La station d’épuration du district de Santa Croce :
modèle de circularité

Associazione Conciatori Aldo Gliozzi
Dottore Aldo Gliozzi, Directeur de l’Associazione Conciatori.

Nous sommes en Toscane, entre Pise et Florence, dans le district du tannage de Santa Croce sull’Arno, où cette activité est en constante innovation. Ici, le cuir est reconnu dans le monde entier et sélectionné par les plus grandes marques de chaussures, maroquinerie et prêt-à-porter. Au cœur de la dynamique du district, l’Associazione Conciatori représente et dialogue avec 150 tanneries membres afin d’identifier des stratégies motrices pour la compétitivité du secteur. En toute conscience de l’impact de leur écosystème confluant le long du fleuve Arno (6 municipalités que sont Montopoli in val d’Arno, San Miniato, Santa Maria a Monte, Santa Croce sull’Arno, Castelfranco di Sotto, Fucecchio dans un rayon de 10 km pour 100 000 habitants), les entreprises se sont unies afin d’optimiser les ressources humaines et naturelles. À cette fin, elles contribuent aux lourds investissements (1,8 milliard d’euros ces 40 dernières années) dont elles récoltent toujours les fruits, preuve d’une possible compatibilité entre activité industrielle soutenue et sauvegarde d’un environnement, à fort potentiel touristique.

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La station d’épuration Aquarno a la capacité de recevoir chaque jour, 30 000 m³d’eaux usées (20 000 m³ d’origine industrielle et 10 000 m³ d’origine civile).

Fleuron du district, l’usine de traitement de l’eau Aquarno a été construite en 1974, 5 ans avant qu’une législation environnementale ne soit formulée à ce sujet en Italie. Exemple d’économie circulaire dans le monde entier, ce site va bien au-delà de la purification des effluents des tanneries. La station d’épuration réduit les boues contenant du chrome, les transforme thermiquement (Ecoespenso S.p.A.) afin de les réutiliser dans d’autres secteurs tels que le bâtiment (bitume et bientôt fonte). En outre, un système de pointe permet de séparer le chrome utilisé dans le processus de tannage pour le restituer aux tanneries et ce depuis 1981 (Consorzio Recupero Cromo S.p.A.). Les autres résidus, sous-produits du traitement du cuir, y sont également soumis avant de se destiner à d’autres usages, cosmétiques ou scientifiques.
Bientôt un projet ambitieux verra le jour (« Tubone »), permettant d’intégrer la purification industrielle. Fruit d’un accord entre le Ministère de l’Environnement italien, la région et les administrations locales, les eaux usées urbaines de 42 municipalités toscanes seront redirigées vers l’épurateur. Une fois affinées, ce dernier les restituera aux tanneries qui cesseront ainsi de puiser dans les nappes phréatiques.

L’eau et l’homme, composantes essentielles de l’industrie de la tannerie, s’inscrivent comme les priorités numéro un des actions menées. Aussi, le PO.TE.CO, pôle technique de tannage, centre de recherche et de formation continue, est une source unique de développement pour l’ensemble du secteur. Il apporte un soutien technico-scientifique aux entreprises locales, avec des tests de pointe, et un enseignement 360 degrés favorisant la spécialisation du personnel tout au long de la chaîne.

Pour remonter aux origines du district, et décrypter l’évolution d’un écosystème d’entreprises référent de l’industrie du cuir, nous avons rencontré Dottore Aldo Gliozzi, le Directeur de l’Associazione Conciatori. Entretien depuis le siège de l’association à Santa Croce sull’Arno.

Quelle était l’ambition première de l’Associazione Conciatori ?  

Tout remonte aux années 70. L’association, fondée en 1976, est née du rapprochement entre les tanneurs désireux de solutionner le problème de l’épuration de l’eau plutôt que de partir. Déjà, la concentration de sociétés constituait une menace d’un point de vue environnemental. Depuis d’autres problématiques ont émergé, comme la récupération du chrome, des sous-produits comme la gélatine et les boues issues du processus de purification. Mais aussi la formation et la recherche avec le PO.TE.CO. Au fil du temps, l’association a créé différentes entités, une en charge de la gestion de l’eau, une deuxième du chrome, une troisième des boues et ainsi de suite.

Comment finance-t-on le coût de l’épuration ?

Les coûts de gestion sont financés par des fonds privés mais ce n’est pas ce qui pèse le plus. Chaque tannerie paie une contribution à hauteur de la quantité et qualité d’eau à traiter, et avec ces fonds-là, elles couvrent ensemble les frais de gestion. 97% des sociétés d’assainissement des effluents appartiennent aux tanneurs, 3% à la commune. La mairie a plus un rôle de contrôle. Bien que la station d’épuration appartienne au consortium, son Conseil d’Administration est composé de 5 membres des communes et de 4 tanneurs, pour une gestion transparente, et je n’ai pas d’intérêt dans les tanneries locales. La représentation n’est donc pas proportionnelle à l’argent. D’autres fonds sont alloués par l’Europe aux régions dans le cas de projets spécifiques avec des objectifs à atteindre.

En quoi Aquarno est un exemple ?

