Vers une nouvelle stratégie sourcing des distributeurs ?

La crise sanitaire impacte fortement l’écosystème de la mode et redessine la carte mondiale du sourcing textile et habillement. Sans visibilité sur l’issue de la pandémie, comment les distributeurs peuvent-ils adapter leur stratégie d’approvisionnement pour les prochaines saisons ? En décembre dernier, la Chaire de l’Institut Français de la Mode (IFM), en collaboration avec Première Vision, salon référent de la filière, a consulté une centaine de distributeurs français, tous segments de marché confondus – chaînes spécialisées, grands magasins, entreprises de VAD, hypermarchés -. Retour sur ce décryptage prospectif du sourcing que nous livre Gildas Minvielle, Directeur de l’Observatoire Économique de l’école de mode parisienne.

Sourcing mondial textile
L’étude menée auprès d’une centaine de distributeurs français par la Chaire de l’IFM en collaboration avec Première Vision révèle un fort intérêt pour un sourcing de proximité, en Europe et dans les pays méditerranéens.

Les importations en provenance de Chine se maintiennent

Avant même le début de la crise, les échanges mondiaux des textiles et vêtements connaissaient un ralentissement. Les estimations 2020 d’Eurostat mettent en lumière un recul de 12,3% en valeur et 15,6% en volume des importations européennes d’habillement comparées à 2019. En provenance de Chine, elles n’ont perdu que 4% en 2020 et leur part devrait progresser, passant de 31% à 33-34%. « La pandémie a mis en avant la capacité de rebond de l’économie chinoise, premier pays dont l’activité a redémarré dès le mois d’avril. » Néanmoins la crise a accéléré un mouvement déjà engagé et conforté les aspirations de proximité et de réactivité. « Un coup de frein sensible a été observé dans les approvisionnements européens suite à la fermeture des points de vente en France et dans plusieurs pays voisins. Le sourcing de proximité a servi de variable d’ajustement : quand les boutiques ferment, on ne fait plus de réassort. Les pays méditerranéens ont particulièrement subi cette baisse : le Maroc a vu ses exportations vers l’Europe baisser de -23,5%, la Tunisie de -16,8%. Plus à l’Est, la chute a été moindre depuis la Turquie (-8,7%). Mais on note une volonté des distributeurs de limiter les risques, diversifier leurs fournisseurs et réduire la part des approvisionnements lointains au bénéfice d’autres régions. Ces pays devraient donc tirer profit de cette redistribution géographique dans les saisons à venir. »

Approvisionnement matières
La crise sanitaire mondiale conduit les distributeurs à repenser leur stratégie d’approvisionnement textile-habillement. Les ordres à long terme reculent au bénéfice du moyen terme - entre six mois et le début de la saison.

Le Portugal apparaît comme le partenaire de proximité favori

51% des répondants à l’enquête déclarent vouloir diminuer en 2021 leur approvisionnement en Chine (contre 37% un an plus tôt). Le constat vaut également pour le Bangladesh (39%) et le Vietnam (22%). Les marques essaient de mieux répondre à la demande et de réduire le « time to market » (NDLR – délai de mise sur le marché). Les intentions se confirment pour le sourcing local : 46% du panel souhaite accroître les commandes passées au Maroc (contre 43% l’année précédente), 40% auprès de la Turquie, 28% en Tunisie. « Finalement les régions d’approvisionnement ayant le plus souffert en 2020 pourraient être les principaux bénéficiaires de ce report », constate Gildas Minvielle. Cette évolution profitera-t-elle à l’Europe ? C’est probable puisque 40% des entreprises interrogées disent vouloir intensifier leurs commandes avec le Portugal. Une intention similaire est à noter concernant le made in France. « L’intérêt de plus en plus marqué des consommateurs pour une production locale s’est accéléré au cours de la crise sanitaire. Le sourcing de proximité est plus favorable à l’industrie française et européenne ce qui est de bon augure. »

Sourcing IFM Premiere Vision
Cette nouvelle approche sourcing va de pair avec un arbitrage au niveau des quantités commandées : 64% des distributeurs disent avoir diminué leurs approvisionnements afin de préserver leur rentabilité.

