Entretien et réparation :
enjeux et vertus

Réparation, entretien et customisation de maroquinerie par l'Atelier 2311 à Paris.

Où faire réparer son sac ? Raviver sa couleur ? Re « pimper » son cuir ? Ressemeler ses souliers… À l’heure du réveil écologique, on ne compte plus les initiatives de collecte ou de recyclage et la réparation s’impose comme un autre attribut clé de la démarche durable. Preuve en est, quand il s’agit d’entretenir nos accessoires préférés, maroquiniers, bottiers ou diplômés d’HEC sont aux petits soins et ne manquent pas d’idées pour décupler tous les pans de leur activité.

Réparer vs jeter : l’affaire est dans le sac

Il est huit heures du matin, un air de village fleure bon dans les ruelles pavées qui sillonnent le quartier d’Auteuil. Les petits commerces n’ont pas encore ouvert à l’exception de l’Atelier 2311. Ici on ne chôme pas, 8h-19h. Deux ans à peine que Laurent et Virginie Boukobza ont lancé leur concept – réparation, rénovation et personnalisation de maroquinerie – et déjà les iconiques siglés Chanel, Louis Vuitton et Hermès se succèdent sur les établis. Jumeaux dans la vie, les deux associés font la paire : Laurent, diplômé d’une école de commerce veille aux affaires. Virginie, qui a fait ses classes à l’École Boulle puis à La Fabrique, chapote une équipe de trois maroquinières. Ne répare pas un sac qui veut, la formation est longue et n’a, somme toute, rien à voir avec la production. Fermeture à glissière, poignée, doublure… « nous ne travaillons pas à plat et sommes contraints de démonter certaines parties des sacs pour pouvoir accéder à ces pièces, les remplacer et après tout remonter », observe Laurent. À parcourir l’Instagram de l’atelier 2311, quadrillé de compte rendus post-opératoires, même les cas les plus critiques sont tirés d’affaire. Tel ce Trapèze de Celine brûlé par mégarde avec une bougie posée sur une table, dont il fallut refaire le patronage afin de recréer l’intégralité du semi-rabat.

Laurent et Virginie Boukobza, la fratrie derrière le concept de réparation, rénovation et personnalisation de maroquinerie, l’Atelier 2311.

Lustre, calme et volupté : les accessoires se refont une beauté 

Qu’ils figurent au tableau de chasse de serial chineurs et collectionneurs ou au panthéon d’héritiers de génération en génération, les accessoires font l’objet de toutes les attentions. D’ailleurs le vocable utilisé n’est pas sans rappeler celui d’un salon de beauté ! Dans l’atelier 2311, Laurent examine une serviette rouge Hermès vintage dont la peau a craquelé. Le diagnostic est sans appel : un soin nourrissant. « Avec le temps le cuir se dépigmente, perd de son éclat. Nous offrons la possibilité de retrouver la couleur d’origine ou de partir sur une nouvelle couleur », comme ce sac beige matelassé Chanel, terni par l’usage, relooké en noir. Si la palette issue des fournisseurs sur le marché (Tarrago, Setacolor) comprend plus de 90 nuances pour les cuirs lisses et grainés et 20 pour les velours, le plus souvent, l’atelier réalise des teintes sur mesure. Moins populaires auprès de sa clientèle, les patines, avec leurs jeux de contrastes, confèrent aux articles un aspect naturellement vieilli au sens noble du terme, simulant un cuir qui se serait comme bonifié avec le temps. Un parti pris stylistique plus largement associé à l’univers de la chaussure avec pour chef de file le bottier Berluti, suivi d’une myriade d’artisans qui ont créé leur entreprise autour de cette pratique traditionnelle. C’est ainsi qu’Emilie Patine, maître coloriste sur cuir, intervient auprès de grands noms de la chaussure pour désengorger les départements SAV.

SAV anti coup de pompe : une opportunité de marché ?