La plus grande difficulté aujourd’hui est de faire comprendre ce système de gestion de l’environnement aux maisons de mode, parce que l’approche commune consiste à regarder un tanneur en particulier. Alors qu’en fait le bilan de l’environnement est collectif. Aquarno transforme l’eau en eau claire. Les tanneurs sont propriétaires des canalisations qui relient les eaux usées à la station. Chaque tannerie a son propre système d’évacuation d’eau, une station de prétraitement privée, qui converge vers l’épurateur contrôlé par les autorités publiques. Idem pour le chrome que nous sommes les seuls à récupérer en Europe, c’est-à-dire que les tanneries ont mis en place des process qui isolent les eaux contenant du chrome des eaux exemptes de chrome. Ces dernières sont dirigées vers Aquarno tandis que les eaux contenant du chrome sont directement stockées dans des citernes souterraines. Les bains de chrome sont par la suite gérés par le Consorzio Recupero Cromo (même site qu’Aquarno), qui redistribue l’élément chimique aux tanneurs en vue d’un nouvel usage. En d’autres termes, le chrome est habituellement rejeté en quantité contrôlée alors qu’ici il est réemployé, ce qui évite d’aller creuser pour extraire du minerai de chromite.

Pouvez-vous nous en dire plus à propos du « Tubone » (grand tuyau) ?

Ce projet d’économie circulaire vise à recycler tous les déchets physiques et liquides du district. Sur le site de l’épurateur, les effluents urbains et industriels requièrent deux unités différentes car on ne peut pas les mélanger. L’idée serait de renvoyer les eaux urbaines résiduaires post épuration chez les tanneurs pour qu’ils les utilisent et cessent de puiser l’eau des sols. La législation européenne encadre l’usage de l’eau pour une destination civile, agricole et industrielle par ordre de priorité; il faut donc anticiper d’éventuelles restrictions. Assainir les eaux usées des tanneurs pour les recycler serait bien plus coûteux, les effluents des villes sont bien moins souillés. Les rejets des tanneurs sont chargés de sels qui servent à conserver les peaux. Aujourd’hui les tanneurs récupèrent le chrome, et les eaux résiduaires reviennent à la rivière une fois traitées en sortie de station. Nous nous donnons 3 ans pour développer le projet pilote à l’échelle industrielle (quelques tanneries en bénéficient déjà), cela dépend aussi des subventions de la région. En parallèle, nous menons une étude pour récupérer les copeaux et chutes de cuir en tannerie et chez les fabricants, afin de re-fabriquer des matières premières.

Que pouvez-vous nous dire de l’évolution du district ?

La région comptait bon nombre de fabricants de chaussures ce qui n’est plus vrai aujourd’hui. D’un autre côté, Scandicci est en passe de devenir le fief de la maroquinerie de luxe. Les grandes maisons françaises rachètent des unités ou en créent, attirées par la qualité du cuir produit dans la région. Notre district est l’un des rares certifié EMAS, récompense délivrée par le Ministère de l’Environnement italien, qui atteste du respect des normes globales d’éco-responsabilité. Les tanneries sont de moins en moins nombreuses mais de plus en plus grandes et la capacité de production s’en voit augmentée (250 tanneries et 250 sous-traitants du travail de rivière à l’ennoblissement des cuirs). Chanel a racheté Samanta, Kering possède plusieurs tanneries (Caravel, Blutonic), Prada est partenaire de Superior… Si les tanneurs demeurent concurrents, ils s’associent dans les mêmes sociétés d’épuration. En revanche, si le nombre d’unités diminue, cela se répercute sur les coûts fixes de la station d’épuration, qui sont très élevés. Elles ont donc intérêt à ce que tout le monde travaille.

Quel est selon vous l’autre enjeu majeur de votre profession ?

Nous travaillons beaucoup à attirer les jeunes dans les tanneries. Nous avons mis en place une formation filière généraliste avec le concours de l’Université de Pise qui forme aussi bien aux métiers de la tannerie que de la fabrication de chaussures ou maroquinerie. Les étudiants y apprennent à concevoir des chaussures avec des cuirs déjà testés dans notre laboratoire. Car les futures recrues des tanneries doivent être au fait des problématiques de fabrication et vice versa. Les formations peuvent aller jusqu’au niveau Bac +5, comme c’est le cas pour la spécialisation en chimie et génie chimique de tannage en lien avec cette même faculté depuis 20 ans. Les maisons de mode envoient même leurs employés pour suivre cette formation, comprenant deux cours obligatoires sur le site du PO.TE.CO. Nous avons également noué un partenariat avec un lycée de San Miniato, qui propose deux parcours, l’un professionnel (tannerie) et l’autre technique (chimie). Il est réputé comme le meilleur d’Italie au niveau technique, selon les analyses de la Fondation Agnelli. Et 90% des diplômés trouvent du travail en corrélation avec le secteur de leurs études, dans les six mois après l’obtention de leur diplôme. Par ailleurs, le PO.TE.CO, outre son activité de recherche et de tests physico-chimiques sur les peaux et produits finis (partenaire du CTC), propose des formations continues destinées aux employés et demandeurs d’emploi, accréditées par la région et subventionnées par des fonds européens.

LE DISTRICT DE SANTA CROCE EN CHIFFRES CLÉS

Destination produits : 70% de cuir et cuir à semelles, 20% maroquinerie, 10% ameublement.
Contribution dans la production de cuir nationale : 98% de la production de cuir à semelles, 35% de la production de cuir.
Nombre de tanneries : 250.
Nombre de sous-traitants de tanneries : 250.
Effectifs : 6 000 ouvriers.
Effectifs moyens par entreprise : 12 ouvriers.
Chiffre d’affaires annuel consolidé : 2,4 milliards d’euros.
Investissements réalisés au cours des 40 dernières années en recherche, innovation et formation : 1,8 milliard d’euros.

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Rédaction Juliette Sebille
Photos © Anne-Emmanuelle Thion

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