Le cuir durable entre au Mobilier national

La chaise Cadre de Vélo de Léo Achard mêle détournement métallique et chutes de cuir upcyclées. Le matelassage a été réalisé à Paris.

La dernière campagne d’acquisition du Mobilier national intègre en 2025 une quarantaine de designers, artisans et studios français contemporains. Parmi eux, Léo Achard, Voto XO, Atelier Noue et Paul Gauthier mettent en lumière le cuir. Chacun, selon sa sensibilité, revisite l’usage d’un matériau noble, en lien avec le réemploi et l’assemblage.

Soutien actif aux métiers d’art

La conservation, la restauration de meubles et d’objets uniques ainsi que la transmission des savoir-faire sont les premières missions du Mobilier national, ancien garde-meuble de la Couronne. Mais ce haut lieu du patrimoine, depuis le XVIIe siècle, n’en est pas moins un acteur majeur de la création contemporaine et des arts décoratifs français. L’institution fait partie du Campus d’excellence des Métiers d’Art et du Design depuis 2020. Elle soutient aussi, de manière dynamique, les artisans et les designers en lançant annuellement un appel pour acquérir des pièces d’exception. « La dernière entrée dans les collections reflète les enjeux actuels liés aux matériaux, aux techniques, à l’écoconception, souligne Hervé Lemoine, à la tête des Manufactures nationales Sèvres & Mobilier national. Elle se distingue notamment par la créativité des formes, l’innovation matérielle, la maitrise des process mis en œuvre. » Les pratiques éco-conscientes gagnent du terrain. Le réemploi, qui revalorise l’existant comme le rebut, en est une.

Léo Achard fait acte de détournement

Léo Achard a une double actualité cette année. En septembre, il est l’un des trois diplômés de l’école Camondo, sélectionnés par Monoprix pour sa nouvelle collection créateurs. Précédemment, il a rejoint le Mobilier national avec la chaise qu’il a baptisée Cadre de Vélo. Le jeune designer a nourri sa pratique à la Central Saint Martins College of Art and Design, à l’école Penninghen aussi et dans une agence d’architecture au Portugal. L’écoconception l’a rapidement inspiré. Léo Achard a choisi de réemployer des matériaux récupérés le plus souvent localement. « L’objet déchet est à l’origine de mes recherches, dit-il. La production industrielle d’hier est devenue une vraie ressource pour la production d’aujourd’hui. » Sa chaise – composée déjà de tubes de carton noué avec des cordons – lui a valu par exemple le Prix Mathias, organisé par Matières Libres. Au Mobilier national, le cadre de vélo trouve un nouvel usage en servant de structure à un fauteuil. « Je pensais qu’il allait donner lieu à des étagères. La triangulation de deux cadres de BMX m’a donné l’idée d’un siège solide. » L’association avec le cuir n’est pas dûe au hasard. « Je voulais une matière noble qui contraste avec le métal, poursuit-il. Le cuir n’est pas une matière neutre. Le travail de la main valorise son savoir-faire. » C’est dans les ateliers de la maison Loewe qu’il s’est approvisionné en chutes. L’assise et le dossier ont ensuite été réalisés à Paris chez Sprung Frères. « Le dossier est renforcé par une mousse intérieure, poursuit-il. La couture arrière prolonge le tube avec élégance. » Un assemblage ludique et écoresponsable complète le process de conception. Des boulons invisibles facilitent ainsi le démontage. Quant aux pièces orange, en contraste, Léo Achard les a lui-même modélisées en 3D afin qu’elles s’emboîtent parfaitement dans les tubes métalliques.

