Paris peaufine sa manufacture circulaire pour la mode

Après l’inauguration il y a un an de La Caserne, son incubateur de mode responsable, la capitale a lancé un appel à projets pour inciter les structures d’économie sociale et solidaire à s’installer au sein d’une manufacture circulaire. Dédiée elle aussi au secteur textile-linge de maison-chaussures (TLC), elle devrait ouvrir fin 2022-début 2023 au sein de l’hôtel d’entreprises Berlier, dans le XIIIème arrondissement.

Une structure dédiée à l’économie circulaire

Paris ne se contente pas d’être la capitale de la mode. Elle se veut aussi exemplaire en matière d’économie circulaire pour cette filière. Après avoir ouvert La Caserne en juin 2021 dans le Xème arrondissement, qui se veut « le plus grand incubateur de mode responsable » en Europe, la Ville nourrit un autre projet ambitieux et complémentaire. Elle vise ainsi l’ouverture, fin 2022 début 2023, de la manufacture circulaire au sein de l’hôtel d’entreprises situé 15, rue Jean-Baptiste Berlier, dans le XIIIème arrondissement. L’objectif de ce nouveau lieu est « d’accueillir divers acteurs et activités, maillons de la chaîne de création et de production du secteur de la mode et du textile ». Mais alors que La Caserne accompagne dans leur essor une quarantaine de jeunes marques responsables, la manufacture circulaire sera dédiée, elle, aux structures collectives de l’Économie Sociale et Solidaire (ESS) de la filière TLC (textile, linge de maison et chaussures). La manufacture circulaire s’installera au deuxième étage de l’immeuble Berlier (qui en compte huit au total), un bâtiment industriel édifié en 1990 par Dominique Perrault et réhabilité sous sa houlette. Soit un lieu iconique, lauréat du prix de l’Équerre d’argent. Et dont la pureté initiale du volume – un « prisme de verre parfait » – a été préservée. Sa remise aux normes, en matière de confort et consommation énergétique, l’a cependant adaptée aux enjeux actuels. Une superficie de 1 094 m2, divisible en deux lots de 324 m2 au centre, et deux autres de 233 m2 en pignon, eux-mêmes sécables via des cloisons, est mise à disposition de la manufacture circulaire.

Plateau Fertile Atelier Roubaix
Fashion Green Hub va dupliquer à la manufacture circulaire son concept de tiers-lieu, le Plateau Fertile, installé à Roubaix depuis 2018 - Photo © Fashiongreenhub.

Fashion Green Hub et Fabrique Nomade, premiers occupants pressentis

Les deux lots centraux ont été attribués à deux premières associations ayant fait leurs preuves dans le domaine, soit Fashion Green Hub (voir ci-dessous) et la Fabrique Nomade. La Fabrique Nomade, également labellisée Manufacture de proximité, a été créée en 2016 à Paris afin de valoriser et favoriser l’insertion professionnelle des artisans migrants et réfugiés en France. Ses actions visent à « promouvoir, employer et faire employer les artisans, transmettre et préserver les savoir-faire artisanaux et participer au renforcement de la cohésion sociale ». À Berlier, elle envisage de redéployer son atelier chantier d’insertion dédié à la confection textile, aujourd’hui installé avenue Daumesnil.  Ce déménagement est cependant « toujours à l’étude ». En tant que façonnier, elle y réaliserait « le prototypage, la fabrication et/ou l’upcycling de produits en petites et moyennes séries pour des marques et des maisons de luxe ». Soit des vêtements, produits textiles de la maison et autres accessoires. Si ces derniers seront principalement en textile, la Fabrique évoque la possibilité de “coudre certains cuirs très fins”. Mais elle n’est en revanche pas encore équipée pour le travail de la chaussure.

Manufacture circulaire Paris Plateau Fertile Atelier
Dédiée aux structures d’économie sociale et solidaire dans la mode, la manufacture circulaire va s’installer dans l’immeuble Berlier, un lieu iconique de l’architecture moderne signé Dominique Perrault.

Les structures de l’Économie Sociale et Solidaire en première ligne

Pour occuper les autres lots de la manufacture circulaire, pourront candidater des projets portés par des structures de l’ESS, ou des groupements intégrant au moins une structure de ce type. Plus en détail sont visées les structures d’insertion ou du travail adapté mobilisées dans la collecte et la revalorisation de textile, linge de maison et chaussures ; les coopératives de production ou entreprises solidaires d’utilité sociale développant des activités de production textile ; les associations de professionnels et FabLabs engagés pour une mode plus durable… Une « liste non exhaustive » précisent toutefois la RIVP (la Régie Immobilière de la Ville de Paris), la Mairie du XIIIème arrondissement et la Ville de Paris, les porteuses du projet. Ces organisations devront soit « préparer, développer ou approfondir des activités de recyclage ou préparation au recyclage local ou des activités » soit « mobiliser leur capacité de production en faveur de l’upcycling d’invendus et de fripes », ou encore promouvoir « des modes de production modernisés (conception numérique, impression et broderie textile assistée par ordinateur, découpe automatisée, etc.) et durables (intégration de matières premières secondaires dès la conception des pièces, modification des chaînes de production pour s’adapter à cet approvisionnement non standardisé, production de prototypes, petites et moyennes séries sur commande des clients finaux pour éviter les stocks,…) ». Autre critère de sélection : l’obligation d’avoir des débouchés à la vente sur un marché strictement local. Les structures accueillies devront enfin faire la démonstration de la « capacité du projet à s’intégrer à la manufacture circulaire dans son ensemble, et notamment à créer des synergies avec Fashion Green Hub et la Fabrique Nomade ». Les dossiers éligibles seront sélectionnés en fonction de quatre principaux critères (sans hiérarchie d’importance) : impact environnemental, impact social, qualité du projet économique, et enfin, performance et fiabilité financière du projet. 

