Sourcing zéro déforestation,
par où commencer ?

Ils sont incriminés comme directement ou indirectement responsables de la déforestation. « Ils » ce sont le cuir et autres matériaux organiques en provenance du Brésil que l’on utilise pour façonner nos sacs, chaussures ou vêtements. Culture traditionnelle sur brulis, production intensive de soja, trafic de bois, accaparement des terres pour l’élevage bovin, extraction minière, gestion défaillante des forêts, « blanchiment » organisé de bétail issu de fermes sous embargo… autant de pratiques qui contribuent à consumer la biodiversité naturelle et culturelle du poumon de notre planète. Pour le premier fournisseur de viande mondial la question est d’autant plus polémique (NDLR – Selon une étude publiée en juillet dernier par la revue américaine Science, 17 % du bœuf exporté vers l’UE serait lié à la déforestation illégale en Amazonie). Combien de temps encore la politique de Jair Bolsonaro va-t-elle aggraver la situation ? Au lendemain de l’Assemblée Générale de l’ONU, le sujet n’a pas fait l’objet d’une nouvelle passe d’armes diplomatique entre le président brésilien et son homologue français. En tout cas la question demeure suffisamment importante pour être abordée. C’est d’autant plus palpable depuis que la crise sanitaire a révélé la relation étroite entre la santé humaine, la santé animale et la santé de nos écosystèmes. Mais aujourd’hui on le sait et les acteurs interviewés l’ont reconnu il y a des moyens d’endiguer le problème. Alors par où commencer pour déjouer les failles de la traçabilité ? Paroles à ceux qui n’ont rien à cacher.

Tommaso Protti fondation carmignac-(1)
Araribóia, Maranhão, Nord du Brésil. Un membre de la garde forestière de Guajajara dans un moment de triste silence à la vue d'un arbre renversé abattu par des bûcherons présumés illégaux. Les militants autochtones confrontés à des intérêts forestiers sont régulièrement victimes de harcèlement, de menaces et même de meurtres - Photo © Tommaso Protti pour la Fondation Carmignac.

Cameron Saul, cofondateur de Bottletop & #togetherband

Si vous n’avez pas encore croisé les accessoires originaux en côte de maille de Bottletop, conçus à partir de décapsuleurs de canettes recyclés, dirigez-vous expressément vers Regent Street. Le flagship de la marque britannique est intégralement aménagé grâce à la technologie d’impression 3D des robots Kuka. Vous l’aurez compris, l’entreprise co-fondée par Cameron Saul (NDLR – fils de Roger Saul, le fondateur de Mulberry) est impliquée, plus précisément à travers le soutien d’artisans de régions défavorisées, dont le Brésil. Grâce à l’atelier qu’elle a ouvert aux portes de Salvador en 2012, Bottletop a contribué à améliorer les conditions de travail et la rémunération d’une vingtaine d’artisans. Pour la plupart des femmes, elles bénéficient toutes de la formation à la technique de tissage à la main Mistura, emblématique des collections, associant du métal recyclé et du cuir ‘Amazon Zero Deforestation’. Fait notable, avant de devenir une marque, Bottletop était une fondation qui l’an dernier lançait la campagne #togetherband afin de promouvoir les 17 ‘Global Goals’ des Nations Unies. Avec la vente d’un bracelet en plastique et métal – issu d’armes illégales – recyclés symbolisant chaque objectif d’une couleur différente, Bottletop collecte des fonds pour financer le nettoyage des océans en lien avec une association caritative du Costa Rica.

