Made in Cuir : quand le cuir se fabrique en France

Pour la 13ᵉ édition du MIF Expo, salon baromètre de la fabrication française qui s’est tenu du 6 au 9 novembre, l’Alliance France Cuir s’est offert un espace baptisé “Made in Cuir”. Ce dernier regroupait les créations d’une vingtaine de marques et d’ateliers témoignant de la diversité régionale et créative du cuir tricolore, allant de la maroquinerie à la chaussure en passant par les gants, ceintures, bracelets et objets décoratifs.
Autant d’exposants qui composent sur le territoire un maillage de 580 entreprises constituant la fabrication française de la filière Cuir (hors élevage et distribution). Une filière représentant, selon l’Observatoire Économique de l’Alliance France Cuir, 37 393 emplois et 7,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires en sortie d’usine. Un montant généré en 2024 à 82% par la maroquinerie. « C’est de loin le savoir-faire le plus représenté parmi nos ateliers », explique à ce titre Julien Maire, Chef de Projets de Faire De Lance. Cette émanation du Centre Technique du Cuir a pour rôle de mettre en relation créateurs et marques avec des fabricants français répondant à leurs besoins. « L’écosystème français de la chaussure se caractérise par une offre restreinte d’ateliers capables d’accompagner efficacement le développement et la production de nouveaux modèles, notamment en raison de contraintes de savoir-faire, de capacité ou d’investissement », note le responsable.
Pour autant le marché de la chaussure Made in France compte aujourd’hui 86 entreprises, cumulant 3 422 emplois. Ce réseau a généré l’an passé 609 millions d’euros et produit 12,6 millions de paires de chaussures. La chaussure se fait donc une place au milieu des 259 millions de paires de chaussures et chaussants vendus l’an passé en France, selon les données de l’éco-organisme Refashion.

Une tendance de fond

L’engouement actuel pour le made in France peut être retracé jusqu’à 2010, avec le lancement du label Origine France Garantie, et les débats provoqués sur le sujet par la campagne présidentielle de 2012. Cette même année, le ministre Arnaud Montebourg posait en marinière, et Fabienne Delahaye organisait le premier MIF Expo.
« Nos compatriotes sont aujourd’hui conscients des enjeux : ils savent que s’ils n’achètent qu’ailleurs, la France s’appauvrit », explique l’organisatrice. « Notre modèle social s’appuie sur la productivité. Or, la productivité dans l’industrie est bien plus importante que dans les services. Et un produit fabriqué en France crée trois fois plus d’emplois qu’un produit concurrent importé. Donc, par quelque bout que vous preniez la question, il faut réindustrialiser, et donc consommer made in France. C’est un paramètre incontournable. »
Une enquête OpinionWay pour la Chambre de Commerce et d’Industrie de France indiquait fin 2023 que 85% des Français achètent du made in France, principalement dans l’alimentaire, l’hygiène-cosmétique et l’habillement-chaussure. Ils déclarent le faire principalement pour soutenir les producteurs locaux (63%) et l’économie française (56%). Surtout, 89% des Français souhaitent consommer davantage de produits français. Un chiffre à l’importance particulière, cette enquête de référence datant de 2023, année lourdement marquée par l’inflation.

La sécurisation dans la durée d'un approvisionnement diversifié de cuirs et peaux locales représente un enjeu majeur.

À quel prix ?

Seuls 23% des répondants placent le pays de fabrication parmi leurs trois critères d’achat principaux. Le prix est le premier critère pour 80% des sondés, et le premier frein à l’achat de produits locaux pour 70% des Français.
Une tendance confirmée par l’Observatoire Économique de l’Alliance France Cuir. Pas moins de 72% des acheteurs de sacs à main et de petite maroquinerie placent le prix comme premier sujet d’attention, contre 4% pour le lieu de fabrication. Mais ils sont néanmoins 46% à attendre davantage d’information sur la provenance du produit, lors de l’achat. Idem côté chaussures, où 40% des clients attendent plus d’informations sur l’origine.
L’image onéreuse du made in France crée certains paradoxes. Si les clients déclarent que l’origine et la marque sont respectivement leurs 4e et 5ᵉ critères, les fabricants français constatent souvent une inversion de ces priorités. Des consommateurs jugeant une pièce française trop chère déboursent parfois autant pour le produit équivalent d’une marque célèbre, mais produit en Asie, et au détriment de la qualité.
Spectatrice privilégiée des mutations du secteur, Fabienne Delahaye confirme que la question du prix a récemment pris de l’importance. « Les problèmes de pouvoir d’achat, de coûts d’énergie et du logement, de crises politiques… tout cela génère des incertitudes, et l’incertitude n’est jamais bonne pour les affaires », explique la responsable du salon dédié au made in France. « Mais la volonté de consommer made in France, elle, reste réelle et attestée par les chiffres. »
Côté marques, Julien Maire relève pour sa part qu’une production locale offre aux créateurs un avantage rarement évoqué. « Cela a d’abord un aspect pratique : on peut faire l’aller-retour dans la journée pour visiter les ateliers. Pour une petite structure, c’est plus rassurant et moins contraignant qu’un voyage à l’étranger », estime le professionnel, pour qui tout l’enjeu est de trouver le bon atelier.

