Mathilde Le Gagneur, créatrice de maroquinerie accomplie

Mathilde Le Gagneur créatrice normande
Mathilde Le Gagneur développe sa marque en direct depuis sa région d’origine, la Suisse Normande.

Mathilde Le Gagneur est fraîche et belle au naturel. Sa marque s’inscrit dans le prolongement d’elle-même. Lancée en mai 2017, Atelier Le Gagneur est une ligne à son image, sans fards ni paillettes, composée de quelques modèles empreints d’écoconception. Mais aussi du made in France et de l’inclusion sociale. À contre-courant de la production de masse – qu’elle émane de la fast fashion ou des géants du luxe -, Mathilde Le Gagneur conçoit ses produits à partir de cuirs à tannage végétal et de textiles chinés dans les ressourceries locales. Toutes les pièces sont fabriquées dans des ateliers français, ainsi que des établissements et services d’aide par le travail, qualifiés d’ESAT. Sans filtre, elle fédère une communauté engagée désireuse de donner du sens à ses achats, jusqu’à lui confectionner des masques pendant le confinement. Au fil de ses trois années d’activité, ses bonnes intentions ne se sont pas émoussées. La créatrice confirme sa volonté de produire mieux et moins, avec la perspective de se former pour aller plus loin dans le processus de fabrication de sa collection. Figure à part dans l’univers de la mode, Mathilde Le Gagneur rêve d’un atelier-boutique aux couleurs de ses valeurs. Diplômée de la Central Saint Martins, d’où sortent les stars de la profession, la designer vêtement s’est forgée une riche expérience en maroquinerie chez Louis Vuitton. Résolue à tracer son propre voie, la jeune femme a délaissé les capitales européennes pour revenir à sa région d’origine, la Normandie. La (re)naissance fut double, celle de son enfant puis de sa marque. Depuis sa maison de maître qui surplombe une vallée en plein cœur de la suisse normande, elle est revenue avec nous sur les clés du cheminement de son accomplissement personnel et professionnel.

Mathilde Le Gagneur
Diplômée de la Central Saint Martins, Mathilde Le Gagneur a travaillé chez Louis Vuitton avant de lancer sa propre marque de maroquinerie.

Mathilde, racontez-nous vos débuts dans le secteur de la mode.

J’ai commencé à dessiner dès le lycée et très vite c’est devenu une évidence que je ferai des études d’art. Soutenue par mes parents, j’ai quitté la Normandie à 18 ans pour intégrer l’école nationale supérieure des arts appliquées Olivier de Serres à Paris. À l’origine je convoitais le bijou mais là-bas j’ai découvert le travail autour de la couleur et me suis orientée vers le textile. Après mon BTS, au cours duquel j’avais appréhendé l’échantillonnage, les matières et palettes, j’ai souhaité concrétiser mon apprentissage à travers le vêtement. C’est ainsi que suis entrée aux Arts Décoratifs mais l’école ne me correspondait pas vraiment alors j’ai tenté la Central St Martins à Londres et j’ai été reçue !

Qu’est-ce qui vous amenée à travailler l’accessoire ?

Je me suis donc installée à Londres afin d’étudier le vêtement féminin. Pendant ces trois années, la dynamique était complètement différente. La mode m’a plu et puis j’ai appris à très bien parler anglais. Diplôme en poche, mon projet a été sélectionné pour le défilé presse mais alors que je commençais à chercher du travail, j’ai réalisé qu’il n’y avait que très peu d’emplois, pour ainsi dire que des stages. Par chance, un de mes professeurs de la Central Saint Martins m’a recontactée pour me mettre en relation avec Louis Vuitton. L’entreprise recherchait un profil en Design Accessoires bilingue en anglais. Je n’avais jamais vraiment pensé à l’accessoire mais j’ai passé l’entretien qui s’est révélé concluant.

