 ! C’est la même année justement, que le groupe Chanel crée Paraffection, une filiale consacrée à la préservation des métiers rares de la mode. Elle rassemble aujourd’hui plus de 25 ateliers, hébergés au 19M. Depuis 2002, ces brodeurs, plisseurs, chapeliers, plumassiers, tanneurs et autres artisans gantiers ont même leur propre défilé, la collection “Métier d’Art” voulue et orchestrée par Karl Lagerfeld et pensée comme une ode à l’excellence des savoir-faire français. D’autres ont entrepris des démarches similaires ou investi dans le réveil des “belles endormies”, ces manufactures au passé glorieux, ressuscitées à partir de leurs archives, consacrant à leur tour la valeur patrimoniale des métiers de l’artisanat.
Pour Adrian Kammarti, la mode et le vêtement ont toujours été des sujets éminemment culturels. Comment décrire l’époque en littérature, en peinture, au théâtre ou au cinéma sans s’y référer ? De nos jours, l’industrie de la mode est parfois décriée pour sa tendance à s’approprier la culture ou à la soutenir de façon intéressée, mais pour beaucoup d’artistes contemporains, la mode est également une matière première. Gardons à l’esprit que ce mouvement est un aller-retour, fruit d’un cycle assez naturel qui s’auto-alimente. D’ailleurs, ce phénomène cyclique prend souvent naissance dans les ateliers, au sein même de maisons dont le patrimoine de marque a fini par devenir synonyme de qualité, de raffinement, d’élégance à l’échelle planétaire. Très souvent, comme le point sellier ou les tranches teintées chez Hermès, le matelassage diamant chez Chanel ou le cuir Épi chez Louis Vuitton, ce lexique esthétique n’est autre que l’expression de savoir-faire pratiqués avec un haut niveau d’exigence. Et si l’attachement que nous portons à ces accessoires ne peut pas être résumé à leur simple valeur d’usage, c’est probablement parce qu’ils sont avant tout des objets culturels !
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Rédaction Grégoire Talon
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