Durée de vie et réparabilité

Quand ce ne sont pas les marques qui produisent en Asie, ce sont les clients qui y achètent directement, faisant le succès de plateformes chinoises à très bas prix. Un phénomène qui, pour Fabienne Delahaye, vient prolonger celui des délocalisations. « La concurrence déloyale de Temu et Shein avait largement commencé avant eux », estime la responsable, « avec de grandes marques qui ne fabriquent plus en France depuis longtemps. »
Face à l’import bas de gamme, les productions locales ont une carte maîtresse à jouer : juste derrière le prix, les Français ont comme critères la qualité (73%) et la durée de vie du produit (41%). Dans les boutiques physiques de maroquinerie et de chaussures, les clients sont respectivement 66% et 76% à indiquer comme avantages la possibilité de jauger de la qualité et de la solidité des produits, montrent par ailleurs les enquêtes de l’Observatoire Économique de l’Alliance France Cuir.
Or, de l’habillement à la chaussure en passant par l’accessoire, les acteurs du made in France rapportent une lassitude croissante face aux produits qui ne durent pas. Certains gagent même que l’expérience du manque de qualité pousse des clients à rechercher plus de satisfaction auprès des productions locales.
Au-delà de l’argument de proximité, un nombre croissant de marques mettent donc en avant la solidité et la réparabilité de leurs produits, qui justifient, dans la durée, le prix d’achat, et en font l’antithèse d’une offre de produits jetables. Cependant, le succès retentissant de l’ultra fast fashion agit comme un rappel : une grande part de la population se sent peu concernée par les enjeux de durabilité.
Pas de quoi décourager les jeunes marques, estime cependant Julien Maire, pour qui l’attrait pour la production locale reste constant. « Pour les marques émergentes, produire en France est souvent l’une des premières volontés, avec derrière tout ce que cela implique d’un point de vue écoresponsable », explique le spécialiste. « Notamment parce que cela permet de se démarquer. C’est vécu comme un signe d’exigence de qualité et de savoir-faire reconnu. »

Enjeux locaux, portée internationale

Au-delà de la concurrence étrangère, les fabricants français attachés au cuir évoquent des enjeux plus locaux, comme celui de la sécurisation dans la durée d’un approvisionnement diversifié de cuirs et peaux locales. La transmission des savoir-faire aux prochaines générations de travailleurs du cuir s’impose comme une autre priorité majeure chère aux professionnels.
Côté clients, les marques témoignent d’une fatigue face à la multiplication des labels, les appellations d’origine n’étant qu’une goutte d’eau dans un océan de labels censés garantir une offre vertueuse. Cependant, certains labels clés, comme Origine France Garantie et Entreprise du Patrimoine Vivant, auraient toujours un effet sécurisant, estime Fabienne Delahaye. « Y compris pour nous : un exposant certifié nous évite d’avoir à tout vérifier. »
Le lien entre made in France et qualité est également fait par les consommateurs étrangers, comme le montrait l’enquête menée fin 2024 pour CCI France auprès de 4 000 consommateurs allemands, chinois, américains et italiens. Quelque 43% des Américains et 33% des Chinois estiment même les produits français « uniques au monde ». La Filière Française du Cuir, troisième exportatrice mondiale de maroquinerie et cinquième pour les vêtements et accessoires, occupe à ce titre une position forte.
Il ressort également de cette étude que de 49 à 59% des répondants, selon les pays, attendent aujourd’hui une plus grande diversité de l’offre française. À l’heure où l’Hexagone travaille à sa réindustrialisation, et à la relocalisation de certains savoir-faire, l’aspiration à voir s’épanouir les productions tricolores ne se cantonne donc plus à nos frontières.

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Rédaction Louis Endau
Photos © Ici Au Loin – Jules Hidrot pour AFCuir

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