Toutes les pièces sont fabriquées dans des ateliers français, ainsi que des établissements et services d’aide par le travail, qualifiés d’ESAT.

Qu’avez-vous appris chez Louis Vuitton ?

Ma supérieure était originaire de Normandie, nous avions de nombreux points communs, et nous nous sommes tout de suite bien entendues. Avec elle, j’ai appris à travailler dans une grande entreprise, en relation permanente avec un département marketing, industriel…cela demande des facultés d’organisation. Sur le plan opérationnel, dans la mesure où l’on sait concevoir et dessiner un vêtement, ce n’est pas tellement différent pour l’accessoire. Je concevais la petite maroquinerie : les portefeuilles, les porte-monnaie, les pochettes mais aussi les bijoux de sacs. Je déclinais les formes sur Illustrator, c’était plutôt ludique. En revanche, il fallait prendre en compte toutes les contraintes techniques mais le bureau d’études était voisin, facilitant la fluidité des échanges. D’un côté, je vivais une expérience vraiment enrichissante et de l’autre je trouvais cela un peu frustrant « créativement » parlant. À l’école on nous demandait d’être libres.

Quel a été le déclic pour entreprendre ?

Je suis restée trois ans chez Louis Vuitton et suis tombée enceinte. J’avais acquis cette maison en Normandie où je venais passer mes vacances et week-ends avec mon compagnon, normand lui aussi. C’est au cours de cette période que mes envies et valeurs personnelles ont pris le dessus. Après tout, des créatrices comme Vanessa Bruno se sont lancées très jeunes. Comment pouvais-je concilier mes racines à la campagne, mener la vie dont je rêvais, m’épanouir dans mon métier tout en développant une activité ? C’est devenu assez évident qu’il fallait que je crée ma propre société. Mon passif dans l’accessoires m’a naturellement amenée à lancer une marque de sacs. Mais entre le moment où j’ai pris la décision et le moment où les premières pièces ont été commercialisées, il s’est passé du temps. Finalement, j’avais encore beaucoup à apprendre, notamment pour le sourcing matières, j’ai fait de longues recherches sur Internet et me suis rendue au salon Première Vision.

Sac Glaneur Atelier Le Gagneur
Le sac Glaneur, en cuir de tannage végétal est le modèle phare d'Atelier Le Gagneur.

Quels matériaux avez-vous sélectionnés pour votre projet ?

Je travaille du collet de bovin français à tannage végétal de chez Arnal et Sovos-Grosjean. Ils n’imposent pas de minima et réalisent les couleurs à la demande ce qui me permet d’avoir des teintes exclusives. C’est un traitement végétal pigmentaire qui ne bouge pas. Le cuir s’assouplit avec le temps, je fais de l’éducation auprès des personnes qui ne sont pas familières avec ce produit. Il faut s’en occuper, bien le graisser à la cire d’abeille ou la lanoline qui est une graisse végétale. La vaseline aussi est efficace pour éliminer les traces. Par ailleurs, j’ai trouvé une toile de lin assez épaisse qui convient bien à mes sacs, labellisée Masters of Linen et Ecotex. Elle est tissée en Belgique, filée en Pologne, et je fais faire une apprêt déperlant en France. Les zips viennent de chez YKK, les boutons de col rivetés d’un fournisseur italien, et les boucleries de chez Poursin mais j’essaie de limiter leur consommation. Pour la gamme upcycling, je chine d’anciens tissus d’ameublement satinés, en laine ou en jean dans des recycleries. Trouver mes façonniers m’a également demandé beaucoup d’énergie.

Comment êtes-vous parvenue à faire fabriquer vos sacs en France ?