« Chez Bottletop nous sommes fiers de concevoir de beaux produits qui favorisent la création de compétences et de valeur auprès d’artisans vivant dans les régions les plus enclavées du monde, tout en veillant à réduire au plus bas l’impact sur l’environnement. Cette philosophie repose sur notre programme d’approvisionnement en matériaux surcyclés et durables, concrétisé par notre cuir zéro déforestation en Amazonie. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec la National Wildlife Federation afin de créer une chaîne d’approvisionnement du cuir dont la production se caractérise par un impact zéro en matière de déforestation. Notre partenariat avec la National Wildlife Federation garantit la traçabilité de toutes les peaux en provenance de fermes préservant le biome de l’Amazonie. Ces dernières s’abstiennent de faire paître leurs troupeaux sur des terres qui faisaient partie de la forêt tropicale. Nous nous approvisionnons en cuir auprès de la tannerie Couro Quimica, certifiée niveau gold par le Leather Working Group, organisme du secteur dont l’objectif consiste à promouvoir la durabilité. Ce dernier contrôle la traçabilité de notre cuir de la ferme aux abattoirs en passant par le processus de tannage, eux aussi labellisés or. Le groupe demande aux fabricants de cuir de respecter un protocole d’audit permettant d’évaluer leur gestion des performances environnementales au niveau du processus de tannage et de la traçabilité des peaux utilisées. De la sorte, les fermes brésiliennes qui fournissent du cuir doivent démontrer qu’elles n’ont été impliquées dans aucune forme de déforestation depuis 2009 et qu’elles peuvent attester d’une parcelle officiellement délimitée depuis 2010. Étant donné l’étendue des marques et produits disponibles de nos jours, nous incitons tous les consommateurs à s’informer quant aux méthodes de production et lieux d’approvisionnement de leurs achats. Afficher une transparence accrue au sujet de leur chaîne d’approvisionnement est devenu un passage obligé pour les marques. Sans aucun doute, cette pratique est encouragée par l’importance croissante des réseaux sociaux, qui leur permettent de communiquer directement avec leurs clients à travers ces canaux. Il existe d’autres sources d’informations pour les consommateurs telles que Good on You, l’appli qui évalue les marques sur des critères de transparence et de pratiques écoresponsables. En ce qui nous concerne, nous avons publié une documentation complète disponible en ligne pour être tout à fait transparents avec nos clients et les rassurer sur ce point. Nous sommes ravis de travailler avec des organisations telles que la National Wildlife Federation afin de garantir que notre chaîne d’approvisionnement est saine et d’ouvrir la voie à d’autres marques. »

Cameron Saul Bottletop sourcing Brasil
Cameron Saul, cofondateur de Bottletop & #togetherband, a travaillé en étroite collaboration avec la National Wildlife Federation afin de créer une chaîne d’approvisionnement du cuir dont la production se caractérise par un impact zéro en matière de déforestation.

Beto Bina, fondateur de Farfarm

Après une première carrière consacrée à la stratégie, l’innovation et le développement durable chez Nike, Google, Uber, Samsung, Coca-cola…, Beto Bina a fondé sa propre entreprise. Farfarm accompagne les marques de mode dans la mise en place de chaînes d’approvisionnement durables. La start-up brésilienne développe des textiles issus de l’agroforesterie (coton, jute, ramie…), selon des méthodes inspirées de la nature visant à favoriser le développement social et régénérer les zones dégradées. L’an dernier, Farfarm a rejoint le programme d’innovation en matière de durabilité Fashion For Good. En parallèle, Beto Bina est responsable de la chaîne d’approvisionnement de Veja, impliquant notamment le cuir, le caoutchouc et le coton.

