Peau à peau, une brève histoire du parfum et du cuir #3

Indispensable accessoire

Alors nous allons peut-être donner tort à Alfred… L’ivresse du flacon existe bel et bien, et peut même peut-être parfois supplanter le luxe hédoniste de la fragrance, aussi raffinée et envoutante soit-elle… Objets de l’intime ou précieux colifichets, maisons de mode, parfumeurs historiques ou nouveaux acteurs du secteur s’emparent de la puissance évocatrice de la matière cuir, mais aujourd’hui synonyme d’un luxe durable, pour imaginer flacons, packagings et autres objets de parfums et de beauté. Une filiation évidente avec les précieux flacons enfermés dans leurs étuis de galuchat ou autres précieuses peausseries, des objets particulièrement prisés au XVIII^ème siècle, ou encore les nécessaires de beauté avec flacons et accessoires parfaitement calés dans des valisettes de cuir, compagnons de voyage des élégantes au XIX^ème et début du XX^ème siècle avec leurs malles Moynat ou LouisVuitton.

Objets nomades

Comme un écho, cet « art-de-vivre le parfum », la maison Henry Jacques, maison de Haute Parfumerie dont l’activité a été relancée en 2022 par Anne-Lise Cremona, livre ses jus sur-mesure dans des coffrets gainés de cuir qui n’ont rien à envier à ces raffinements d’antan. Le parfumeur propose aussi toute une collection d’objets de voyage, étuis ou trousses de cuir destinés à contenir les précieux effluves. Une tradition du parfum en voyage qui doit peut-être aujourd’hui autant aux envies d’escapades qu’aux restrictions des compagnies aériennes. Ainsi les maisons de luxe puisant dans leurs codes esthétiques et vocabulaire ont imaginé de nombreux objets destinés à protéger leurs créations parfumées. Plusieurs exemples : en 2016, Louis Vuitton, (re)lance une collection de parfums, des jus composés par Jacques Cavallier-Belletrud et évidemment marqués par cet esprit du voyage et de l’évasion. Ainsi le malletier, pour abriter ses compositions, propose un ensemble d’étuis reprenant les codes et matières historiques de la maison, à choisir en toile Monogram mais aussi en cuir épi, croco, avec ce fermoir semblable à celui des malles de la marque.
Issu d’une collaboration de 2016 avec la maison italienne Valextra, Frédéric Malle propose lui aussi pour sa marque un ensemble d’étuis en veau grainé, disponibles dans les six coloris iconiques Valextra (clay, cobalt blue, grass green, havana, ochre et black) mais aussi en rouge, la couleur signature du parfumeur. Des étuis pensés et conçus pour caler parfaitement le flacon tout rond des Éditions de Parfums Frédéric Malle. Des « travel cases » que de nombreuses marques proposent pour habiller leurs créations, en faire des objets plus désirables encore, comme en 2004 quand Jean-Claude Ellena imagine pour les parfums Hermès, Vanille Galante, Épice Marine, Rose Ikebana, ou encore Muguet Porcelaine pour ne citer que quelques noms de ces Hermessences, une collection pensée comme un hommage aux matières premières, dans des flacons tout en sobriété, avec bouchon gainé de cuir et piqué sellier. Des étuis sont également proposés dans les cuirs signatures du sellier du faubourg, en veau Epsom, veau Sikkim, veau Swift… mais aussi dans des peausseries précieuses, lézard, croco, iguane, ou prétexte à d’étonnantesmarqueteries de cuir… Depuis 2016 Christine Nagel prédestine à la création des parfums Hermès. Pour les Hermessences, elle imagine en 2022 un très joli Violette Volynka sublimé dans son fourreau de veau Swift couleur anémone. Creed aussi perpétue cette tradition du flacon de voyage avec ces étuis fabriqués en Italie et imprimés. Avec leurs allures d’étuis de flasques de whisky, ils accueillent l’ensemble des créations du parfumeur anglais.