Ce n’est pas évident quand on est nouveau, on n’a pas de légitimité, les premières productions plafonnent à 30 pièces… Au début on est mis à l’épreuve et on ne peut pas avoir le même niveau d’exigence qu’une marque comme Louis Vuitton. Néanmoins j’avais bien conscience qu’avec du made in France et des matières premières de qualité, mes produits seraient positionnés sur un certain niveau de gamme, en adéquation avec ces critères, c’était très stressant. C’est par Internet que je suis entrée en relation avec un atelier de qualité dans l’Aisne qui, au-delà de la maroquinerie, travaille beaucoup pour l’armée, mais répond aussi à des commandes plus techniques comme des voiles de bateaux. Heureusement le partenariat a tout de suite bien fonctionné. J’ai quand même renvoyé des sacs quand ils ne me donnaient pas pleine satisfaction même si je ne suis pas de nature autoritaire !

Atelier Le Gagneur maroquinerie made in Normandie
Mathilde Le Gagneur conçoit ses collections depuis sa maison de maître qui surplombe une vallée en plein cœur de la suisse normande, et envisage d’ouvrir un atelier-boutique.

Comment abordez-vous la durabilité dans votre processus de création ?

Atelier le Gagneur est né en mai 2017 avec le sac à dos et le sac seau. Ce ne sont pas les deux modèles les plus simples à fabriquer, ils demandent une expertise. Je les ai délibérément voulus bords francs, j’aime bien le côté brut et tenais à me prémunir des craquelures de tranches qui apparaissent en premier même sur des sacs de qualité. Dès novembre j’ai sorti une première collection pour Noël en textile et matériaux upcyclés en collaboration avec l’ESAT à 15 km de chez moi. Sachant que cet établissement d’aide par le travail n’était pas équipé pour piquer le cuir, j’ai adapté mon design, sans couture sur les sangles en cuir. Depuis j’ai trouvé un autre ESAT à la Ferté Macé dans l’Orne qui propose la découpe à l’emporte-pièce.

Quels sont vos leviers de développement commercial ?

Je mise sur l’Internet. La première année j’ai participé à des ventes éphémères à Caen et à Paris dans la boutique de l’Appartement Français à l’occasion de la Rue du Made in France. Mes produits étaient référencés chez Jours à Venir, une market place de produits éthiques et écoresponsables qui avait ouvert une boutique à Montmartre mais a fermé, fortement impactée par les grèves successives et le confinement. Mais je vends davantage en direct, en construisant ma communauté via les réseaux sociaux. Je suis assez bien référencée et je constate que ce type de communication a une incidence sur les ventes. Mine de rien, je commence à être connue dans la région, grâce au bouche-à-oreille mais aussi aux événements et à la presse, je suis passée plusieurs fois sur France 3 régional… Pendant le confinement j’ai beaucoup communiqué via Stories… et finalement je me suis mise à faire des masques. Du coup au déconfinement la dynamique était bonne. Au début, j’avais peur du retour client étant la seule investie dans la marque, mais je me suis détendue car je reçois beaucoup de messages de clientes qui sont ravies. Dorénavant, si j’ai une hésitation sur une couleur je les sollicite, elles apprécient d’être consultées.

Quelles sont les prochaines étapes pour vous ?

J’ai relancé Le Glaneur dans plusieurs coloris (NDLR – le sac seau tout cuir, son modèle phare) et imaginé trois nouveaux articles 100% textiles. Je cherche à faire des produits assez simples et intemporels, que je reconduis. Seules les couleurs changent avec quelques variantes de matières comme le bleu de travail que j’ai introduit cette année. En parallèle, j’ai envie de développer le tout cuir, de faire un petit sac besace, un cabas…dans la perspective de fabriquer moi-même. Je compte prendre le temps de me former, faire tout le montage moi-même, pourquoi pas la découpe et pense à m’installer dans une boutique-atelier pour avoir pignon sur rue. J’étudie des systèmes d’assemblages, les plus simples possibles, ne nécessitant que quelques points à la main. Je fais aussi du design maroquinerie en free-lance  pour d’autres marques, cela m’ouvre des champs, c’est une autre façon de créer avec d’autres contraintes.

Rédaction & photos © Juliette Sebille

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