« Il y a deux défis majeurs lorsqu’il s’agit de tracer le cuir. Nous sommes face à une chaîne d’approvisionnement longue et complexe, dans laquelle de nombreux acteurs et différentes industries interviennent et ce de diverses provenances. Mais le cuir représente moins de 5% de la valeur du bétail – du moins au Brésil -, ce qui nous donne peu de poids et d’influence pour changer les process ou simplement aider à retracer son origine. Ayant ce contexte à l’esprit, notre stratégie pour surmonter les lacunes consiste à établir des collaborations clés. Nous savons qu’il est presque impossible de créer une chaîne d’approvisionnement en partant de zéro sur le marché de la viande, extensif et puissant. Le Brésil est un pays immense et un important fournisseur de cuir, avec son lot de problèmes mais il est aussi peuplé d’une multitude de personnes extraordinaires qui font leur maximum pour bien faire. Nous devons donc trouver des partenaires tout au long de la chaîne qui croient en notre projet et sont en mesure de nous aider non pas par ambition pécuniaire, mais parce qu’ils partagent nos valeurs et souhaitent prendre part à notre mission. Aujourd’hui, des personnes font ce travail de sélection du bétail dans les champs, de marquage et d’identification avec différentes méthodes – toutes respectueuses – à chaque étape du processus. Cependant, c’est difficile. Parmi nos initiatives, nous nous concentrons sur le bétail du biome que nous avons appelé ‘Pampa’ (tous nos cuirs ne proviennent pas de la pampa, certains du Midwest mais aucun de la région du Nord). Il est situé dans l’État du sud du Brésil, loin de l’Amazonie, à proximité de l’Argentine et de l’Uruguay. Le biome naturel y est comme presque ‘conçu’ pour le bétail. Là-bas vous produisez sans déboiser et, au contraire, en préservant la biodiversité, dans un environnement favorable au climat où la séquestration de carbone dépasse les émissions entériques. Les marques ne peuvent se fier exclusivement aux certifications et déléguer la responsabilité à des tiers mais doivent suivre de très près l’ensemble de la chaîne logistique. À travers mon expérience chez Veja, j’ai rendu visite aux producteurs, observé les pratiques de traçabilité et mis en place des partenariats sur la base d’accords et d’incentives (financiers et non financiers). La croissance ne peut se faire dans la négligence et j’encourage les entreprises à établir un ‘budget agricole’ pour développer les projets de façon responsable. Il reste encore beaucoup à faire, mais nous pensons que des collaborations radicales et intègres constituent la voie privilégiée. »

Le brésilien Beto Bina a fondé la start-up Farfarm qui accompagne les marques de mode dans la mise en place de chaînes d'approvisionnement durables reposant sur l’agroforesterie.

Sylvie Quartara, créatrice de Sy&Vie

140 heures, c’est le temps de réalisation d’un sac Sy&Vie. La créatrice brésilienne Sylvie Quartara a travaillé à Milan, Londres et Paris dans la production d’accessoires pour la mode et la maison avant de fonder sa propre marque en 2014. Odes à la nature et à l’artisanat, les sacs Sy&Vie sont représentés par une boutique à leur image à Paris : ByMarie. Sculptée, incrustée de fines tranches de bois colorées de diverses essences telle de la marqueterie ou appliquée de fleurs séchées à la main comme un herbier, chaque pièce valorise le patrimoine culturel immatériel et naturel du Brésil.

