L’IFM décrypte la crise du marché moyen de gamme

Selon lInstitut Français de la Mode (IFM), les ventes de chaussures ont davantage reculé en France en 2023 et, depuis 2019, que celles de l’habillement. Comme la maroquinerie et le marché de la mode dans son ensemble, elles subissent la crise du moyen de gamme, concurrencé par les chaînes petits prix et la seconde main.

La chaussure a davantage souffert que l’habillement des arbitrages des consommateurs en 2023 et, de façon générale, depuis 2019 - Photo © AdobeStock - Pixarno.

Décrochage

En 2023, les distributeurs de chaussures et accessoires en général n’ont pas été à la fête en France. Gildas Minvielle, le Directeur de l’Observatoire Économique de l’Institut Français de la Mode, a livré, le 15 février dernier, des données et une analyse sans fard sur l’année écoulée sur le marché de la mode français. Si les statistiques ne prêtaient pas à sourire, Gildas Minvielle a incité ses interlocuteurs, parmi lesquels plusieurs représentaient l’amont industriel de la filière, à persévérer sur les voies de l’écoresponsabilité et du Made in France. Car si celles-ci ont encore du mal à s’imposer dans les achats de consommateurs, déchirés entre volonté de consommer local et porte-monnaie atone, elles « progressent » selon lui, ce qui le rend « optimiste » sur le sujet. « Le drame du Rana Plaza en 2013 a marqué les esprits. Et il faut mettre le paquet sur l’écoresponsabilité, qui est un atout de l’écosystème français. Car si le Made in France est plus cher, il faut faire comprendre au consommateur qu’il est gagnant en investissant dans un produit de qualité qui dure plus longtemps. »
À court terme, Gildas Minvielle a établi un premier constat : la chaussure a davantage souffert que l’habillement-textile des arbitrages des consommateurs en 2023 et, de façon générale, depuis 2019. En effet, alors que le chiffre d’affaires des enseignes hexagonales a reculé de 1,3% pour le total habillement-textile, il a dégringolé de 4,9% pour les chaussures en 2023… Depuis 2019, soit avant l’irruption du Covid, la chute est plus cruelle encore, avec un décrochage des ventes de 10% dans les chaussures contre -5,6% pour l’habillement-textile !
Pour arriver à cette conclusion, Gildas Minvielle a croisé les données du Panel IFM, constitué de plus de 100 réseaux de magasins (tous circuits confondus), et d’un échantillon représentatif de détaillants multimarques français, avec celles de la Fevad, des grandes enseignes multisports et de l’Union Sport et Cycle.
La maroquinerie a, elle, vécu, une année 2023 plus grise encore. En prenant en compte trois circuits – les indépendants multimarques (qui s’effondrent de presque 20% !), les chaînes d’habillement et les hypers-supers -, l’IFM a relevé une décrue moyenne des ventes de 9,9%.

La toute puissante sneaker continue d’impacter le marché de la chaussure - Photo © AdobeStock - Beeboys.

Succès des enseignes de sport

L’an dernier, l’inflation a cependant gommé en partie (et artificiellement) les effets du tassement de la consommation des chaussures, comme le montre l’exemple des chaînes spécialisées dédiées à cet accessoire.
Dans les chaînes présentant un profil moyen de gamme, type Minelli (rachetée en janvier dernier à la barre du tribunal par la marque Demoiselles), le chiffre d’affaires a reflué de 3,9% quand le nombre de paires vendues a chuté de 12,3%, soit trois fois plus ! Le prix moyen d’une paire a été majoré, il est vrai, de 9,6% ! En revanche, les chaînes grande diffusion chaussures, s’adressant à une clientèle plus sensible aux étiquettes, ont arrondi le prix moyen de seulement 1,9%. L’impact inflationniste est moins évident, avec un recul de 3,3% du chiffre d’affaires et de 5,1% du nombre de paires vendues.
La souffrance du marché de la chaussure s’explique, en grande partie, par la domination de la toute puissante sneaker, observe Gildas Minvielle. Celle-ci se lit en filigrane dans la suprématie confirmée des enseignes de sport dans la consommation de mode en général.
Selon une enquête consommateurs réalisée par l’IFM fin 2023, parmi les 15 enseignes où ils ont réalisé la plus grande partie de leurs achats mode, Decathlon, Nike, Intersport et adidas décrochent respectivement les première, quatrième, cinquième et sixième places, mais avec des spécificités régionales. En Île-de-France, Decathlon, Nike et adidas sont au premier, deuxième et quatrième rangs mais Intersport ne figure pas dans le Top 15. Mais cette dernière enseigne est quatrième en régions. Or, dans ces surfaces, les paires de chaussures se taillent une place importante.
Si la chaussure est plus impactée que l’habillement dans les dépenses des Français, elle l’est paradoxalement moins quand on évoque leurs restrictions budgétaires. L’Habillement arrive ainsi en tête (ex æquo avec les loisirs) des postes concernés par ces dernières, avec 42% des répondants. Mais les chaussures et accessoires de maroquinerie n’arrivent qu’en cinquième position, derrière les vacances et l’épargne, pour 33% des répondants.

L’habillement arrive en tête des postes visés par les restrictions budgétaires des Français - Photo © AdobeStock - THINK b.

Crise du moyen de gamme

L’analyse faite par Gildas Minvielle de la crise du moyen de gamme observée depuis 2016 dans la mode en général s’applique en revanche aussi bien aux enseignes de prêt-à-porter qu’à celles spécialisées dans les accessoires (chaussures, etc.). Au passage, l’économiste y voit d’ailleurs une véritable « refondation » et non une simple « parenthèse » pour ce segment. Celle-ci repose à la fois sur des fondamentaux macro-économiques (pouvoir d’achat du consommateur fragilisé, crise sanitaire et inflation…) et sur le tournant amorcé en 2016 dans le paysage commercial de la mode. Cette année-là, le parc des chaînes spécialisées atteint un pic alors que, parallèlement, depuis 2013, les ventes en ligne progressent fortement. À cela s’ajoute la montée en puissance inexorable de nouveaux acteurs : Zara et H&M dans les années 90, Uniqlo en 2000, Primark en 2010 et les chaînes d’ultra fashion (Shein, Temu…) en 2020. 
En ce qui concerne le pouvoir d’achat dans l’Hexagone, on observe une nette cassure de son taux de croissance annuelle moyenne en 2008. De 1995 à 2007, il est de +1,7%, mais entre 2008 et 2023, il n’est plus que de +0,4%. En 2020 et 2022, il a encore régressé de 0,3% avant de relever la tête (+0,7%) l’an dernier. Ce contexte anxiogène pour les foyers français a d’autant plus renforcé « l’attractivité des premiers prix » au détriment du « rapport qualité-prix » du milieu de gamme alors que la seconde main accroît, elle aussi, son emprise.
L’IFM a ainsi estimé à 6 milliards d’euros le chiffre d’affaires de ce marché dans l’Hexagone, englobant vêtements, chaussures et maroquinerie, en 2023. Preuve de l’aura croissante de ce circuit : 64% des moins de 35 ans ont acheté des articles de mode d’occasion en 2023.

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Rédaction Sophie Bouhier de l’Ecluse

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