Privilégier la qualité plutôt que le genre

Pochette clutch Pranay en cuir bovin tannage végétal.

Avec l’adaptabilité qu’on lui connaît, le cuir sait aussi suivre son époque et abandonner les codes de genres pour mieux mettre en valeur ses vertus. Quand la qualité fait consensus… Matériau multiséculaire de tradition, le cuir avait jusqu’à présent ses déclinaisons masculines et ses versions plus féminines. Mais les temps changent et l’époque est aujourd’hui à l’égalité entre les deux genres, voire l’indistinction en toute impartialité. En prise avec la société, les marques de mode prennent bien sûr en compte cette nouvelle donne et développent de plus en plus une offre commune aux deux genres. Les nouveaux labels, en particulier, peuvent adopter d’emblée ce modèle pour des raisons économiques dans un premier temps, une telle neutralité permettant à la fois de réduire les coûts de gestion et de développement des produits et aussi d’élargir la cible des clients potentiels. Mais c’est également pour mieux valoriser la matière, mettre en avant ses qualités esthétiques, tactiles, durables et fonctionnelles que ces passionnés du cuir optent pour ce modèle plus juste dans tous les sens du terme. Démonstration avec quatre jeunes griffes aussi conscientes des attentes des consommateurs contemporains que soucieuses de leur survie.

Larfeuille, la création au service de l’usage

Lancée en mai 2020 en pleine épidémie de coronavirus, Larfeuille veut « faire la part belle à la matière », comme le déclare son créateur Jérôme Auriac. Et pour servir cette noble mission, celui-ci adopte une esthétique épurée, sans fioriture inutile, et donc à même de plaire aux hommes comme aux femmes. Intégralement fabriqués dans l’atelier parisien, les produits vont des porte-cartes aux étuis à écouteurs ou à lunettes en passant par les portefeuilles, les porte-documents ou ordinateurs, les sacs et un sous-main. « Nos produits sont entièrement faits à la main, cousus au point sellier, et réparables. Ils sont personnalisables par un marquage des initiales de l’acquéreur, le choix de la peausserie, du fil de couture, de la couleur ou par l’ajout de fonctionnalités comme une pochette ou un élastique supplémentaires », explique Jérôme Auriac. Dans une démarche responsable et de recherche d’authenticité, les cuirs sélectionnés par le maroquinier sont tous issus d’élevages bovins bretons et normands et à tannage végétal. Une nouvelle ligne, baptisée Leather Kraft, vient de voir le jour avec un cuir gras que Jérôme Auriac froisse lui-même manuellement après l’avoir laissé tremper 24 heures pour lui donner l’aspect du papier kraft des sacs de courses. « 95% de nos produits sont unisexes ; il nous semble plus intéressant de pousser la création vers les usages que vers le genre et la séduction », décrypte le fondateur. Avant de reconnaître que, de plus, « le marché de la maroquinerie féminine est assez saturé ».

L’Équipage Paris, la découverte des cuirs français par l’upcycling

Issue d’une famille de tanneurs français, Mahaut Portier est née avec la passion du cuir chevillée au corps. Elle a d’ailleurs créé la maison Beaulieu en 2018 pour magnifier le cuir sur des sacs haut de gamme. Mais soucieuse de s’adresser à un plus grand nombre et partager plus largement son amour du cuir, elle a lancé en juin 2020 L’Équipage Paris conçue avec des cuirs provenant directement des stocks dormants de tanneries françaises. « L’Équipage Paris privilégie la qualité à la fantaisie et propose des produits simples confectionnés dans les meilleurs cuirs, exclusivement français, indique Mahaut Portier. Notre premier argument commercial est celui de la découverte des cuirs français. » Le veau lisse, et en particulier le box, est la peausserie la plus utilisée par la marque, en provenance de Fortier-Beaulieu, Degermann ou des Tanneries du Puy. « Les Tannerie Roux nous fournissent également un veau box plus souple très intéressant », précise la connaisseuse. Mais certains articles en veau à tannage végétal ou veau tannage minéral grainé naturel ou embossé des tanneries Haas ou Degermann trouvent aussi leur place dans la collection. Le nubuck de vachette de la tannerie Carriat fait partie – avec le serpent d’eau et le lézard sporadiquement – des 10% de cuirs autres que le veau, utilisés par la marque. « J’aime proposer des touchers et des mains différentes », ajoute Mahaut Portier. Fabriqués au Portugal ou en France, les produits – à l’exception des sacs manufacturés en Tunisie – s’adressent tant aux hommes qu’aux femmes « avec un message d’universalité de la qualité du cuir plutôt qu’un message militant ».

Sneakers mixtes Me.Land en cuir velours et cuir lisse.

Me.Land, des sneakers pour tou.te.s

Quand Frédéric Robert crée Me.Land en juin 2018 pour chausser indifféremment les femmes et les hommes, il fait figure de pionnier, la chaussure étant plus difficilement neutre que les accessoires. Mais sa spécialisation dans les sneakers facilite son choix, comme il le reconnaît. « Ce principe serait plus difficile à tenir pour des chaussures de ville. Avec les sneakers, il suffit de proposer un plus large éventail de pointures, avec des formes plus fines pour les petites pointures et des formes plus larges pour les grandes pointures. Le modèle doit être mixte dès son développement. » Et même pour les couleurs, il opte pour des teintes non stéréotypées. « La nouvelle génération a envie de se faire plaisir sans considération ni a priori sexiste », éclaire-t-il. Confectionnées au Portugal, les baskets sont en cuir de veau tanné au chrome également au Portugal ou en Espagne. « Cela réduit le transport des peaux ; pour cette raison, nous avons abandonné le cuir de chèvre qui ne vient pas d’Europe », ajoute ce professionnel expérimenté passé par de grandes maisons comme Dior, Lanvin, Hermès ou Kenzo et soucieux de l’environnement. Aux finitions lisses, vernies, mattes ou velours, Me.Land (NDLR – ancienne lauréate d’ADC Au-Delà du Cuir, l’incubateur d’entreprises de la filière cuir) marie des parties en nylon issu des déchets retrouvés dans les océans et produit en Espagne. Un positionnement doublement en phase avec les préoccupations des jeunes générations.

Pranay, le tout végétal

La qualité, c’est aussi la priorité de Christophe Aubourg, le fondateur en 2020 de Pranay. « Avec un design minimaliste, intemporel et pragmatique, sans signe de genres, précise cet autre amoureux du cuir. Cette approche non genrée nous permet aussi d’éviter toute surproduction. » Uniquement en cuir bovin à tannage végétal des tanneries Degermann ou Radermecker et fabriquée dans l’Hexagone par un artisan chevronné, la gamme de Pranay se résume pour l’instant à un porte-clés, un porte-cartes, une pochette clutch et un porte-documents, disponibles dans trois coloris (noir, marron, cognac). Un modèle de sac est actuellement en développement, sans délai impératif de lancement. Le temps de concevoir un produit qui accompagnera ses futurs acheteurs des deux sexes pendant de nombreuses années.

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Rédaction François Gaillard

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