46% des acteurs consultés entendent augmenter leurs achats à court terme

Cette nouvelle donne s’accompagne d’une répartition repensée des approvisionnements. « L’année 2020 a révélé les risques encourus par les entreprises engagées dans une politique de sourcing de long terme, soit plus de six mois avant le démarrage de la saison », souligne l’étude. Afin de minimiser les risques d’invendus, de stocks ou de soldes trop importants préjudiciables aux marges, les commanditaires repensent leurs carnets de commandes. Les ordres à long terme reculent, 40% en 2020 contre 47% en 2019, au bénéfice du moyen terme – entre six mois et le début de la saison – passés de 35% à 44% en un an. Un phénomène déjà observé ces dernières années et qui se confirme. Les commandes à court terme, intervenant en cours de saison (réassort et actualisations), ne connaissent pas d’évolution notable : 16% en 2020 contre 18% l’année précédente. Néanmoins 46% des distributeurs entendent augmenter leurs achats à court terme alors qu’ils n’étaient que 35% à l’envisager l’année d’avant. Une tendance qui vient conforter la flexibilité du circuit court, sensiblement touchée en 2020, mais qui se révèle favorable aux pays géographiquement proches des donneurs d’ordres, notamment ceux de la zone Euromed.

64% des entreprises interrogées ont diminué leurs approvisionnements

Cette nouvelle approche sourcing va de pair avec un arbitrage au niveau des quantités commandées. « 64% des distributeurs disent avoir diminué leurs approvisionnements, en grande partie par la force des choses en raison de la fermeture des points de vente mais pas uniquement. Cette accélération du ralentissement des volumes d’importations, confortée par la crise sanitaire, se vérifie tout au long de ces dernières années : 37% des professionnels avaient déjà réduit leurs commandes en 2019 contre 18% en 2018 afin de préserver leur rentabilité. Au-delà des enjeux économiques, ce phénomène est en phase avec l’éveil d’une conscience écologique des citoyens-consommateurs. »

Sourcing matières durables labellisées
Les préoccupations liées à l’écoresponsabilité interviennent de plus en plus à l’heure du choix d’un pays d'approvisionnement : 49% du panel reconnaît avoir eu recours à des matières durables labellisées et 42% à des matériaux recyclés.

49% du panel reconnaît avoir eu recours à des matières durables labellisées

Les préoccupations liées à l’écoresponsabilité interviennent de plus en plus à l’heure du choix d’un pays d’approvisionnement. Au-delà des considérations sociales (travail des enfants, travail forcé…), l’aspect environnemental est déterminant pour 93% des répondants, particulièrement attentifs à l’utilisation de produits chimiques nocifs pour la santé et l’environnement. Les critères de consommation d’eau (37%), d’optimisation des transports (26%) et d’émissions de gaz à effet de serre (26%) sont en revanche moins décisifs. « La matière est au cœur des enjeux de l’écoresponsabilité », reconnaît le Directeur de l’Observatoire Économique de l’IFM. Interrogé sur le type d’actions écoresponsables mises en place en 2020, 49% du panel reconnaît avoir eu recours à des matières durables labellisées et 42% à des matériaux recyclés. 16% n’utilisent plus certaines matières sujettes à polémique (fourrure, mohair, angora…). 22% des marques indiquent avoir renforcé la traçabilité des matériaux même si 23% admettent ne pas connaître l’entreprise qui a fabriqué le tissu lorsqu’elles achètent un vêtement.

89,80% des distributeurs sondés ont investi dans l’e-commerce

À la question concernant les changements engendrés par la crise du coronavirus, 89,80% des professionnels répondent avoir investi dans le développement du e-commerce pour prendre le train en marche face à la progression des ventes via ce canal : +22% en 2020 en France alors que le marché recule dans son ensemble de 15%. Autre conséquence de la crise, plus de 67% ont réduit drastiquement leurs commandes pour l’automne-hiver 2020-21, incertitudes, confinements et fermetures des boutiques obligent. 36,7% des distributeurs disent avoir augmenté le sourcing de proximité et 28,6% avoir reporté des commandes vers d’autres pays… « Le marché a été énormément bousculé en 2020 et son évolution est amenée à se poursuivre. Les équilibres vont être revus entre sourcing local et grand import et l’avenir devrait être plus favorable à la proximité (Union européenne, pays de l’Est et méditerranéens). Mais même dans un contexte difficile, l’appétit de mode reste bel et bien présent d’où un certain optimisme », conclut Gildas Minvielle.

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Rédaction Laëtitia Blin 
Photos © Alex Gallosi

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