Le cuir actif dans la décoration d’intérieur
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« Durant le jour, il travaillait tant qu’on y voyait clair, en hiver huit heures, en été quatorze, quinze, seize heures : il écharnait les peaux qui puaient atrocement, les faisait boire, les débourrait, les passait à la chaux, les affétait à l’acide, les meurtrissait, les enduisait de tan épais, fendait du bois, écorçait des bouleaux et des ifs, descendait dans les cuves remplies de vapeurs âcres. » Le parfum, Histoire d’un meurtrier, Patrick Süskind, 1985.
On ne va pas se mentir, dans le XVIIIème siècle de Jean-Baptiste Grenouille, le héros du roman de Süskind, dans la tannerie de Grimal, on ne peut pas vraiment dire que ça sente la rose ! Et paradoxalement, c’est pourtant bien une histoire qui dure que celle de l’industrie de la parfumerie et celle du cuir. Un flirt entre les peaux et les fleurs, les tanneurs et les parfumeurs qui trouve son origine dès le XVème siècle.
C’est dans la ville de Grasse, aujourd’hui indissociable de l’industrie de la parfumerie, mais qui est d’abord au Moyen Âge particulièrement réputée pour ses tanneries, et plus précisément pour un cuir de couleur verdâtre obtenu grâce à une macération des peausseries dans la myrte que naît cette « love affair ».
Enjambons quelques années, au XVIème siècle, poudres et eaux parfumées embaument la cour de France. À cette époque, celle qui fait et défait les tendances, c’est Catherine de Médicis, fashionista avant l’heure : elle popularisera cette mode des gants parfumés. Auréolée de mystère, l’on racontera aussi que la régente aurait assassiné plusieurs de ses opposants à l’aide de gants empoisonnés et parfumés. De vénéneux colifichets mis au point par son sulfureux parfumeur Renato Biancho, venu de Florence, et plus connu à Paris sous le nom Maître René. Alexandre Dumas, dans la Reine Margot, le décrit d’ailleurs comme celui qui « réunissait la double charge de parfumeur et d’empoisonneur de la reine mère ».
Cet engouement pour les gants parfumés est là encore un goût importé d’Italie. Cet usage des parfums est en réalité indispensable afin de masquer l’odeur puissante des cuirs tannés. Le marquis Pompéo Frangipani serait le créateur d’un parfum à base d’amande capable de dissimuler la forte odeur de ses gants. Mais, c’est un tanneur grassois qui aurait offert à la régente du Royaume de France une paire de gants parfumés embaumant un accord de fleurs indissociables des paysages grassois lavande, rose, mimosa… Adoptée par la souveraine donc, la tendance se répand rapidement auprès de toute l’aristocratie française, et face à cette demande croissante, puisque les élégantes se doivent d’en posséder plusieurs dizaines de paires afin d’assortir leur sillage à leur humeur du moment, la ville de Grasse développe des fragrances spécifiques pour cette industrie de la ganterie. Grasse devient alors ville de cuirs… et de parfums. Au XVIIIème siècle, la ville finira par fournir la moitié des essences parfumées en Europe.
C’est en janvier 1614 que Louis XIII créé la corporation des Maîtres Gantiers-Parfumeurs, accordant ainsi aux gantiers le titre de parfumeurs, un titre que revendiquaient alors également les merciers ou encore les apothicaires. À la recherche de gants « qui embaumeraient l’odeur d’un champ de fleurs », c’est la promesse du maître gantier-parfumeur parisien Simon Barbe en 1699. Et pour y parvenir ce sont des procédés techniques particulièrement laborieux qui sont mis au point par les tanneurs. Il faut pour débarrasser les peaux de leurs fortes et peu agréables odeurs, de nombreuses opérations de rinçages. Ça n’est qu’après que ces peaux soient plongées dans des bains de parfums. Puis les gants sont taillés, teints, découpés, cousus… Intervient alors la toute aussi délicate que poétique opération qui porte le joli nom de « mise en fleurs ». Dans une boîte hermétique, les gants sont superposés entre des couches de fleurs, l’opération, renouvelée toutes les douze heures, permet aux effluves floraux d’imprégner les peaux. Puis pour finir, l’intérieur du gant est talqué et ce pour faire disparaître les ultimes relents d’odeurs des peaux, mais aussi faciliter l’enfilage. La mode du gant parfumé s’exporte dans toute l’Europe, rien n’est plus hype et raffiné que cet accessoire. Notes puissantes de muscs, de cèdre ou de camphres pour l’Espagne, fragrances plus fraîches et florales pour la France, comme une préhistoire des goûts olfactifs encore d’actualité de nos jours. Les gantiers devenant de véritables créateurs de fragrances, c’est peu à peu qu’ils supplantent apothicaires, alchimistes et autres droguistes proposant eux aussi leurs créations parfumées.
En 1651, Louis XIV délivre le brevet de Maîtres Gantiers-Parfumeurs qui autorise les fabricants à se targuer d’un titre d’honneur. Ils deviennent alors la seule corporation à avoir cette autorisation de composer et commercialiser des parfums. À Paris, c’est dans le quartier de la rue Saint-Honoré que la plupart s’installent, là encore, prémices de la géographie du commerce de luxe dans la capitale… En 1759, l’usage du parfum n’est plus destiné qu’à seulement camoufler les mauvaises odeurs, il devient un raffinement luxueux, les deux corporations, parfumeurs et gantiers qui auront cheminé ensemble plusieurs siècles durant, se séparent. Et c’est en 1791 qu’est officialisée la dissolution de la corporation des Gantiers-Parfumeurs, via la loi Le Chapelier qui interdit les groupements de différents corps de métiers.
Cela étant dit, le lien entre cuir et parfum, cette connivence, cette histoire de ces deux industries, continue d’inspirer aujourd’hui la création contemporaine. En 1988 est créée, par Jean-François Laporte, précurseur alors de ce qu’on appelle de nos jours, les marques de « niche », la maison de parfums Maître Parfumeur et Gantier. Plusieurs de ces créations font directement écho à ce lien indéfectible du cuir et du parfum, citons le puissant Cuir fétiche, un accord cuir enrobé d’ylang-ylang et vanille.
Chez Hermès, sellier… et parfumeur, le cuir est au cœur de bien des histoires de parfums de la maison. Pour le premier parfum Hermès, l’Eau d’Hermès, créé en 1951, le parfumeur Edmond Roudnitska explique avoir puisé son inspiration à l’évocation de « L’intérieur d’un sac Hermès où flottait l’arôme d’un parfum… Une note de fine peausserie enrobée de frais effluves d’agrumes et relevée d’épices ». Jean-Claude Ellena, parfumeur Hermès de 2004 à 2018, rend hommage à cette création, il décrit l’Eau d’Hermès comme « Le parfum des origines. L’ultime raffinement. Un cuir souple qui joue avec des épices et des bois. ». En 1955, c’est le parfumeur Guy Robert qui imagine, pour la marque, le parfum Doblis, du nom d’un cuir de veau tanné côté chair et au toucher velouté utilisé par le sellier pour ses créations de maroquinerie. Ce parfum, qui fait l’objet d’une réédition limitée en 2005, est comme la traduction olfactive de la douceur de cette matière. Raffinement ultime, l’emblématique flacon « lanterne » de la maison s’orne d’un ruban de veau Doblis. Comme si le cuir, matière charnelle s’il en est, ne pouvait qu’inspirer sensualité et opulence aux parfumeurs…
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Rédaction Florent Paudeleux
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