Le luxe place les investissements technologiques au cœur de sa stratégie

Alors qu’ils consacrent déjà 3,1% de leur chiffre d’affaires aux investissements technologiques, les acteurs du luxe comptent bien accroître leur budget accordé à cet axe jugé désormais stratégique.  

Dépenses stratégiques

« Ce n’était pas le cas il y a seulement quatre ans, où il était encore un sujet d’arrière-boutique, qui ne faisait pas rêver »,rappelle Joëlle de Montgolfier, Vice-Présidente Exécutive des pôles Grande consommation, Distribution et Luxe chez Bain & Company.  Et alors que sa maturité dans ce domaine « avance à grands pas », le secteur compte bien encore y consacrer des efforts sensibles dans les années à venir.
En cette période de ralentissement de la croissance du luxe, le Comité Colbert, qui rassemble 98 maisons de luxe françaises, 6 européennes et 17 institutions culturelles, et la société Bain & Company ont jugé utile de consacrer leur quatrième opus de la thématique “Luxe et Technologie” à ce sujet crucial pour des acteurs contraints, plus que jamais, de dépenser à juste escient.
Après un panorama de l’adoption des nouvelles technologies dans le luxe en 2022, suivi de deux zooms sur la boutique du futur en 2023 et sur l’Intelligence Artificielle en 2024, cette dernière étude Comité Colbert x Bain apporte ainsi un éclairage précieux sur les dépenses technologiques dans le secteur, baptisé « des investissements sur mesure pour plus d’impact ».

« Le luxe consacre encore 40% des investissements de “change” (mise en place de nouveaux modèles) à la relation client, contre 32% et 36% dans la distribution et les biens de consommation. » - Photo © Ici Au Loin - Jules Hidrot pour AFCuir.

Données inédites

Outre des données inédites sur les dépenses actuelles et projetées du secteur, elle apporte aussi des recommandations de nature à optimiser leur retour sur investissement. 
Grâce à une enquête quantitative et des entretiens qualitatifs réalisés auprès des dirigeants des principaux acteurs européens du luxe (Chanel, Hermès, LVMH, Richemont, Longchamp, Christian Louboutin…), les auteurs de l’étude ont pu dégager un pourcentage encore jamais évalué, même par les experts de ce genre de données : celui du budget consacré dans le luxe à la technologie (coûts d’exploitation, investissements et charges de personnel). À savoir, en moyenne 3,1% de leur chiffre d’affaires. Il s’agit d’une « part non négligeable de leurs dépenses », souligne Joëlle de Montgolfier, co-auteure de l’étude. Mais cette moyenne cache de fortes disparités selon le mode organisationnel et les catégories de produits des maisons. Les dépenses vont en effet de 1,9% à 5,5% selon les entreprises, les grandes ayant paradoxalement tendance à consacrer en proportion autant que les petites, faute d’économies d’échelle. Souvent « développées par acquisitions », elles peuvent en effet « peiner à concrétiser les synergies », et être plombées par des « systèmes technologiques historiques » et le « recours à des prestataires externes souvent coûteux », relève l’étude.
Pas étonnant alors que « la plupart des maisons investissent aujourd’hui surtout dans la maintenance d’applications héritées du passé et devraient investir davantage dans les technologies du futur », souligne Joëlle de Montgolfier.

