Réflexion sur l’économie
de la matière

« Adieu le flambant neuf, bonjour le flambant vieux », le 22 janvier dernier, Jean-Paul Gaultier nous donnait une dernière leçon de mode ! « J’ai utilisé mes archives comme de la matière. Ce que j’ai fait à mes débuts sans moyens, je le fais aujourd’hui avec mon patrimoine pour donner vie à des créations nouvelles. » Un passage de relai encourageant envers la génération « ecological native », déterminée à nous rhabiller en renvoyant nos mauvaises pratiques au vestiaire. La préoccupation environnementale avance sur tous les fronts, du podium au backstage, où nous sommes allés pour tenter d’anticiper de quelle étoffe l’éco’système de la mode sera fait.

CLASSE ÉCO

Faire prendre conscience de l’impact de l’habillement et des industries textiles, est un combat de tous les jours pour Amanda Johnston, co-fondatrice de The Sustainable Angle. Depuis 2010 (NDLR – avant le désastre du Rana Plaza en avril 2013, qui a donné naissance au mouvement Fashion Revolution et a révélé au monde les conséquences de nos choix sur les hommes et la Terre), l’association à but non lucratif conseille les entreprises désireuses d’innover dans leur chaîne d’approvisionnement et d’intégrer des projets visant à réduire la dette environnementale de l’industrie. « Nous devons vraiment tous participer au changement parce que nous en sommes arrivés à cet état d’urgence où tous nos efforts collectifs contribuent à stopper la machine du réchauffement climatique. Nous savons que ces effets vont avoir des répercussions sur le temps, les océans, la biodiversité. Nous avons également un vrai problème de gâchis que l’on a beaucoup de mal à résoudre et va s’amplifier au même rythme que l’augmentation de la population à l’échelle mondiale. » Alors que l’avenir de la planète ne tient qu’à un fil, la mode devient une affaire d’engagement.

Alors que l’avenir de la planète ne tient qu’à un fil, la mode devient une affaire d’engagement. L’association à but non lucratif The Sustainable Angle conseille les entreprises désireuses d’innover dans leur chaîne d’approvisionnement et d’intégrer des projets visant à réduire la dette environnementale de l'industrie - Photo © Hello I’m Nik.

ÉCO’SYSTÈME MODE

Chaque année, 80% des textiles produits finissent en décharge ou brûlés, un lourd tribut estimé à 500 milliards de dollars américains, selon un extrait du rapport « Une nouvelle économie textile », de la Fondation Ellen McArthur publié fin 2017. Les leviers ? Éliminer progressivement les substances préoccupantes et les émissions de microfibres, allonger la durée de vie des produits, innover radicalement en matière de recyclage, utiliser les ressources à leur maximum et passer aux énergies renouvelables. Et pour en finir avec le système linéaire – extraire, fabriquer, consommer, jeter – né avec la révolution industrielle, la première chose à faire serait de se pencher sérieusement sur la matière. « Jusqu’à 95% de l’incidence d’un produit peut reposer sur le choix de ses composants, donc il y a une réelle opportunité à gérer nos déchets autrement et c’est pour cela que nous sommes très concentrés sur ce point », insiste Amanda Johnston, qui est aussi la conservatrice d’une collection de plus de 5 000 textiles durables, exposés chaque année à l’occasion de Future Fabrics Expo, l’événement vitrine depuis la création de son association.

Amanda Johnston, co-fondatrice de The Sustainable Angle à l’occasion de Future Fabrics Expo, l’événement vitrine depuis la création de son association – Photo © Paul Cochrane.

MATIÈRE À RÉFLEXION

Alors comment choisir ces matières de référence en toute conscience ? D’où viennent-elles ? Comment sont-elles faîtes ? De quoi a-t-on besoin pour les transformer en fibre ou en tissu ? Le premier réflexe est de penser à leurs propriétés mais il faut prendre en compte le process, qui peut peser sur l’empreinte sociale et environnementale du produit. L’industrie de la mode a pour corollaire la dégradation des sols et la perte de biodiversité, par l’usage qu’elle fait des produits agricoles. En restaurant un sol sain et fertile capable de séquestrer le CO² présent dans l’atmosphère, l’agriculture régénérative peut inverser la tendance. Depuis 2014, le groupe Kering s’investit dans la mise en œuvre de solutions d’approvisionnement régénératives et certifiées, afin de soutenir la production durable des fibres issues des systèmes de pâturage, telles que la laine et le cachemire de la région sud du désert de Gobi et à terme le cuir. Dans cet esprit, la marque d’accessoires britannique Bottle Top s’approvisionne en peausseries d’origine brésil issues du programme Novo Campo initié par l’ICV (Instituto Centro De Vida), qui promeut des pratiques agricoles et d’élevage anti déforestation.
Fibres végétales ou animales, artificielles ou synthétiques, trouver la bonne matière pour son produit n’est pas toujours aisé. Du point de vue durable, The Sustainable Angle, la sélectionne sur ces critères : la préservation de la biodiversité et de l’eau, le non recours aux énergies fossiles, l’élimination ou régénération des déchets.

