La botte camarguaise, labellisée après la charentaise
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Le passage du temps, l’éclat du soleil, l’eau de la pluie laissent sur les objets en cuir un lustre particulier qui les rend plus beaux. Cette patine existe parce qu’ils sont pérennes et pensés pour durer. Pour la majorité des artisans, fabriquer des objets solides et réparables n’est pourtant pas le fruit d’une prise de conscience écologique récente. C’est une évidence, un patrimoine culturel hérité de temps anciens où l’abondance illimitée n’était ni atteignable, ni même concevable où les ressources naturelles étaient rares et utilisées avec parcimonie dans le souci de leur renouvellement.
En botterie, certains montages permettent de réparer les pièces usées encore et encore. Le cousu trépointe réalisé à la main et sa version manufacturée, le cousu goodyear, sont de ceux-là : ils permettent de remplacer la semelle à de nombreuses reprises. Et si à force, la trépointe se fragilise, on peut également la changer. Tout repose sur la qualité des peausseries – le cuir utilisé pour le dessus de la chaussure. « Des souliers avec une belle peausserie vous accompagneront tout au long d’une vie, quelles que soient le nombre de réparations effectuées », s’émerveille Jeanne Preiss, cordonnier-bottier au sein de la Maison Corthay, formée chez les Compagnons du Devoir.
Lorsqu’on l’interroge sur les raisons qui l’ont poussée à choisir la voie du cuir, elle répond sans hésitation : « je voulais d’abord transformer de la matière. Et quand j’ai découvert ce métier, c’est devenu une passion. » Ce métier de bottier, elle en parle avec des étoiles dans les yeux ! D’abord charmée par la maroquinerie, ce sont les mystères insondables du soulier qui l’ont finalement séduite, toutes ses subtilités techniques, invisibles à l’œil du profane, mais nécessaires à la fabrication d’une chaussure de qualité.
Ce haut niveau de technicité, qui rend le métier attrayant, nécessite en contrepartie un long chemin d’apprentissage, beaucoup de persévérance et de dédication. « Nous fabriquons les souliers pour hommes entièrement à la main avec des techniques qui n’ont pas changé depuis des générations et qui nécessitent environ 80 heures de travail à trois dans l’atelier. » Même les outils traditionnels requièrent de longues recherches sur les brocantes ou les sites internet dédiés, car ils ne sont plus fabriqués. La ponceuse mécanique, appelée banc de finition, et une machine coudre pour piquer la tige (le dessus de la chaussure) sont les seules concessions faites à la technologie », témoigne Jeanne Preiss. Quant au client, il devra aussi faire preuve de patience car l’attente avant la livraison est d’environ huit mois.
« En maroquinerie, quand je développe un modèle pour un client, je prends en compte tous les facteurs qui vont contribuer à la pérennité de l’objet. Trouver la bonne matière, le fil adapté, choisir la bonne parure, déterminer la meilleure coupe, identifier le bon renfort : c’est ma façon de faire. Parce que derrière un prototype, il y a une production et s’il y a une malfaçon, elle se répercutera sur des séries entières de produits », observe Carole Gauthrot, modéliste-prototypiste en maroquinerie, fondatrice de la société “De Toutes Les Matières” et enseignante à l’Institut Français de la Mode (IFM). À partir d’un dessin, d’un modèle, parfois d’une simple intention, elle étudie et développe pour ses clients tous les éléments qui permettront la fabrication, voire la production en série d’accessoires de mode. « Il faut faire comprendre aux designers les implications entraînées par le choix d’un cuir, d’un assemblage ou d’une finition, en les guidant dans leurs décisions sans jamais empiéter sur leurs prérogatives de créateurs », confie-t-elle. Au sein de l’IFM, elle oriente les étudiants dans leurs recherches, les amène à se questionner sur le dialogue qui s’instaure entre les formes, les fonctions, les techniques de fabrication et de finition, afin de traduire au mieux les intentions esthétiques visées sans transiger pour autant sur la qualité.
Lorsqu’un designer évoque la douceur, la sensualité, la prototypiste lui répond cuir d’agneau ou chèvre velours, lorsqu’il insiste sur la solidité, elle lui suggère du taurillon, du box calf ou l’ajout d’un renfort, voire d’une triplure. Dans son métier, les aller-retours entre le faire et le dire sont constants, car les sujets sont nombreux et leurs domaines variés. Ils touchent autant au confort ou à la praticité qu’à la perception de soi ou au ressenti. Comme la voiture au temps de son règne absolu, le sac est un objet d’usage et de représentation, un accessoire pratique qui accompagne notre quotidien et un étendard social qui nous définit aux yeux des autres.
Indubitablement, nous entretenons avec nos accessoires de mode une relation particulière. Ce lien spécial, qui s’inscrit dans la durée, se noue dès sa conception, mais il se perpétue aussi au fil du temps. On les nettoie, on les nourrit, on les soigne comme un être cher. Et lorsqu’on les confie, c’est dans l’espoir qu’ils seront bien traités et entourés d’au moins autant d’attention. Dans l’artisanat, le temps est une matière qui s’apprivoise et se transmet en héritage.
C’est un fait, l’engouement pour les métiers du cuir ne tarit pas ces dernières années. Les centres de formations ne désemplissent pas, les programmes d’initiation font “ateliers” combles, les manufactures de maroquinerie ouvrent à tour de bras, l’artisanat séduit à nouveau ! À l’ère de l’intelligence artificielle, de la réalité virtuelle et des réseaux sociaux, il peut paraître anachronique que ces métiers, nourris de savoir-faire ancestraux, ancrés dans la répétition quotidienne de savantes chorégraphies manuelles, transmis pour certaines de générations en générations, provoquent tant de vocations contemporaines. Mais peut-être, tout simplement, que l’enracinement est la clef du renouveau.
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Rédaction Grégoire Talon
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