Dépenses de maintenance plutôt que de changement

La ventilation des dépenses “run” versus ”change” (soit “fonctionnement et maintenance” versus “mise en place de nouveaux modèles”) des maisons étudiées est ainsi de 63%/37% (contre 51%/49% dans les télécoms).
Le luxe consacre par ailleurs encore 40% des investissements de “change” à la relation client, contre 32% et 36% dans la distribution et les biens de consommation, et seulement 21% à la technologie d’entreprise, aux données et à l’IA (versus 26% et 36% dans les biens de consommation et la distribution).
Un déséquilibre lié « à l’accélération à marche forcée », pendant le Covid-19, du développement des canaux numériques et réseaux logistiques. L’enquête montre cependant que les dirigeants du luxe comptent désormais « réorienter les investissements technologiques vers des domaines moins directement visibles par les clients tels que les données et l’IA, des volets essentiels à la création d’une expérience client haut de gamme ».
Les cartes devraient donc être rebattues alors que 60% des maisons prévoient une hausse significative de leurs budgets technologiques dans les deux à trois prochaines années, dont 28% anticipent même une majoration de plus de 10%.
Cette perspective est rendue possible, malgré la conjoncture difficile, par l’évolution des mentalités : 85% des directeurs généraux du luxe considèrent en effet désormais la technologie comme importante pour l’exécution de leur stratégie, 8% la jugeant même indispensable.

« L’accélération à marche forcée, pendant le Covid-19, du développement des canaux numériques et réseaux logistiques, a freiné l’essor des données et l’IA, des volets essentiels à la création d’une expérience client haut de gamme. » - Photo © Unsplash.

Petite révolution

Mais une petite révolution doit encore être réalisée au sein des organisations pour lui donner une place plus centrale. Cela passe d’abord par l’importance accordée aux Directeurs des Systèmes d’Information (DSI). Dans le luxe, ils ne sont que 35% à faire partie du comité exécutif contre 83% dans la distribution ! Or, « pour exploiter pleinement le pouvoir de transformation de la technologie », l’étude recommande un dialogue étroit entre directeurs généraux et technologiques autour « d’enjeux critiques : feuille de route technologique, priorisation des investissements et optimisation des dépenses ».
« Aujourd’hui, les DSI ne se contentent plus d’exécuter : ils occupent une place centrale dans la transformation des maisons de luxe. Non seulement présidents et DSI doivent collaborer étroitement, mais une sensibilisation croissante de l’ensemble des équipes aux enjeux et apports de la technologie est nécessaire. Renforcer l’attractivité du secteur auprès des profils technologiques est à ce prix », souligne Bénédicte Épinay, Déléguée Générale du Comité Colbert.
La base est prête : 93% des maisons de luxe assurent que leurs collaborateurs sont ouverts à l’usage de la technologie dans leur travail au quotidien. Mais l’équipe “tech” doit elle-même évoluer. Si 37% des maisons de luxe affirment « avoir déjà largement les compétences technologiques nécessaires à la mise en œuvre de leur stratégie », 63% admettent ne les avoir encore que partiellement.
Alors que 68% des dépenses d’innovation du luxe reposent aujourd’hui sur des prestataires externes, une part supérieure à d’autre secteurs, l’étude préconise « d’internaliser certaines compétences pour accroître l’agilité de la fonction technologique », mais aussi d’« utiliser des outils innovants tels que des assistants de codage IA pour accroître la productivité des ingénieurs ».

93% des maisons de luxe assurent que leurs collaborateurs sont ouverts à l’usage de la technologie dans leur travail au quotidien - Photo © Ici Au Loin - Jules Hidrot pour AFCuir.

Trois leviers

Ce dernier axe fait partie des trois leviers préconisés pour optimiser les futures dépenses. Le deuxième consiste à « aligner les priorités et investissements technologiques avec la stratégie de la maison » et le troisième, à « moderniser les infrastructures, rationaliser l’architecture technologique en supprimant les redondances et exploiter davantage les plateformes partagées pour créer des synergies ».
« Dans un contexte économique tendu, les maisons de luxe sont confrontées à l’impératif d’optimiser chaque ressource engagée. Aujourd’hui, elles investissent des montants conséquents dans la technologie. L’objectif n’est pas simplement de les réduire pour faire des économies ou de les augmenter pour se rapprocher d’un étalonnage sectoriel. Il faut les calibrer au plus juste selon les objectifs de chaque entreprise, pour soutenir au mieux l’activité quotidienne tout en finançant les innovations du futur », conclut Joëlle de Montgolfier.

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Rédaction Sophie Bouhier de l’Ecluse

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