« Je suis heureuse de pouvoir partager mon point de vue au sujet de la durabilité de la chaîne de production au Brésil. Je me prononcerai uniquement sur les secteurs du cuir et du bois qui sont en lien avec mes créations. De nombreuses personnes associent le cuir à un danger pour la planète mais peu sont ceux qui affirment que les synthétiques sont bien plus polluants. Le cuir est un produit dérivé de l’industrie alimentaire et il est important de rappeler que l’industrie du cuir n’est pas à l’origine de l’abattage d’animaux. Les matières premières de l’industrie de la tannerie sont les peaux d’animaux qui ont été abattus pour la consommation humaine, dans des abattoirs certifiés, dans lesquels la manipulation et le traitement du bétail répondent parfaitement aux exigences en matière de bien-être animal et d’hygiène. Le secteur du cuir brésilien opère depuis des décennies selon une législation environnementale complète qui a instauré des normes de responsabilité et des paramètres stricts à respecter. Les systèmes de traitement des déchets sont soumis au contrôle, à l’inspection et à la certification par des agences nationales et internationales. Il est capital que chaque entreprise utilise dans sa chaîne de production des matières premières présentant des certifications de durabilité. Dans le cas de Sy&Vie, les sacs en cuir sont produits selon les certifications LWG, REACH et CSBC / ICEC. En ce qui concerne l’usage du bois, nous disposons de deux types de certifications : bois légal et bois certifié. Le terme ‘légal’ signifie que l’extraction est autorisée par les agences environnementales et, par conséquent, le produit est accompagné du Document d’Origine Forestière (DOF). Le bois certifié garantit quant à lui la traçabilité et la conformité avec les critères durables et socio-environnementaux attestés dans le document (FSC). Un autre contrôle essentiel consiste à déterminer son origine, en vérifiant que le fournisseur est correctement enregistré auprès de l’Instituto Brasileiro do Meio Ambiente (IBAMA). Le bois utilisé pour façonner les sacs Sy&Vie dispose d’un DOF d’origine légale et les fournisseurs sont déclarés auprès d’IBAMA. Nous ne disposons pas en revanche de la certification FSC. Bien que certains de nos sacs soient intégralement réalisés en bois, la quantité cubique que nous achetons est très limitée et nous ne trouvons pas de fournisseurs certifiés FSC vendant de petites quantités. Malheureusement, il y a encore des incendies dans certaines parties de l’Amazonie et le gouvernement brésilien fait face à certaines difficultés pour les combattre. Hélas les médias internationaux mettent davantage l’accent sur les échecs que sur les réussites dans la lutte pour contrôler et préserver notre écosystème. C’est un fait peu connu qu’au Brésil le pourcentage des terres qui doivent être maintenues en Réserve Naturelle peut varier de 20% à 80% du domaine total. Cette obligation, par laquelle chaque propriétaire terrien doit conserver entre 20% et 80% de terres vierges, représente un total d’environ 60% de la surface du Brésil, mais ceci n’est pas porté à notre connaissance. Bien que le Brésil ait légiféré pour la préservation de la forêt indigène, des zones restent difficiles à contrôler, notamment dans le Nord du pays en proie à la mafia, et je reconnais qu’il doit toujours accroître sa politique de conservation afin de garantir la qualité de vie des générations à venir. Chaque personne et chaque entreprise doivent en être conscientes lors du processus d’achat. Plus elles exigeront des certifications, plus les organisations clandestines perdront du poids et plus nous serons en mesure, avec du temps et de la détermination, d’offrir davantage de place aux entrepreneurs qui ont fait le choix de la durabilité. »

La créatrice brésilienne Sylvie Quartara valorise le patrimoine culturel immatériel et naturel du Brésil à travers des collections de sacs mêlant cuir et diverses essences.

Eduardo Richter, CEO Pacific Leather

Eduardo Richter est le dirigeant de la tannerie brésilienne Pacific Leather située au sud du pays, plus précisément dans la région du Rio Grande do Sul. Créée en 2000 avec une production mensuelle de 6 000 peaux de moutons et de 10 000 peaux de bovins, l’entreprise produit des cuirs de haute qualité pour l’industrie de la sellerie, de la chaussure, de l’habillement et de l’ameublement.

