La botte camarguaise, labellisée après la charentaise
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Elle appartient à cette génération d’entreprises qui se sont positionnées sur la différenciation. Avec un savoir-faire unique, l’impression numérique sur cuir, La Maison Demeure est passée maître dans l’art d’une nouvelle forme d’ennoblissement. Aussi volontaire que visionnaire, sa fondatrice Charlotte Cazal nous a reçus dans son atelier. Extraits choisis.
« J’aime bien le côté underground de Roubaix, être en marge », avoue Charlotte Cazal qui a choisi d’installer son entreprise dans un tissu urbain cousu « de valeur travail et de solidarité », bien qu’il porte encore les stigmates de la misère générée par l’héritage minier. C’est ici, « au cœur de la vie », dans ce paysage de briques habité de personnes authentiques, qu’elle puise cette énergie que rien ne semble pouvoir arrêter. À peine posées ses machines dans un nouvel atelier de 1 500 m², bâti sur les cendres d’une ancienne usine, la propension à entreprendre qui la caractérise si bien reprend le dessus. Derrière les grandes fenêtres encadrées de profils en acier noir, elle imagine déjà une résidence ouverte aux artistes, comme pour renouer avec ses origines.
Tout commence en 2012, raconte Charlotte, qui travaillait alors dans une galerie mais décide de rompre avec le monde de l’art. « Je me suis installée à Berlin et j’ai réfléchi à ce que je voulais faire parce que l’aboutissement d’un travail artistique c’était l’exposition et cela ne convenait pas à mes envies de partage et de création.» Sa nature humaine et son patrimoine familial (NDLR- sa mère travaillait dans une manufacture de patrons et tissus) la conduisent à imprimer ses dessins sur des matières naturelles, emblématiques de notre territoire : des lins, des chanvres ou des métis qui allaient « être habités et vivre des moments avec des personnes ». C’est ainsi que Demeure est née, une marque de vêtements, mêlant upcycling textile et ennoblissement. De fil en aiguille, la créatrice en vient à l’impression numérique pour reproduire ses motifs qu’elle esquisse au stylo à bille puis place çà et là d’un subtil jeu de figures libres.
Sa collection, Charlotte s’en est servie de « cellule » R&D pour créer de toute pièce un savoir-faire singulier, certes manuel mais développé sur le tas à partir de machines qu’elle n’aura de cesse d’adapter. « J’ai commencé à imprimer en sérigraphie et cela n’a pas fonctionné donc il a fallu que je trouve des techniques numériques. Nous procédons à l’inverse des artisans d’art classiques qui cultivent des savoir-faire depuis 200 ans avec des outils qui n’évoluent pas forcément. A contrario, nous possédons des machines innovantes mais pas de savoir-faire, il faut le créer. » Intransigeante sur la qualité des matières et le temps passé à composer des pièces exceptionnelles – à contre-courant de l’environnement de marché bouleversé par la fast fashion -, l’entrepreneuse ne fera pas de compromis pour sa marque. Pas question de circonscrire ses ambitions, Demeure est mise en sommeil et sera réveillée sous conditions. Son univers s’exprime dès lors à travers la prestation de service, distinguée sous l’appellation La Maison Demeure. Très vite, cette activité, unique en France, gagne l’attention de créateurs internationaux, parmi les fameux 6 d’Anvers, entre autres.
Charlotte imprime des dessins et propose des échantillons à ses clients, issus du secteur de la mode, et découvre ainsi le cuir « j’ai commencé avec l’agneau le plus difficile, et le plus merveilleux quand même ». En 2016, sa participation au salon Première Vision scelle définitivement l’idylle. « Démarchée par de très grandes maisons et des designers, je me suis rendu compte qu’il n’y avait pas vraiment de spécialiste du cuir en France malgré la demande .» La suite lui donne raison, en se spécialisant sur ce segment, l’imprimeur effectue un pivot magistral. Mais la matière lui donne du fil à retordre. Régler les machines pour servir l’esthétique et la performance technique relève d’un laborieux processus. Chaque cuir a ses spécificités qu’il convient d’appréhender et de confronter à une combinaison de technologies savamment dosée. « Un rouleau de tissu doit être dévidé, calandré pour être passé dans la machine et l’être humain n’intervient pas si ce n’est lors de l’apparition d’un problème. Nous on reçoit des peaux qui ne passent pas dans des machines ! Il faut prendre les devants, les travailler de manière individuelle car elles ne font ni la même taille, ni la même forme. Du coup on invente, on ajuste tout nous-mêmes. »
Cette expérience quotidienne du challenge, Charlotte Cazal la partage aujourd’hui avec 10 personnes ultra polyvalentes. Appuyée par des fonds d’investissements qui laissent libre cours à la créativité, l’équipe se consacre de plus en plus au design et à la R&D. « Nous sommes sollicités par certaines maisons pour travailler sur des thèmes, donc il s’agit de sortir de notre rôle d’imprimeur à proprement parler pour faire du développement matière en collaboration avec les départements finissages des tanneries ou des fournisseurs de coating. » Une aubaine qui leur permet d’apporter des métiers complémentaires telles que la broderie, le flocage, la micro-perforation grâce à un réseau qu’elle entretient de façon continue. Ces collections sont l’occasion de décupler les sources d’inspiration pour les clients et réorienter les potentiels décalages entre ce qu’ils souhaitent faire et ce que La Maison Demeure est capable de réaliser avec ses outils. Son style, imprégné d’images et de captures écrans, pousse la réflexion. « On vit dans un monde de photographies, de téléphones, de collages, de pubs, de Netflix…on déborde d’images ! Je ne juge pas, j’ai juste envie de réfléchir à ce qu’elles représentent pour nous, de questionner la place de la personne qui est derrière. »
Relativement épargnée par les répercussions économiques de la crise du Covid-19, la production suit son cours. Toujours en mouvement, Charlotte Cazal a profité de cette parenthèse pour faire le point, reprendre des process, revoir le site Internet, imaginer le futur et organiser le nouvel atelier dans lequel ils viennent d’emménager. « C’est un métier que l’on construit tous les jours, j’invente des nouveaux protocoles, je viens de changer mon espace d’accueil pour le rendre plus ergonomique… » Saisissant les enjeux de qualité et de made in France que la période a renforcés, elle souhaite réintégrer un mix de techniques, hybride d’artisanat et d’industrie, de plus en plus demandé par les clients. Réservoir inépuisable, son projet d’entreprise à tiroir laisse la porte ouverte à des marchés peu ou prou inexploités. « On fait encore un peu de textile pour certaines maisons, quand il y a des coordonnées par exemple et on s’est mis à travailler du jean, ce n’était pas du tout prévu mais comme on a les compétences, on le fait, cela nous passionne ». Bientôt, La Maison Demeure va s’ouvrir au secteur de la décoration et du cadeau d’affaires. Et dans le domaine de la mode, au centre de son écosystème, la chaussure que Charlotte affectionne particulièrement dispose d’un certain potentiel, du moins à l’export.
« La création c’est la vie, s’il n’y a pas de création, il n’y a pas de motivation. » Fidèle à son ADN arty, Charlotte Cazal n’envisage pas seulement le développement de son entreprise sur des projections commerciales, mais autour de concepts connexes. Si tout va bien, après la rentrée, les artistes pourront prendre possession des lieux, un site créatif de 200 m² qu’elle réserve à l’expérimentation. On croise les doigts !
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Rédaction & photos Juliette Sebille
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