Là où les marques faillent, les indépendants ont leur carte à jouer. « Notre positionnement est simple, il consiste à proposer le même niveau de qualité que les maisons de luxe, sur des délais plus courts (une semaine à deux mois maximum) et à des prix inférieurs », insiste Laurent de l’Atelier 2311. Si certaines ont intégré leur Service Après-Vente en Italie, d’autres ne possèdent simplement pas l’expertise, précise Virgile Leyva Charles-Mangeon ; Et les grandes maisons n’hésitent pas à s’octroyer les services de son entreprise pour pallier leurs talons d’Achille. Depuis ses deux boutiques parisiennes sous l’enseigne Claraso – l’une rive droite et l’autre rive gauche -, le gérant de « la cordonnerie la plus chère de Paris » peut se targuer de pouvoir permettre à tout soulier usagé de repartir du bon pied. Ici place à la tradition, on démonte, on change les cambrions, les garnitures liège… et on refait la trépointe à la main. Contrairement au cousu machine, le cousu main permet de repasser indéfiniment dans les trous des chaussures sans abîmer la tige et de prolonger d’autant le cycle de vie des souliers.

À Marseille, l’Atelier de la Basket s’est positionné sur le marché porteur de la réparation et customisation de sneakers – Photo © Camille Boudot.

Cycle de vie : la basket joue les prolongations

Sorti des sentiers du luxe, l’art de réparer n’est plus le seul apanage des cordonniers de quartier. Depuis quelques années, de nouveaux concepts leur emboîtent le pas. Bichonnage, cirage, glaçage, lustrage…autant de gestes anti coup de pompe prodigués au sein de corners et boutiques Les Cireurs, Le Calcéophile, Monsieur Chaussure… Synonyme de consommation responsable, la tendance se démocratise au rythme de la transition durable et se répand dans tous les segments de marché. Pas une journée sans que Jérémy Estelrich, bottier formé chez les Compagnons du Devoir à la tête de Le Cireur de Paris, ne reçoive une demande concernant une paire de sneakers (50% du marché de la chaussure adulte contre 80% pour l’enfant selon Re_Fashion). Le produit est devenu aussi porteur que le bracelet de montre et la maroquinerie, confirme Virgile Leyva Charles-Mangeon de Claraso. À Marseille, l’Atelier de la Basket est l’un des précurseurs du mouvement. En juillet 2019, il a ouvert son propre corner d’entretien et de customisation au cœur du magasin Citadium des Terrasses du Port. Côté enseignes et marques, à chacun son format : Bobbies propose la patine dans son flagship parisien, Bocage ou encore J.M. Weston, qui possèdent leur propre manufacture, ont déployé des initiatives afin de valoriser leurs produits de seconde main. Et le 25 juin dernier, c’est Veja qui investissait Darwin, une ancienne caserne bordelaise reconvertie en hub rassemblant plus de 250 associations et entreprises, pour tester son premier espace destiné à nettoyer, réparer et recycler les baskets de la marque.

L’entretien : vecteur de satisfaction client et de durabilité ?

« Prévenir plutôt que guérir », l’adage n’a jamais été aussi en vogue (NDLR – Entendez réparer plutôt que jeter sous couvert de recycler). Dans son essai publié cet été « Recyclage, le grand enfumage. Comment l’économie circulaire est devenue l’alibi du jetable ? », Flore Berlingen, Directrice de l’association Zero Waste France, rappelle que tout n’est malheureusement pas recyclable et que « l’objectif n’est plus de faire de nos déchets des ressources, mais bien de ne pas faire de nos ressources des déchets ». Dans cette équation, consommateurs comme producteurs portent leur part de responsabilité. La réparation n’est pas une variable mais bien une valeur connue qu’une marque doit déterminer dès la conception de son produit. « Les sacs esprit sellier composés d’une dizaine de pièces pourront être réparés mais pour les modèles de 40 pièces indémontables, on ne pourra pas faire de miracle ! », constate Jérémy Estelrich depuis son atelier à quelques pas de l’Élysée. « Il n’y a plus de demi-mesure, le savoir-faire traditionnel avait un sens mais l’esthétique a supplanté, c’est d’autant plus vrai dans le domaine de la maroquinerie. » De son côté, le gérant de Claraso compte sur des habitudes de consommation plus raisonnées que la crise actuelle pourrait bien favoriser. « Investir dans une bonne paire de chaussures que l’on va entretenir de longues années au lieu de s’acheter plusieurs paires au rabais pour tenir l’année. »

