40e Festival International de mode d’Hyères : la création avant tout

Layla Al Tawaya, Prix l’Atelier des Matières - Photo © Armel de la Gente.

Pour sa 40ᵉ édition, le Festival de Hyères célébrait autant son héritage que son renouveau. Après le départ de son fondateur Jean-Pierre Blanc et l’arrivée d’Hugo Lucchino à la tête de la Villa Noailles, l’événement s’est recentré sur ce qui fait sa force : la jeune création. Dans une ambiance plus sobre, les collections ont révélé un souffle nouveau, où la sensibilité s’impose comme moteur d’une transformation profonde.

Metatypes par Alix Caumont.

La puissance de la sensibilité

Sur les podiums, ce souffle de changement s’est incarné dans une mode masculine en pleine redéfinition : des collections qui questionnent les archétypes virils en y insufflant douceur et sensibilité, où les lignes utilitaires du vêtement militaire, de travail ou d’extérieur se fondent dans des matières plus fluides, des teintes pastel et des détails délicats. Une invitation à repenser la force à travers la fragilité, et la masculinité par la nuance. Le cuir y a fait des apparitions remarquées, faisant la démonstration de sa versatilité et de sa plasticité.
Dans l’atmosphère studieuse des présentations à la presse Youssef Zogheib, Prix du Public, a ouvert le bal, incarnant parfaitement l’esprit de ce millésime 2025. Pour sa collection Gravesend, il puise son inspiration dans les clichés de John Topham pris pendant la Seconde Guerre mondiale, qui explorent la dualité entre intimité et urgence en évoquant les soldats se travestissant pour les spectacles avant de reprendre précipitamment leurs uniformes lors des alertes. Les volumes sont généreux, les ourlets des pardessus stricts en laine s’amplifient et dansent grâce aux plis et godets, les proportions exagérées adoucissent les lignes sévères d’un trench en cuir noir. Un sac en cuir moulé adopte la forme d’un clairon.
Layla Al Tawaya, Prix l’Atelier des Matières avec sa collection masculine, Perfected Perfecto, crée des variations associant les paradoxes, entre l’iconique blouson, indissociable de l’esprit rebelle des motards des années 60 et l’hyper féminité des ballerines. Elle en casse les codes en le déclinant dans des dentelles aériennes et des tulles mousseux, ou en le sculptant et le plissant dans des cuirs noirs brillants, découpant des motifs de broderie anglaise au laser dans des ourlets volantés.
Xiny HE, s’inspire pour sa collection féminine I believe I can fly, des femmes pilotes symbolisant, pour elle, indépendance et liberté. Ses filles de l’air portent de petits bonnets ajustés en cuir d’agneau dans des coloris pastels, réalisés par les ateliers de la Maison Michel. Le nappa et les cuirs suédés structurent des blousons ourlés de taffetas et des robes fluides en mousseline de soie. La Finlandaise Idalina Freeman, quant à elle, fait défiler des femmes inspirées par les forces féminines de son pays, engagées dans la Seconde Guerre mondiale, vêtues de bombers en cuir d’agneau, brodés de plumes par la Maison Lemarié.
Le Prix 19M des Métiers d’Art vient saluer la collection masculine d’Adrien Michel, Outdoor encounters, hybridation d’objets conçus pour la randonnée et le ski, repensés en vêtements urbains, moelleux cocons aux volumes rembourrés, taillés dans une seule pièce. Son sac polochon, en cuir rose bubble-gum molletonné, réalisé avec les ateliers de Verneuil-en-Halatte, vient égayer une silhouette sportive et élégante.

L’art et la matière

Lucas Emilio Brunner lauréat du Grand Prix du jury Mode présidé par Jean-Charles De Castelbajac, offre avec sa collection À bout de souffle un travail sur la matière très riche. Prenant le ballon de baudruche comme fil rouge, il décline un vestiaire masculin inspiré du style Ivy américain, où un latex versatile se drape dans des tops et trenchs fluides, noués par le gros nœud du ballon.
Dennis Sanders présente une autre variation autour d’une masculinité sensuelle avec sa collection The standard Man. Il compose un vestiaire poudré ou le silicone est travaillé en transparence, laissant apparaître une dentelle cobalt. Les accessoires sont, eux aussi, l’objet de toutes les expérimentations. Les traditions séculaires et les savoir-faire vernaculaires, rencontrent l’expérimentation et l’innovation pour transformer la matière. Les créateurs se font alchimistes.
Amaury Darras, artiste ébéniste et créateur de mode, reçoit, pour sa collection Essences, le Grand Prix du jury Accessoires. Composée d’un sac, d’un corset et de chaussures, tous mixtes et réalisés dans différentes essences de bois, sa proposition de véritables sculptures portables fait ressortir ce qui est vivant et organique au travers de l’objet.
Il sera accompagné par Au-Delà du Cuir (ADC), partenaire officiel du festival qui, par ailleurs, aidé en amont les dix finalistes du Prix Accessoires à transformer leurs idées en projets viables. Il bénéficiera aussi à ce titre d’une intégration auprès des lauréats ADC, d’une exposition au showroom de la rue de Cléry et du soutien du réseau ADC.
De son côté, Alix Caumont créé avec Metatypes, sa propre matière en revalorisant, grâce aux savoir-faire traditionnels, des chaussures de sport dont les crampons et rivets viennent articuler et ponctuer les formes. Son univers d’inspiration, une dystopie née de la surproduction, est suspendu à cause de l’arrêt total de toute fabrication, seule la circularité peut permettre la création. Ses accessoires, casque, gantelet, corset…sont tous doublés en veau velours, sourcé chez Adapta Paris, apportant confort et douceur intérieure à ses carapaces sensuelles.
Pour son prix, Hermès avait cette année fait travailler les candidats autour du gant. C’est Luisa Olivera Lopez qui le remporte. Son travail autour d’un principe de « tension active », qui lui permet de créer des bijoux délicats animés par le mouvement, inspirés du végétal et réalisés en impression 3D silicone et textile, transparaît dans cette paire de gants s’enroulant autour du poignet comme une liane.
Alyssa Cartaut a remporté le Prix du Public avec sa ligne de chaussures en agneau. Des mules délicates et molletonnées, comme sorties du boudoir, inspirées des couettes et coussins. On marche sur un nuage, avec ses formes réalisées en impression 3D et gansées de cuir d’agneau fin dans des tons poudrés, sourcé chez Rémy Carriat, la Mégisserie Richard ou encore Adapta Paris.
Enfin on remarque le travail prometteur de Florentin Mathon, revisitant les archétypes de la chaussure féminine, ballerines, bottes et escarpins, dont il moule les formes imprimées en 3D de cuir de veau ou d’autruche surcyclés. Les frères Antoine et Julien Blanchard mettent en lumière des matériaux nobles traditionnels de l’artisanat, cuir, laine, métal, verre…qu’ils retravaillent pour façonner des objets surréalistes.
Après quarante ans, le festival affirme sa maturité tout en préservant son esprit d’ouverture. Plus qu’un tremplin, il s’impose comme un pont naturel entre jeunes créateurs et industrie de la mode, favorisant des échanges authentiques, empreints de simplicité et de transmission.

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Rédaction Hélène Borderie

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