« Il est important que toutes les parties prenantes puissent afficher leur position. La situation en Amazonie n’est pas exactement telle que les médias la décrivent. Ce qui suit n’est que notre vision en tant que petite structure, sur la base de ce que nous avons vu et lu. La majorité des tanneries qui se consacrent à l’exportation répondent à des contrôles très stricts en matière de traçabilité et ce, jusqu’aux sources de leurs matières premières. La question de la durabilité est incontournable pour tous les acteurs du secteur et bénéficie du support de l’association des tanneries brésiliennes (CICB) qui a élaboré des programmes relatifs à cette démarche. En parallèle, de nombreuses tanneries sont certifiées par le Leather Working Group (LWG) qui travaille avec les marques afin de garantir des éléments clés tels que le lieu d’origine des matières premières et de s’assurer qu’elles ne proviennent pas de zones forestières, en d’autres termes l’Amazonie. Ainsi, côté tanneries, toutes les précautions sont prises pour préserver cette région et respecter les lois. Partout dans le monde, les zones de forêts tropicales connaissent des incendies lors des saisons sèches. Est-il possible d’exercer un meilleur contrôle ? La réponse pourrait être positive mais pour cela il est nécessaire de disposer de ressources et d’une planification. De mon point de vue, nous n’aurons de solution que lorsque ce seront les experts techniques et non les politiciens du monde entier qui s’assiéront autour d’une table afin de trouver une issue à la fois réaliste et économiquement viable pour le Brésil. L’Amazonie est un territoire qui pourrait à l’évidence être exploité différemment. Aucun pays ne possède plus de 3 à 5% de forêts indigènes. Le reboisement s’impose comme la solution pour restaurer l’équilibre et il pourrait en être de même ici. Si le monde veut préserver l’Amazonie telle qu’elle existe actuellement, il n’y a à mon sens qu’un seul moyen. Calculer ce que cela pourrait représenter pour le pays en matière de terres agricoles, d’exploitation des sols, etc. et le monde entier allouerait un budget annuel qui financerait le maintien de la région en l’état. Il faudrait en outre disposer d’une force multinationale destinée à couvrir l’ensemble de la région. Il ne s’agit pas de quelques millions dans notre cas mais bien de plusieurs milliards par an. »

210 millions de têtes : c’est le nombre de bovins d’élevage au Brésil, deuxième producteur et premier exportateur mondial. Ce chiffre égale celui de la population brésilienne - Photo © Tommaso Protti, photojournaliste lauréat du 10e prix Carmignac.

Manuela Rodrigues, créatrice de Cabana Crafts

Demeurant depuis 2014 sous la marque Cabana Crafts, le vestiaire de Manuela Rodrigues s’inscrit dans le mouvement de la slow fashion. La créatrice brésilienne cultive un certain classicisme, défendant l’individualité de chaque pièce, l’expression d’un savoir-faire et la singularité d’une matière. Une essence minimaliste et un goût du raffinement qu’elle tire sans doute de son expérience auprès de Christophe Lemaire chez Lacoste et Hermès. De son apprentissage elle conserve naturellement l’usage du cuir, omniprésent dans les ateliers Hermès comme au sud du Brésil, où elle entreprend d’emblée de rechercher ses fournisseurs. Manuela Rodrigues s’y rend régulièrement depuis São Paulo pour sélectionner les peausseries. Digne héritière des valeurs de la maison de luxe française, elle entretient la tradition du fait main, et opte pour une production en quantité raisonnée pour maintenir un produit de qualité avec de belles finitions. La créatrice exploite d’autres matières naturelles telles les feuilles de palmiers tressées par un collectif féminin d’artisans basé à Salvador de Bahia dans le Nord du Brésil.

« Je suis contente de pouvoir donner mes impressions sur ce sujet car effectivement il s’agit d’un thème d’extrême importance pour la planète. Malheureusement nous sommes face à des politiques vraiment nuisibles à l’environnement, dont je ne suis pas du tout fière. Je pense qu’il est important de souligner qu’il existe beaucoup d’opposition et de résistance internes. Malgré cela, le contrôle des douanes est strict envers les articles exportés et toute la chaîne de produits issus de matières premières naturelles comme on en trouve dans mes créations. Il est donc impératif d’avoir le certificat d’origine, qui justifie de la provenance des produits. C’est une documentation obligatoire à présenter avec ‘l’invoice’. Concernant le choix des fournisseurs, toutes les tanneries qui travaillent à l’export sont auditées sur le protocole environnemental de la certification anglaise LWG. Le Leather Working Group stimule l’adoption de meilleures pratiques et établit des normes quant à la traçabilité des matériaux, la consommation d’énergie et d’eau, le processus de production, la gestion des déchets, les licences, les substances restrictives et bien d’autres points encore. L’évaluation de toutes ces pratiques se finalise par une note attribuée à la tannerie auditée qui se voit décerner un label gold, silver ou bronze. Ainsi, j’ai choisi de collaborer avec des tanneries détenant le label, telles que A.buhler, Fuga, Bozano, Krumenauer. Pour ce qui est de la paille naturelle tressée à la main, je me fournis auprès d’Artesol. Cette ONG fait un travail remarquable, elle accueille des artisans traditionnels du Brésil et les aide à implémenter une gestion durable des fibres de palmiers utilisés dans les articles en paille. Le site internet de cette organisation est très complet et peut vous aider à trouver des fournisseurs répondant à de meilleures pratiques. »