Avec plus de 800.000 paires vendues chaque année, la marque de sneakers Veja se lance dans la réparation et le recyclage de ses iconiques modèles.

Peaux sensibles : les as du camouflage

Mais pour panser les cicatrices, la réparation demande une réelle expertise métier et une bonne dose de créativité. « Dans notre société, les cordonniers-maroquiniers-réparateurs sont bottiers d’origine, ils maîtrisent la réalisation de chaussures et sont formatés pour cela. Nous on les déforme, c’est-à-dire que l’on va leur expliquer de pas reproduire le même produit, que chaque problème est différent et qu’il faut trouver la meilleure astuce pour ne pas modifier ce que l’on a dans les mains. Toute la difficulté réside là et distingue un bon d’un mauvais réparateur », insiste-t-il. À l’atelier 2311, la capacité à customiser s’exprime également par la personnalisation (marquage à chaud ou illustrations) à travers des collaborations avec un pool d’artistes et d’artisans aux savoir-faire complémentaires. « On prend rendez-vous avec la cliente pour cerner ses attentes et envies, en résulte un grand mood board que l’on publie sur notre groupe, puis chacun propose sa solution avec sa propre patte. Une fois que l’artiste est sélectionné par la cliente, on lui soumet un montage du projet superposé sur le sac pour qu’elle puisse se projeter avant de se lancer. » Au quotidien, de simples mesures telles le bichonnage – hydratation du cuir – éviteront bien des désagréments et teintures par la suite. Alors que la gestion du service après-vente est souvent synonyme de point de friction avec le client, les marques approchent ces cordonniers d’un nouveau genre pour développer des ateliers d’entretien en boutique et partager un moment d’échange convivial autour des bonnes pratiques. Un métier d’avenir sans aucun doute.

Le 25 juin dernier Veja investissait Darwin, une ancienne caserne bordelaise reconvertie en hub rassemblant plus de 250 associations et entreprises, pour tester son premier espace destiné à nettoyer, réparer et recycler les baskets de la marque.

La chaussure usagée en chiffres clés

– Chaque année 275 millions de paires de chaussures sont mises sur le marché en France, soit 119 000 tonnes de cuir, caoutchouc, textiles et autres plastiques collés ou cousus entre eux.
– Les chaussures représentent ainsi 19% des tonnages de RE_Fashion mis en marché contre seulement 6% des tonnages de Re_Fashion entrants en centres de tri.
– La grande majorité des consommateurs ne dépose dans les 44 000 points de collecte en France que les chaussures plutôt en bon état qui pourront être réutilisées et jette à la poubelle les chaussures abîmées.
– Les chaussures sont composées en moyenne de 5 matériaux différents assemblés entre eux avec des colles ou coutures qui les rendent difficilement démantelables en vue d’une revalorisation.
– La composition moyenne des chaussures est de 25% de cuir, 24% de vinyle ou polyvinyle, 23% de caoutchouc naturel ou synthétique, 17% de polyuréthane (mousse).
– 85% des chaussures collectées en PAV (Points d’Apport Volontaires) sont réutilisables et 15% sont broyées, fondues, purifiées afin d’être intégrées dans de nouvelles applications.
– 2 500 paires de semelles intérieures donnent matière à réaliser un cours de tennis tandis que 2 500 paires de semelles extérieures en caoutchouc peuvent permettre de revêtir 300m² d’aires de jeu pour enfants.

Source Re_Fashion, l’éco organisme de la filière textile et chaussure.

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Rédaction Juliette Sebille

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