Gilles Rosier, un créateur entre passion et patience

Gilles Rosier, fondateur de la marque Éternel Parisien.

Après un démarrage en 2019 ralenti par la pandémie, la nouvelle marque de Gilles Rosier, Éternel Parisien, monte en puissance. Son créateur nous livre ses motivations et ambitions pour cette aventure. Il évoque aussi sa longue et brillante carrière, pleine d’enseignements. Conversation entre souvenirs et projets, leçons et innovations.

Gilles Rosier n’a jamais perdu son goût et son talent pour le dessin.

Comment vous est venue votre attirance pour la mode ?

La toute première origine en est un goût prononcé pour le dessin, le besoin d’illustrer un imaginaire. Enfant, j’aimais aussi créer des costumes pour mes camarades pour nos jeux de déguisement. Ma mère, mannequin, n’est bien sûr pas étrangère à ma vocation. Tout comme ma grand-mère maternelle, modéliste, que j’observais confectionner des robes pour sa fille. Après notre déménagement en Afrique, je prenais souvent l’avion et m’émerveillais devant l’uniforme Courrèges des hôtesses de la compagnie UTA. J’ai aussi eu un véritable choc esthétique lorsque je vis, au journal télévisé de 20 heures, à la fin des années 1960, les tenues des défiles d’Yves Saint Laurent et du même Courrèges. J’étais subjugué par leurs créations avant-gardistes pleines d’inventions et de couleurs répondant au désir de liberté des femmes. Dès lors, j’ai eu l’envie de contribuer à cette satisfaction d’un inconscient collectif qu’est la mode.

Vous êtes-vous directement orienté vers des études de mode ?

Après le baccalauréat, je voulais suivre une formation artistique aux Beaux-Arts. Cependant, mes parents aspiraient, pour moi, à un avenir plus bourgeois et sécurisant. J’ai donc entamé des études de sciences économiques et bifurqué ensuite vers le droit. Mais ma passion m’a rattrapé. Et j’ai rejoint l’École de la Chambre Syndicale pour me former au métier de styliste ; mais pour trois mois seulement puisque le hasard m’a fait rencontrer une personne de chez Balmain qui, ayant vu un de mes dessins, m’a proposé un stage dans cette vénérable maison, où je suis finalement resté deux ans. J’ai ensuite intégré la griffe Christian Dior où j’ai travaillé avec Marc Bohan. J’aimais beaucoup me plonger dans les archives et réinterpréter d’anciennes créations de Monsieur Dior. J’ai énormément appris au contact des ateliers de ces prestigieuses institutions. C’était dans les années 1980, à une époque où de nombreux grands couturiers faisaient la réputation de Paris. Mais où émergeait aussi une fabuleuse génération de créateurs aussi frondeurs que talentueux. Je m’incrustais à leurs défilés et étais ébloui par leurs audacieuses collections. Leur liberté m’a donné envie de m’intégrer à leur mouvement. C’est ainsi que j’ai rejoint la maison Guy Paulin début 1984 pour trois saisons, avant d’être embauché chez Jean-Paul Gaultier fin 1985.  

Que faisiez-vous chez Jean-Paul Gaultier ?

Je me suis d’abord occupé des licences au Japon. Je réadaptais la collection de prêt-à-porter pour les morphologies nippones. J’ai ensuite pris en charge la création de la seconde ligne, Gaultier Junior, et celle de la ligne masculine. Quand Martin Margiela est parti, je suis devenu le bras droit de Jean-Paul Gaultier, avec tout ce que cela implique de responsabilités et d’éclectisme : je dirigeais le studio, choisissais les tissus, j’avais une vision à 360 ° de la marque.

Votre formation et vos premières expériences vous ont-elles inculqué un style, une identité française ?

Tout à fait. J’ai vite adopté ce regard chirurgical sur le vêtement, cette faculté à déconstruire et reconstruire chère à d’autres créateurs comme Jean-Paul Gaultier ou Martin Margiela. Ce mélange aussi de gouaille et d’aristocratie, de noble et de populaire. Et j’aime les « vrais » vêtements, ceux dans lesquels on peut se mouvoir avec élégance et désinvolture, qui n’entravent pas le geste et se déplacent sur le corps avec sensualité. Ce qui m’a amené à créer des costumes pour des ballets. Aujourd’hui, je me sens encore porté par cet esprit français et héritier reconnaissant de cette approche vestimentaire.

