Sur les traces de la chamoiserie niortaise

La peau de chamois, à la fois douce, souple et chaude, est le fruit d’une tradition de tannage très ancienne. La chamoiserie a fait la réputation comme la fortune de la ville de Niort. Port Boinot, édifié sur les fondations d’un ancien site de production, invite à découvrir l’histoire d’une entreprise emblématique, fleuron de l’industrie locale du cuir.

Port Boinot emblème chamoiserie ganterie Niort
Port Boinot est l’emblème de la chamoiserie et de la ganterie à Niort.

Le terme a fait son apparition au début du XVIIIe siècle. Il tire probablement son origine du turc « khamiz » (huile de poisson), déformé en chamois. L’huile de poisson, dont s’imprègnent les peaux de mouton lors de la mise en foulon, caractérise précisément la technique du chamoisage. Elle s’accompagne d’une seconde spécificité. « La peau de chamois est coupée en deux dans le sens de l’épaisseur afin de ne conserver que le côté fleur », explique Fabienne Texier, Attachée de Conservation du Patrimoine. Le toucher velouté, la souplesse mais aussi la solidité découlent naturellement d’un procédé de tannage unique en son genre. En France, il trouve son origine dans le sud-ouest, du côté de Niort.

triage peaux ganterie Niort chamoiserie
Le triage des peaux est essentiel : les plus belles sont réservées à la ganterie ; les plus fines sont choisies pour les femmes ; les plus résistantes, pour les hommes.

De la Sèvre à l’âge d’or

La cité portuaire doit beaucoup à la Sèvre qui la traverse et la relie à l’océan. Ce n’est pas un hasard si les peausseries niortaises font partie des plus prisées et ce, depuis le Moyen Âge. Tanneries et chamoiseries s’alimentent en eau pour laver les peaux de moutons, issues des élevages de la région. Le fleuve fournit la force motrice qui actionne les moulins et convoie les cargaisons d’huiles et de graisses de poissons en provenance d’Europe du Nord, du Pays basque, de Terre Neuve… À la fin du XVIIIe siècle, le travail du cuir est une mono-industrie qui emploie plus de 7 000 ouvriers. Les ateliers fournissent entre autres les culottes de peau des armées durant les guerres de la Révolution et de l’Empire et participent activement à l’âge d’or de la ganterie française. En 1830, 600 000 paires de gants sont fabriquées à Niort. L’année 1929 marque un record avec 2,5 millions de paires de gants produites.

peau chamois veloutée fine séparation épiderme fleur derme Niort
La peau de chamois est veloutée et très fine. L’étape de la scie consiste à séparer l’épiderme ou « fleur » du derme.

Boinot, institution industrielle

Les usines Boinot font partie intégrante de l’histoire du cuir à Niort. La famille y est implantée depuis 1540. Elle s’est d’abord illustrée dans la teinturerie. Mais c’est la chamoiserie et la ganterie qui sont sa marque de fabrique. Théophile Boinot rachète en 1881 un ancien moulin transformé en chamoiserie, dans une boucle de la Sèvre. Les fils prennent la relève au début du XXe siècle. Louis et Charles Boinot exportent rapidement leurs gants dans le monde entier, des cours royales européennes jusqu’au Vatican. Mais le déclin du secteur est irréversible. Après la Seconde Guerre mondiale, la mode change profondément. Les gants de ville ne se portent plus au quotidien. Même si les peaux de chamois niortaises ont servi à nettoyer et lustrer les vitres des gratte-ciel aux États-Unis, d’autres matières ont fini par voir le jour… Boinot change de main en 1992. Christian Valabrègue abandonne la ganterie et tente de renouer avec le chamoisage. « C’est un savoir-faire très spécifique, que nous sommes presque les seuls à conserver, dit-il, à l’aube de l’an 2000. Quand j’ai repris l’entreprise, j’ai fait former les jeunes par les anciens car la chamoiserie n’était plus enseignée. » En 1999, l’entreprise n’employait plus que vingt salariés. Six ans plus tard, elle ferme définitivement ses portes.

Aucune trace ne résiste à la peau de chamois.

Une renaissance urbaine

La dernière chamoiserie niortaise est restée friche industrielle durant une dizaine d’années. En 2015, un projet de reconversion a jeté les prémices d’un vaste programme à finalité culturelle et touristique, s’étendant sur 25 000 m2. L’architecte Franklin Azzi a conduit la réhabilitation du site à la croisée de la Sèvre et du parc naturel du Marais poitevin. Port Boinot sort de terre en 2020. Il regroupe jardins thématiques et bâtiments historiques, invitant à replonger dans la mémoire industrielle. Les ouvrages hydrauliques du moulin d’origine ont ainsi été rénovés et les anciens bassins de traitement des peaux, végétalisés. La Fabrique abrite désormais les ateliers de production, construits vers 1940 sur trois niveaux. Quant au Séchoir, il désigne le bâtiment phare, « symbole » des chamoiseries de la région. Il accueille aujourd’hui l’Office de Tourisme Niort-Marais poitevin ainsi qu’un espace de sensibilisation aux richesses patrimoniales. Au dernier étage, la salle Théophile Boinot explore le passé au fil d’expositions, nourries par le patrimoine industriel, la mémoire ouvrière, un savoir-faire du cuir ancré sur le territoire. Les peaux de chamois ont donné lieu à plusieurs produits très spécifiques : mentonnières pour casques de pilotes d’avion, œilletons pour les caméras, accessoires ménagers utilisés dans l’automobile comme dans l’optique, sans oublier les gants à la finesse extrême. Autant de « produits complexes à réaliser, liés à la mode et au luxe, précise Fabienne Texier. Les fonctions techniques de la peau de chamois sont remplacées par des matériaux techniques plus modernes ».

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Rédaction Nadine Guérin

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