Corentin Jacques : du design industriel aux ressources durables

corentin jacques hybrid sneaker
Pour la Biennale Émergences, Corentin Jacques a construit son projet autour de matières recyclées chinées à la Réserve des Arts. Les chaussures « Hybrid. » ont ainsi été fabriquées à partir de chutes de cuirs et textiles.

Formé au design industriel, Corentin Jacques revendique une réinterprétation perpétuelle des objets du quotidien, à travers des projets hybrides. Au fil de ses expérimentations, le jeune designer affirme son engagement pour la durabilité. Son projet de sneakers conçues à partir de matériaux de récupération interroge l’épuisement des ressources, thématique centrale de la Biennale Émergences à laquelle il a participé en octobre dernier.

Quel est votre parcours ?

D’origine parisienne, je suis diplômé depuis novembre 2019 de l’École de Condé de Paris. J’ai suivi une formation en design produit, donc davantage tourné vers l’objet industriel, que j’ai complété par un Master en design global. Celui-ci m’a permis de m’ouvrir à d’autres champs très divers – design d’espace, produit, mode, graphisme… -. Ces deux dernières années d’études ont confirmé ma passion pour le design textile, domaine dans lequel je compte m’épanouir encore longtemps.

corentin jacques semelles
Pour les semelles, Corentin Jacques a façonné des moules en silicone dans lesquels il a intégré un agglomérat de mousse de polyuréthane, seule ressource synthétique, et des chutes de cuir.

Comment définissez-vous votre démarche artistique ?

Je dirais que ma démarche est expérimentale en questionnant l’utilité des objets de la vie quotidienne. J’aime explorer les limites entre l’artisanat et l’industrie, mais aussi celles entre l’art et le design. Au-delà de la fonction contemplative propre aux œuvres d’art, les produits de design ont un usage spécifique et sont imaginés pour être consommables. Ma démarche, si elle se rapproche de l’art, est donc bien de l’ordre du design puisqu’elle fait appel à des outils spécifiques à la conception de produits, à l’instar de la 3D que je manipule lors de la phase de recherches.

Vous avez participé à la Biennale Émergences. Comment avez-vous retranscrit la thématique des ressources à travers le concept « Hybrid. » ?

Le thème des ressources m’a interpellé car l’éco-responsabilité fait partie des problématiques auxquelles je suis confronté. J’ai construit mon projet autour de matières recyclées chinées à la Réserve des Arts. Les chaussures « Hybrid. » ont ainsi été fabriquées à partir de chutes de cuir et textile pour la tige (NDLR – partie supérieure de la chaussure qui recouvre le pied). Les différents matériaux – maille 3D pour la trame, cuir pour la chaîne – ont été tissés à la main. Pour les semelles, j’ai façonné des moules en silicone dans lesquels j’ai intégré un agglomérat de mousse de polyuréthane, seule ressource synthétique, et des chutes de cuir.

corentin jacques tissage
Lors de la Biennale, l’artiste a choisi d’exposer les prototypes de chaussures « Hybrid. » mais aussi toutes les étapes du processus de création – expérimentation des semelles agglomérées, tissage des chutes recyclées, etc. - pour suggérer l’idée que chaque élément a été pensé de façon écoresponsable.

Quel rapport entretenez-vous avec le cuir ?

J’ai véritablement découvert le cuir et ses richesses en 2019 au travers de souliers hybrides imaginés dans le cadre du projet « Créolisation », qui interrogeait le sens d’appartenance culturelle des objets. Pour ce faire, je suis allé à Fès au Maroc où j’ai été accueilli par des fabricants de babouches. Ils m’ont fait découvrir l’ensemble des étapes de la chaîne de valeur du cuir, du tannage des peaux jusqu’à la réalisation manuelle des chaussures. Plus tard, j’ai décidé d’exploiter une nouvelle fois cette matière pour la Biennale. Le cuir m’est apparu comme une évidence puisqu’il répond parfaitement à la thématique des ressources, étant lui-même un co-produit de l’industrie agroalimentaire et un matériau durable.

Justement, quelle place accordez-vous à l’éco-responsabilité ?

À partir du moment où j’ai besoin de donner corps aux concepts grâce à une étape de production, j’essaie d’utiliser au maximum des matériaux durables. Toutefois, selon moi c’est la démarche, presque avant l’objet final, qui doit véhiculer les valeurs écoresponsables. À la Biennale, j’ai choisi d’exposer les prototypes finaux des chaussures, mais aussi toutes les phases du processus de création – expérimentation des semelles agglomérées, tissage des chutes recyclées, etc. – Je voulais que l’on comprenne que chaque élément a été pensé de façon durable. Par ailleurs, je travaille en ce moment sur un projet autour de l’upcycling : baptisé Raschel, il donne une seconde vie aux emballages industriels, comme un filet de pommes de terre détourné en sac à main.

corentin jacques tissage cuir
Les différents matériaux - maille 3D pour la trame, cuir pour la chaîne - ont été tissés à la main.

De quelle façon fabriquez-vous vos produits ?

Je fabrique moi-même à la main tous les produits. Puisque ma formation était davantage tournée vers la conceptualisation et le design, je n’ai pas de véritable bagage technique. Chaque projet relève du challenge car je me confronte à des gestes que je ne connais pas, comme la couture que j’ai apprise il y a peu. L’observation est l’un des points phares du processus de création : je me forme aux côtés de professionnels avant d’expérimenter. Par exemple, j’ai assimilé les techniques traditionnelles de montage du cuir, à la main et sur les machines, auprès de bottiers / cordonniers des Compagnons du Devoir. D’autres fois, je déconstruis complètement les objets pour comprendre la façon dont ils ont été élaborés. Dans tous les cas, il est rare que j’établisse au préalable un dessin technique ou un patronage : généralement, ce sont les expérimentations ou les matières elles-mêmes qui vont m’inspirer et donner forme à l’objet.

Comment envisagez-vous l’avenir ?

La Biennale a été un fabuleux tremplin pour donner de la visibilité à mon travail de designer. Moi qui aime particulièrement collaborer avec des artistes d’horizons différents (NDLR – il a notamment travaillé avec le couturier irakien Hussein Awaili au sein de l’association La Fabrique Nomade), l’exposition m’a permis de confronter mes créations à d’autres univers. À terme, le projet « Hybrid. » est destiné à évoluer : j’aimerais produire les baskets en petites séries pour les commercialiser. Au-delà de l’aspect purement économique, cette étape serait simplement l’aboutissement du projet. Je trouve dommage d’imaginer des chaussures sans qu’elles puissent être portées ! Néanmoins, avant d’arriver à un résultat optimal, certaines matières doivent être améliorées. Par exemple, la semelle agglomérée est encore trop friable lorsqu’elle est en contact avec le sol. Pour la solidifier, je souhaiterais remplacer la mousse polyuréthane par un matériau plus résistant, comme le pneu, afin que les baskets soient à la fois fonctionnelles et 100% écologiques. Par ailleurs, pour que le projet soit viable, j’aimerais intégrer à la production manuelle des techniques industrielles, en travaillant la tige de la chaussure sur un métier à tisser.

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Rédaction Emma Roesslinger

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