Milan sous le signe de la couleur

Le plaid dessiné par Pierre Marie pour Yves Salomon Éditions se compose de 5 000 pièces, découpées et cousues à la main, en intarsia de shearling (peau de mouton) - Photo © Queyras Laora.

La Milan Design Week, en avril dernier, a donné le ton à échelle mondiale en matière de création design et d’aménagement intérieur. La présence forte de la couleur – riche, singulière, expressive – et l’attention croissante accordée au matériau se sont particulièrement distinguées. La preuve avec les marques Uniqka, Cassina et Yves Salomon Éditions, qui élargissent leur colorama en cuir et peau lainée.

Au nom de la nature avec Uniqka

La marque turque, basée à Istanbul, a fait du cuir sa matière de prédilection. Pour les fondateurs d’Uniqka, Kerem Aris et Merve Parnas, « le cuir possède la beauté innée de la nature. Il est organique et durable, élégant et polyvalent. C’est une ressource responsable ». Mobilier et objets de décoration combinent fonctionnalité raffinée et esthétique minimaliste. Le duo d’artisans travaille main dans la main avec des designers internationaux, tels le Néerlandais Jacob de Baan, le studio turc Bilge Nur Saltik, les Milanais Cara/Davide et Studiopepe… En 2025, Uniqka a présenté sa nouvelle « recrue », la Slovène Lara Bohinc, dans l’historique villa Bagatti Valsecchi à Varedo, en banlieue milanaise. Lara Bohinc se passionne pour la matière. Formée au design à Ljubljana puis au Royal College of Art de Londres, elle s’est illustrée chez Cartier avant de fonder son studio en 2016. La faune et la flore l’inspirent. « J’aime particulièrement observer la nature, dit-elle. Je trouve les oiseaux fascinants. Spécialement leur plumage qui recouvre intégralement le corps en créant une surface texturée unique. C’est ce qui m’a donné l’idée de découper le cuir en petits morceaux puis de les assembler sur des cadres en bois. » Sa collection Betsy propose cinq meubles « sculpture » au design audacieux. Le travail du cuir traduit une harmonie organique. Il se révèle complexe et méticuleux. Les pièces de cuir aux contours arrondis composent des volumes tridimensionnels et éminemment tactiles en forme de tables, console, banc, sans oublier un miroir en pied… La couleur monochrome attire le regard : rose poudré, rouille, bleu pétrole, jaune épicé, marron foncé et noir. Les déclinaisons variées s’adaptent à tout espace. Comme tous les objets Uniqka, les meubles Betsy sont en cuir de sellerie à tannage végétal, « au toucher unique et qui vieillit en beauté », précise le tandem. Le cuir est utilisé de manière poétique mais aussi écoresponsable, la conception minimisant les déchets. Avec ses « plumes » issues de chutes de cuirs, Betsy instaure un nouveau dialogue entre artisanat et design.

État de siège avec Cassina

L’éditeur italien Cassina fête un anniversaire particulier. La production de pièces emblématiques, conçues par Le Corbusier (1887-1965), Pierre Jeanneret (1896-1967) et Charlotte Perriand (1887-1965), a débuté il y a précisément six décennies. Les deux premiers – architectes, suisses et cousins – ainsi que la troisième, une figure pionnière et anticonformiste, ont marqué l’histoire de la modernité. Ce trio visionnaire incarne l’union parfaite de la forme et de la fonction. La couleur faisait pleinement partie de la réflexion au sein du groupe. Pour Le Corbusier, par exemple, qui était aussi peintre, la couleur devait créer « une harmonie visuelle, totalement intégrée à l’environnement ». Charlotte Perriand et Pierre Jeanneret partageaient son approche. Les finitions de leurs meubles étaient toujours soigneusement choisies pour dialoguer entre elles dans l’espace. En 1929, le trio se fait remarquer au Salon d’Automne à Paris. Il expose un mobilier avant-gardiste, défini comme des « équipements ménagers ». Parmi eux, quatre assises élevées au rang d’icônes : le Fauteuil dossier basculant, le Fauteuil Grand Confort (petit et grand modèle) ainsi que la Chaise Longue à réglage continu. Le soin accordé aux détails et à l’innovation saute aux yeux. Le Fauteuil dossier basculant est ainsi la version métallique, légère et compacte, d’un siège colonial, conçu traditionnellement en bois. Les designers ont immédiatement opté pour une assise et un dossier en cuir et un système inédit de bascule. Pour la Chaise Longue à réglage continu, qu’ils surnommaient « machine à repos », c’est un balancier traversant le socle qui optimise ergonomie et confort. L’appuie-tête, habillé de cuir ton sur ton, contribue au caractère indémodable de cette chaise de repos hors pair. Cette série de sièges, de renommée mondiale, est désormais produite en exclusivité par Cassina avec la collaboration de la Fondation Le Corbusier, Pernette Perriand-Barsac et les héritiers de Pierre Jeanneret. Le flagship milanais a dévoilé les éditions limitées 2025 dans trois nouvelles couleurs, rouge bulgare, bleu océan, vert forêt. Le cuir autoportant s’assortit à l’acier tubulaire des structures d’origine. Choisi pour sa résistance, il est monté par les artisans de Cassina et fixé à l’arrière par de petits éléments en acier. La combinaison ton sur ton du métal et du cuir se révèle sophistiquée, intensément lumineuse.