Manufacture circulaire Paris Plateau Fertile
Le plateau Fertile de Fashion Green Hub à Roubaix - Photo © Fashiongreenhub.

À vos candidatures

Les premiers candidats avaient jusqu’au 20 juillet pour transmettre leur dossier, le premier comité de sélection se réunissant début septembre. Mais d’autres candidatures seront encore traitées par la suite, à raison d’une commission tous les trois mois, jusqu’à attribution totale des lots. Ce projet de manufacture circulaire s’inscrit au cœur de la volonté de la Ville de Paris de s’engager dans un mouvement de relocalisation et de démarche circulaire vertueuse de la mode. Et ce, sur fond de prise de conscience des pouvoirs publics et des consommateurs, accentuée par la crise du Covid-19 et sa pénurie de masques, mais aussi de contraintes réglementaires, via la loi AGEC (Anti-Gaspillage pour une Économie Circulaire). Pour la capitale, il s’agit aussi d’inverser une tendance afin de protéger ses savoir-faire et sa capacité de production dans les TLC. De fait, le secteur de la fabrication et de la réparation dans ce secteur, qui employait encore plus de 10 700 personnes à Paris en 2015, a vu ses effectifs fondre de 16% en cinq ans. Aujourd’hui, la Ville affiche son « ambition de rejoindre les pionniers de la ré-industrialisation textile en France tels Le Slip Français, 1083, le projet Résilience… Lesquels se sont fortement mobilisés lors de la crise sanitaire et n’hésitent pas à faire appel à de la main d’œuvre peu qualifiée en travaillant avec des structures d’insertion par l’activité économique et des entreprises du travail adapté”.
Par ailleurs, Paris est la source d’importants gisements de TLC collectés (seconde main des particuliers et invendus et invendables des enseignes). Or, en 2019, 249 000 tonnes de TLC ont été collectées en France, sur 648 000 tonnes mises en marché. Parmi ceux-ci, 58% sont réutilisés, dont seulement 5% revendus en France, le reste étant exporté. Et un tiers ne pouvant être réemployés tels quels sont envoyés en filière de recyclage, majoritairement en Asie. Pour faire basculer la tendance vers la France, Paris compte bien jouer son rôle en matière « de développement de la réutilisation locale et de relocalisation des activités du recyclage ».

Fashion Green Hub duplique son Plateau Fertile

Créée en 2015 à Roubaix par Annick Jehanne (qui continue de la présider), Arielle Levy et Jean-Michel Castaing, Fashion Green Hub met ainsi son « travail collectif » et des « moyens mutualisés » au service du développement « d’une activité mode et textile innovante et durable sur le territoire français ». Réunissant aujourd’hui 370 membres, issus de l’amont à l’aval de la mode et du textile (entreprises, écoles, créateurs…), elle organise des événements (les Fashion Tech Days et Fashion Green Days), en digital et en présentiel, et coordonne des groupes de travail et de recherche. Au sein de Berlier, Fashion Green Hub prévoit de dupliquer le modèle de son premier tiers-lieu, soit le Plateau Fertile, inauguré en 2018 à Roubaix. Celui-ci offre toute une palette de services à la filière : bureau d’études, prototypage, formations, utilisation de machines et logiciels mutualisés, résidences coworking… À Paris, au sein de la manufacture circulaire, l’association accueillera, avec la même palette servicielle, des créateurs et jeunes marques. Le tiers-lieu parisien proposera aussi un catalogue de formations (mode durable, conception virtuelle…) qui ne cesse de s’enrichir. Au menu par exemple : Fashion Green Business formant des entrepreneurs de mode durable ou une initiation à la couture upcycling, tous les deux d’une durée de quatre mois. Si ce dernier module est aujourd’hui axé sur le textile, Annick Jehanne n’exclut pas qu’il s’étende un jour au cuir, avec l’aide de partenaires, « si le besoin s’en fait ressentir et n’est pas déjà satisfait ailleurs ». D’une façon générale, la présidente de Fashion Green Hub souligne que la manufacture circulaire était vivement attendue par ses près de 150 adhérents parisiens, qui y gagneront en proximité. Reste cependant à boucler le tour de table financier : l’un des dix premiers acteurs à avoir obtenu une labellisation de l’État fin 2021 en tant que Manufacture de proximité, le Plateau Fertile, a déjà obtenu des subventions publiques conséquentes. Fashion Green Hub s’attelle aujourd’hui à les compléter à travers un appel aux aides privées, via son fonds de dotation “Fashion Green Seed”, permettant une défiscalisation à 66% des dons. Dans un second temps, Fashion Green Hub compte dupliquer à Paris son concept d’Atelier Agile, sur les rails à Roubaix depuis la fin 2021. Cet énorme atelier industriel numérisé de production à la demande est capable de réaliser des séries de 1 000 à 100 000 pièces. 

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Rédaction Sophie Bouhier de l’Ecluse

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