Manuela Rodrigues Cabana Crafts
Fondatrice de la marque brésilienne Cabana Crafts, la créatrice Manuela Rodrigues s’inscrit dans le mouvement de la slow fashion.

Flavia Amadeu, CEO AMADEU

Amadeu (Amazonian Material & Design United) conçoit des matériaux durables, dont le caoutchouc naturel d’Amazonie, à destination des secteurs de la mode et du design. Coton ou fil de coton bio vulcanisés de latex naturel, laizes de caoutchouc naturel ou plastique recyclé… figurent parmi son catalogue. En parallèle, sa fondatrice Flavia Amadeu, reçue Docteur en design durable au London College of Fashion, accompagne les entreprises dans le développement de produits et le suivi de production selon une approche holistique : soutien des communautés locales, innovation que ce soient les process ou les matières visant à réduire les impacts environnemental et social, préservation des savoir-faire endémiques dans l’État de l’Acre essentiellement.

« La transparence conduit à informer sur le processus de production et les objectifs des entreprises en matière de durabilité. Nous nous efforçons de répondre à toutes les questions de nos clients, notre ambition étant d’améliorer notre communication quant à l’impact social et environnemental. Cela fait 16 ans que je travaille le caoutchouc naturel avec les communautés vivant au sein de la forêt tropicale amazonienne, de la phase de recherche et de développement du caoutchouc et dérivés jusqu’à la formation des personnes. Elles sont déjà en capacité de récolter le caoutchouc sauvage de manière durable mais ne disposent pas encore d’un produit final à offrir sur le marché. Chaque année, je rends visite à mes producteurs dans différents secteurs de la forêt amazonienne. L’objectif est de faciliter la création de revenus tout en préservant ce réservoir naturel, favorisant l’inclusion des femmes et des jeunes adultes dans la chaîne de production, le commerce équitable, l’amélioration des conditions de travail, etc. Nous achetons nos matières premières auprès de coopératives et d’associations de producteurs, avec lesquelles nous avons conclu des contrats juridiques encadrant l’engagement de toutes les parties à respecter les bonnes pratiques. Amadeu est en pleine croissance et recourt de plus en plus à des matières durables en provenance du Brésil. Certaines sont certifiées tandis que d’autres ne le sont pas encore. Cependant, le plus important pour nous consiste à renforcer nos connaissances sur les matériaux, les processus ainsi que leur impact social. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos fournisseurs et partenaires et nous nous déplaçons constamment (dans les conditions normales, hormis en ces temps de pandémie) afin d’effectuer des visites de contrôle de nos producteurs et des sites de production. »

Flavia Amadeu, Docteur en design durable au London College of Fashion, entourée d’artisans brésiliens dans la région de l’Acre - Photo © David Parry.