Rouge, bleu, vert : trois coloris intenses pour les éditions 2025 du Fauteuil dossier basculant, des Fauteuils Grand Confort (petit et grand modèle) et de la Chaise Longue à réglage continu, chez Cassina - Photo © Luca Merli.

Yves Salomon invite Pierre Marie

Le travail artisanal de la matière rapproche les deux Français. Yves Salomon est une maison de référence depuis les années 80, connue pour son savoir-faire du cuir, de la peau lainée et, plus récemment, de la fourrure recyclée. Pierre Marie, de son côté, est un dessinateur ornemaniste et un coloriste de talent. Son amour des arts appliqués l’a d’abord conduit dans la mode mais il a rapidement tissé des liens avec des artisans d’art, travaillant par exemple le vitrail ou la tapisserie. À la tête de son studio de création pluridisciplinaire et de sa micro galerie parisienne, il partage sa vision ornementale avec de grands noms du luxe pour des collaborations éclectiques. Lorsque le fourreur met un pied dans la décoration d’intérieur avec Yves Salomon Éditions en 2024, Pierre Marie est aussitôt séduit. « J’ai beaucoup aimé les rééditions du créateur de mobilier Pierre Chapo (1927-1952) en peaux lainées upcyclées, dit-il. La technique de l’intarsia convoque le dessin. De plus, nos ateliers respectifs à Paris sont voisins. » Il n’en fallait pas davantage pour convenir d’une collection exclusive de petit mobilier et d’objets décoratifs, « même si, reconnaît Pierre Marie, le shearling (peau de mouton) était une matière dont j’ignorais tout ! » Marcellin Boyer, en charge notamment des projets spéciaux chez Yves Salomon, a apporté son expertise. « Yves Salomon Éditions nous permet de travailler l’artisanat sous toutes ses formes, dit-il. On ne s’interdit rien. Le shearling intarsia est notre spécialité. Il évoque la marqueterie mais on utilise la couture et non la colle. » Pierre Marie s’est laissé guider par la matière elle-même… « J’ai pris en compte les origines de la peau de mouton et son lien inhérent à l’humanité depuis des millénaires », poursuit-il. C’est lui qui donne sa forme à un siège sculptural. « Le mouton que j’ai conçu s’inscrit dans ma réflexion autour des objets zoomorphes dans l’art, précise Pierre Marie. Son volume a d’abord été développé en mousse, le dessin n’est venu qu’ensuite. La géométrie stylisée des motifs a servi de nomenclature aux différentes pièces. » 17 au total, regroupant tabourets cylindriques, coussins de différentes tailles, plaids, suspension lumineuse en forme d’oriflamme. L’inspiration « bucolique et fantasque » de la collection a trouvé son écho dans l’écrin d’une cour médiévale via Santo Spirito, où elle était mise en scène. Pour illustrer sa vision d’une nature enchantée, Pierre Marie a traduit en une vingtaine de couleurs deux séries thématiques : la Prairie, où apparaît le nœud, son motif « signature », et le Firmament. « Le shearling espagnol mérinos rasé que nous avons utilisé est un type d’agneau d’une grande douceur, qui prend parfaitement la couleur, ajoute le créateur. Chaque morceau est cousu à la main. Il en a fallu 1 200 pour composer le mouton ».

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Rédaction Nadine Guérin

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