Le coton compte pour 24,5% de la production mondiale de fibres selon les chiffres 2018 du Textile Exchange. Bien que naturel, sa culture demeure encore majoritairement conventionnelle avec des effets dévastateurs sur l’environnement - Photo © Trisha Downing.

RETOUR AUX SOURCES

« Nous avons mis tous nos œufs dans un mauvais panier, deux tiers des matières sont issues de ressources non renouvelables. La question des microfibres synthétiques n’est pas résolue à ce stade mais les problèmes sont sources d’innovation, ce qui est encourageant. », temporise la consultante de l’association. Le tiers restant est quasi exclusivement occupé par le coton, qui représente à lui seul un quart de la production de fibres mondiale, selon l’étude 2018 du Textile Exchange. Bien que naturel, sa culture demeure encore majoritairement conventionnelle avec des effets dévastateurs sur l’environnement. « Le meilleur choix est toujours organique ou recyclé et si vous ne pouvez prendre du coton 100% recyclé, essayez au moins un mélange avec des fibres libériennes à faible impact comme le chanvre, le lin, l’ortie ou des fibres de cellulose extraites de déchets agricoles », recommande-t-elle. Et pour les fibres artificielles de cellulose régénérée à base de pulpe de bois (Tencel™ en est un exemple), il faut absolument vérifier que le fournisseur est certifié FSC ou PEFC par un organe reconnu, gage de préservation des forêts. Au rayon vert, l’engouement pour les fibres animales recyclées prend du galon, telle une caisse de résonnance des considérations quant à la pollution engendrée par l’exploitation intensive des terres et le bien-être animal. La nature ne produit pas de déchets et l’industrie en prend de la graine. Recyc’Leather utilise par exemple des chutes de cuir inexploitées de l’industrie du gant régénérées avec un liant biosourcé. Le matériau souple ainsi obtenu est de qualité et convient à un style sophistiqué. Ou encore, l’usine Lanificio Becagli basée à Prato, hub du recyclage textile en Italie, propose une laine 100% régénérée sans eau ni colorant, en alternative au shearling.

L'industrie de la mode a pour corollaire la dégradation des sols et la perte de biodiversité, par l’usage qu’elle fait des produits agricoles. En restaurant un sol sain et fertile capable de séquestrer le CO² présent dans l’atmosphère, l'agriculture régénérative peut inverser la tendance - Photo © One In.

ZÉRO DÉCHETS

Depuis 2012, l’ONG américaine Parley for the Oceans, tisse un réseau de collecte sur les plages (présent dans 20 pays aujourd’hui) et organise des campagnes avec des grandes marques telles qu’Adidas pour construire de nouvelles chaînes d’approvisionnement à partir de bouteilles de plastiques en polyester (rPET) et de polyuréthane régénérés – économisant 59% d’énergie par rapport à un polyester vierge. Victimes de la mode, les océans cumulent 9,5 millions de tonnes de plastiques chaque année dont 35% des microfibres plastiques qui y dérivent après lavage selon l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN). Si l’équivalent d’un camion continue de s’y déverser toutes les minutes, d’ici 2050, le plastique pèsera plus que le poisson, prévient la Fondation Ellen McArthur. Dans le viseur, les fibres synthétiques (polyester, nylon…). Première nation à légiférer, la France, représentée par la Secrétaire d’État à la Transition Écologique, Brune Poirson, veut changer la trame de l’histoire : à compter du 1er janvier 2025, les lave-linge neufs devront être munis de filtres à microparticules plastiques.

Si l’équivalent d'un camion continue de se déverser dans les océans toutes les minutes, d’ici 2050, le plastique pèsera plus que le poisson, prévient la fondation Ellen McArthur - Photo © Brian Yurasits.

RE-GÉNÉRATION

La régénération de produits pré ou post consommation, est particulièrement porteuse d’initiatives même si pour l’heure la plupart des fibres recyclées ne sont pas recyclables ou plus difficiles à réutiliser, comme c’est le cas pour les mélanges, rappelle un membre de Parley. Le recyclage de pièces collées est tout aussi complexe selon Stéphanie Talevis, consultante en économie circulaire pour le réseau de start-ups Circul’R mentionnant l’exemple de Resortecs®, jeune pousse belge, qui a inventé un fil thermo soluble pour les décoller et faciliter leur réemploi. En France, le taux de collecte des textiles mis sur le marché pouvant être valorisés est de 15% selon Eco TLC, l’éco-organisme de la filière recyclage. La collecte existe mais le vrai sujet c’est qu’est-ce qu’on en fait ? Dans le monde 1% à peine des matériaux usagés est recyclé pour faire de nouveaux vêtements (source Fondation Ellen McArthur). Sans réduction de notre consommation, l’écoconception par laquelle tout pourrait se résoudre à toutes les étapes de la production est un leurre.

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Rédaction Juliette Sebille

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