57e exportateur mondial de cuirs et peaux bruts, loin derrière les U.S.A., l’Australie, la France, l’Allemagne et les Pays-Bas, le Brésil occupe la seconde place en matière d’exportations de cuirs finis. Le pays concentre un nombre important de tanneries qui fournissent le marché intérieur mais aussi les fabricants et marques étrangères. La qualité et l’atout prix du cuir brésilien passent les frontières : Chine, Mexique, Italie, Vietnam et U.S.A. sont les principaux clients selon les sources de l’Observatoire Économique du Conseil National du Cuir. Si le développement de l’artisanat local et l’exploitation modérée de nos ressources naturelles semblent le meilleur rempart contre les errances de la production industrielle, ils contribuent sans aucun doute à lutter contre la pauvreté et rétablir une certaine forme d’équité. Alors que JBS, le premier transformateur de viande brésilien impliqué à plusieurs reprises dans des affaires de corruptions discrédite la filière, la certification du Leather Working Group a gagné la confiance des ecological native brands comme des grandes marques qui ne contournent pas le problème de la traçabilité du cuir. Interrogé sur la question, le groupe nous a soumis son protocole d’audit de la traçabilité des peaux jusqu’à l’abattoir spécifique au Brésil excluant les entreprises qui traitent avec les fermes impliquées dans l’invasion de terres autochtones et les zones protégées incluses dans la liste d’embargo de l’IBAMA. La tannerie JBS Couros va-t-elle conserver la certification gold, le plus haut niveau de conformité du LWG alors qu’elle est une filiale de JBS ? Pointé pour négligence dans un rapport d’Amnesty International publié en juillet, le groupe aurait laissé du bétail issu de zones protégées de la forêt amazonienne brésilienne s’immiscer dans sa chaîne. Des zones d’ombres persistent et du chemin reste à parcourir mais grâce à la vigilance de l’ONG internationale, JBS doit prendre d’ici la fin de l’année les mesures nécessaires pour mettre un terme aux défaillances du système. Challengé par le discours de nos interlocuteurs qui soulignent les incommensurables disparités entre les régions et les modes de fonctionnement, le boycott des industries brésiliennes ne semble pas la meilleure des options pour accompagner la conduite du changement jusqu’à l’exploitation d’origine. Épinglé à son tour par une coalition de onze organisations de défense de l’environnement et des droits humains, le groupe français Casino, présent au Brésil via sa filiale GPA, s’est engagé à renforcer ces mesures pour contrôler sa chaîne d’approvisionnement. À suivre.

Tommaso Protti Fondation Carmignac
En août 2019, un incendie a fait rage dans la forêt près de Porto Velho, dans l'État de Rondônia - Photo © Tommaso Protti, photojournaliste lauréat du 10e prix Carmignac.

L’Amazonie et les enjeux liés à sa déforestation en données clés

83,8 millions de tonnes de soja : c’est la quantité de soja exportée en 2018 par le Brésil, premier producteur au monde.
210 millions de têtes : c’est le nombre de bovins d’élevage au Brésil, deuxième producteur et premier exportateur mondial de viande de bœuf. Ce chiffre égale celui de la population brésilienne. 
85 000 feux : c’est le nombre recensé de feux dans l’Amazonie brésilienne fin août 2019. Bien qu’il soit inférieur à 2004, 2005, 2007 et 2010, il surpasse de 80% celui de 2018.
20% de forêts en moins : c’est la perte de surface de forêt amazonienne sur les cinquante dernières années selon WWF. Le phénomène s’accélère au Brésil dirigé par le climato-sceptique Jair Bolsonaro. En juillet 2019, la déforestation a été quatre fois supérieure à celle de juillet 2018 selon l’INPE (Instituto Nacional Espaciais).
72% du déboisement : c’est la proportion de terres déboisées en Amazonie brésilienne pour les consacrer au pâturage (65%) et à la culture du soja (7%).

*Source Fondation Carmignac d’après l’exposition des reportages menés entre janvier et juillet 2019 par le photojournaliste italien Tommaso Protti, lauréat du 10e Prix Carmignac, accompagné du journaliste britannique Sam Cowie.

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Rédaction Juliette Sebille
Merci à Tommaso Protti, lauréat du 10e Prix Carmignac
d’avoir accepté de nous confier les photos de son reportage en Amazonie. 

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