L’ancrage provençal de Voto XO

Madeleine Oltra et Angelo de Taisne se sont formés au design et à l’architecture entre Eindhoven et Paris. Basés à Marseille, ils trouvent dans leur région natale « un terreau d’exploration fertile ». Leur premier projet avec le Mobilier national a été réalisé en collaboration avec Relax Factory, un artisan du cuir marseillais. Il s’agissait d’un ancien paravent/cloison d’un bâtiment administratif des années 40, déclassé par l’institution française. Le duo créatif l’a transformé pour lui donner une seconde vie. « Nous l’avons entièrement dénudé, précise le tandem. Le cuir étant endommagé, il a été découpé en divers empiècements, façon patchwork. Il nous faisait penser au western, à l’Ouest américain qui a fortement influencé les gardians de Camargue. » La chaise Veyre, entrée cette année au Mobilier national, tire son nom du massif de Marseille Veyre. Son cuir vert olive rappelle celui des calanques. Il est issu d’un ancien stock de cordonniers des années 1960. Les fondateurs du jeune studio Voto XO évoquent un « hommage aux assises légères de camping et à l’équipement de randonnée ». Un thème d’inspiration précédemment exploré avec originalité. Les deux Marseillais se sont en effet illustrés en 2022 où ils ont remporté le Grand Prix de la Design Parade de Toulon. Leur installation, baptisée « Sardine Sardine », exposait une tente toute équipée pour camper en Provence… « Le camping nous intéresse car il concentre tous les rituels domestiques dans un espace compact, précise Voto XO. Il invite à un voyage immobile dans un lieu unique et multifonctionnel. » Un premier modèle de chaise en jersey de laine faisait partie de l’équipement mobilier. La chaise Veyre offre une nouvelle version qui valorise cette fois le cuir. « C’est une matière vivante comme le bois, ajoutent Madeleine Oltra et Angelo de Taisne. Sa plasticité nous intéresse ». Le motif entièrement cousu à la main renouvelle le matelassage. Il rappelle les renforts des sacs à dos tandis que le dossier se fixe facilement par de simples boutons pression. Voto XO, qui développe de nouveaux projets avec petit h ou l’atelier de luminaires Delisle, collabore de manière étroite avec les artisans. « L’univers du design est un monde très poreux qui a besoin de se nourrir de pratiques différentes pour s’enrichir », affirme le duo.

Les pieds en bronze, l’assise et le dossier en cuir à tannage végétal de la chaise Exercise sont assemblés sans soudure par Atelier Noue.

Atelier Noue cultive la géométrie

Charlotte Winé et Ludovic Buron sont des passionnés de matériaux et d’artisanat d’art. C’est précisément pour réunir leurs deux expertises – le bronze pour elle et l’ébénisterie pour lui – que les diplômés de l’école Boulle ont fondé Atelier Noue. Leur pratique complémentaire a pour point de départ un assemblage innovant dépourvu de toute soudure. Pour s’en convaincre, il suffit d’observer la chaise Exercice, sélectionnée par le Mobilier national. Le duo expérimente pour la première fois le mariage du cuir avec l’acier inoxydable. « L’esthétique de la forme nous intéresse, précisent les deux artisans. Nos recherchons la ligne juste et nous aimons l’équilibre qui nait du contraste. Le cuir apporte de la douceur, du confort à notre chaise en métal. » Atelier Noue revisite ainsi une assise familière, un archétype qui traverse les décennies, la chaise d’écolier au piètement tubulaire. Fonctionnelle, légère, économique. Dans l’approche d’Atelier Noue, elle devient « un meuble rationnel, rigide mais souple », manufacturé avec grand soin. L’assise et le dossier, comme « en lévitation », créent la surprise. Atelier Noue a fait le choix du tannage végétal, pour son « mélange de finesse et d’authenticité brute ». Le cuir est en réalité « plaqué comme une feuille de bois », ajoutent les créateurs. L’acier, lui, est guilloché, évoquant des sillons sculptés à la gouge. Les géométries se croisent, les assemblages deviennent des motifs à part entière.

Paul Gauthier ou l’assemblage intuitif

Le design objet est le domaine de prédilection de Paul Gauthier, vingtenaire et déjà polyvalent. Il est passé en effet de l’école Boulle à l’Ensad, via l’Ensaama et l’Ecal à Lausanne, où il s’est notamment intéressé au design durable. Le lauréat du prix Révélation Design 2023 a inscrit la frugalité au cœur de ses recherches. Partisan de l’assemblage dans son process de création, il a conçu une collection entièrement en réemploi. Paul Gauthier lui a donné le nom évocateur « Les Dormants ». Elle comprend un bout de canapé, un miroir, une lampe. Les deux dernières pièces ont séduit le Mobilier national. Il s’agit d’une table basse et d’une console, elles aussi fabriquées à partir d’éléments dormants de la maison Liaigre. « Le réemploi n’est pas du Do It Yourself, souligne le créateur. J’ai cherché à construire des pièces de mobilier autour d’assemblages mécaniques réversibles, faciles à démonter ». Associé au bois, le cuir « présent dans toutes les pièces » est utilisé pour la première fois. C’est à la Réserve des Arts que Paul Gauthier a choisi un cuir à tannage végétal. « Le cuir est une matière noble, luxueuse, qui embellit naturellement. La bande de cuir dynamise la silhouette de chaque meuble. Elle met en tension les pièces de bois entre elles. » Pour varier la tension, il suffit d’ajuster la longueur de la sangle. Les Dormants, « dépourvus de toute quincaillerie », ont été réalisés avec le soutien de la Chaire Eco-Design Création Décathlon à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs.

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Rédaction Nadine Guérin

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