Petit luxe juste pour soi

Au fond du sac ou au fond de la poche, avec ces petits formats et ces objets aussi luxueux qu’indispensables, nombreuses sont les marques à avoir choisi le cuir pour habiller ces compagnons du quotidien. Parfois personnalisables, comme les étuis Byredo à marquer de ses initiales ou autres messages, ou encore ceux de la marque Memo avec sa plaque façon étiquette de voyage gravé, ou bien le vaporisateur de sac des fragrances de la Collection Privée des parfums Dior rechargeable à l’infini. Et pour avoir l’embarras du choix, c’est L’Artisan Parfumeur qui imagine « L’Art du cuir », un étui en cuir végétal qui peut accueillir jusqu’à trois tailles voyages des parfums de la collection du parfumeur. Enroulé sur lui-même, l’objet peut être embossé lui aussi de ses initiales.
Petit événement qui agite la « fashion sphère » en 2018, c’est bien sûr l’arrivée d’Hedi Slimane chez Celine, et qui ouvre résolument un nouveau chapitre pour la griffe. C’est vrai aussi côté parfum où le directeur artistique développe toute une ligne de Haute Parfumerie avec des fragrances comme des traductions olfactives de ses souvenirs : nouvelle identité, nouveaux flacons et même nouveau lieu et point de vente pour abriter cette collection. Ainsi au côté des déjà « cultes » Parade, Reptile, Rimbaud, Nightclubbing ou Bois Dormant, Hedi Slimane imagine toute une ligne d’accessoires, petits objets de beauté, vaporisateur de sac en cuir ou toile triomphe, mini-flacon dans son fourreau de cuir porte-clef, peigne dans son étui de cuir, « travel case » comme une petite malle… Autant de propositions de gestes raffinés.
Au lancement de sa marque Maison Francis Kurkdjian en 2009, le parfumeur (depuis 2021 en charge de la création des parfums Dior) imagine plusieurs gestes de parfumerie « disruptifs » comme les bulles parfumées ou encore la lessive. Il imagine aussi ces bracelets de cuir à parfumer, comme une autre façon de porter une odeur sur soi. C’est le même Francis Kurkdjian qui imagine en 2014, Frenesia, une composition pour Fendiproposée en édition limitée, et pensée pour parfumer l’iconique sac Baguette de la marque, vendu dans un packaging « mini Baguette » en cuir jaune, comme une façon de revisiter cette tradition et ces liens entre cuir et parfum.

Flacons d’exception

Cristal, strass, broderie, plumes, laque… Autant de précieux atours pour habiller les flacons d’exception des parfumeurs, des objets proposés en éditions limitées et qui font le délice des collectionneurs qui acquièrent et conservent jalousement ces pièces d’exceptions. Le cuir, matériau remarquable, a évidemment toute sa place dans la panoplie des designers pour imaginer les écrins de ces précieux effluves… Comme Guerlain qui en 2017, pour célébrer les cinq ans de son parfum, le best-seller de Thierry Wasser parfumeur maison, La Petite Robe Noire, imagine une édition ultra-limitée de dix-huit flacons en cristal Baccarat et cuir, l’emblématique flacon « Cœur Inversé » imaginé en 1912 est revu version XXL, et s’encanaille dans un total look black, comme habillé d’un perfecto de cuir, avec clous et franges, par Tassin, maison de peausseries fondée en 1905, La petite Robe Noire à des allures rock…
Autre pièce spectaculaire, Marc Newson, designer des flacons Vuitton, imagine lui, en 2021, pour le malletier-parfumeur, une édition limitée de deux cent pièces des trois jus stars de la marque, Rose des Vents, Matière Noire et L’Immensité, soit une version géante d’une contenance d’un litre du flacon signature en cristal Baccarat abrité sous une cloche de verre et reposant sur un socle de cuir végétal, mis au point au sein des ateliers Louis Vuitton, et qui comme un sac de luxe, va se patiner avec le temps et prendre cette délicate teinte ambrée.

Côté make-up

Gestes et objets de l’intime, la beauté, le soin, le maquillage comme un temps pour soi, rendre précieux ces moments de tous les jours, c’est l’idée avec ces propositions d’étuis rivalisant d’élégance, mais aussi témoinsde la technicité et du savoir-faire des maisons de luxe avec, par exemple, une pléthore de micro accessoires impeccablement réalisés. Condensés des codes de la marque, piqué-sellier et couleurs emblématiques chez Hermès, créés afin d’y loger les précieux tubes de rouge à lèvres imaginés par Pierre Hardy (déjà en charge des collections de souliers et joaillerie de la maison) en 2020, pour la ligne de maquillage, le dernier métier lancé par le sellier sous la direction artistique de Gregoris Pyrpylis.
Chez Givenchy aussi, l’iconique Rouge Interdit est proposé dans un tube gainé cuir, jouant à fond la filiation avec la maison de couture. Au gré des saisons et des collections, c’est ce même tube qui se voit imprimé, gaufré, embossé, coloré, métallisé… comme un écho à la mode et aux collections de Matthew M. Williams. C’est en 2017 qu’un nouvel acteur de la beauté débarque sur ce marché déjà ultra-concurrentiel de la beauté et du make-up, La Bouche Rouge, créée par Nicolas Gerlier. Cette « maison de maquillage » haut de gamme joue la carte du luxe et du non-jetable, avec cet écrin de rouge à lèvres gainé de cuir et rechargeable à l’infini. Où quand le cuir et la beauté s’allient pour imaginer des objets au luxe aussi intemporel que durable.

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19 Nov — Art & culture

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