Une collection commence-t-elle, pour vous, par une idée, un dessin, une matière ?

Un peu tout cela. Je peux avoir une thématique en tête, puis la mixer avec une allure, une ligne, une attitude qui vont m’inspirer un dessin et y introduire ensuite une matière qui m’a interpelé. Je n’aime pas les vêtements carcans qui emprisonnent. Selon moi, ils doivent suivre les mouvements, servir la personne, la mettre en valeur et non la transformer. Je prétends avoir cette connaissance du corps que mes expériences pour la danse contemporaine, en particulier, m’ont enseignée et qui se perd aujourd’hui. Même un drapé, ça ne s’improvise pas. Toutefois, le travail ne doit pas être visible et doit se faire oublier dans une certaine forme de perfection.

Après ces expériences au cœur de la création et de la couture, vous avez pris la direction artistique de Lacoste. Comment ce virage s’est-il opéré ?

Je suis arrivé en 1992 dans une marque assez patriarcale, encore entre les mains de la famille Lacoste. Il n’a pas été facile de faire bouger les choses d’emblée. Mais avec le temps, je suis arrivé à faire évoluer la marque. J’ai retravaillé la segmentation des lignes, notamment pour toucher d’autres catégories sociales que celle de la clientèle historique. Tout en gardant en mémoire l’élégance de René Lacoste, en me penchant sur les racines de la marque, je l’ai poussée vers plus de modernité, en mêlant sport et lifestyle à une période où le sport s’infiltrait de plus en plus dans le quotidien. À cet égard, le lancement du piqué stretch a été une grande réussite.

À la suite de toutes ces expériences, la création de votre marque GR 816 a-t-elle été un aboutissement ?

Oui, dans le sens où j’ai vraiment mis toutes mes passions dans cette marque : celle du voyage et des autres cultures – notamment africaine avec laquelle j’étais familier, ayant vécu en Afrique durant mon enfance -, le goût du tailleur, de la maille, du tartan. Le succès a été fulgurant, en particulier avec les Japonais, et nous a submergés, mon associé et moi. Nous nous sommes retrouvés dans l’incapacité de financer les fabrications et l’aventure s’est terminée prématurément en 1994. C’était à une époque où il restait encore beaucoup de bons façonniers en France. Aujourd’hui, il serait impossible de faire la même chose, à moins d’y consacrer des coûts prohibitifs.

Que retrouve-t-on de GR 816 dans votre nouvelle marque, Éternel Parisien ?

Comme GR 816, Éternel Parisien est née de mon envie et non d’une quelconque nécessité et possède un esprit très français – et même, en l’occurrence, parisien – où élégance, audace et subversion se mélangent en toute harmonie. Mais je veux en faire une marque concept, une sorte de terrain de jeux créatif, une maison d’édition de produits s’inscrivant dans une pérennité et dessinant un univers cohérent, original et chaleureux.

Pourquoi avoir démarré cette histoire avec un accessoire ?

J’ai commencé avec un sac inspiré d’une plaque de rue de Paris et de la maroquinerie. Le développement en est moins compliqué que pour un vêtement et c’est un bon point de départ à partir duquel on peut tirer le fil de l’histoire. Mais je suis en train de préparer une bougie et un tapis de yoga et j’aimerais plus tard proposer des vêtements comme une belle chemise, un pantalon, un trench, un tracksuit et aussi de la décoration, de la photo, de l’édition littéraire pour mettre en avant des inconnus. Je veux prendre le temps de faire bien les choses, avec savoir-faire, dans un esprit raisonnable qui évite le gaspillage et la surconsommation. Je ne veux pas tomber dans les clichés parisiens ; Paris est une ville en constante évolution. Et je tiens à instiller dans tout cela une dose d’humour et de dérision, comme on le retrouve déjà dans mes foulards.

Où en est la marque après près de cinq ans d’existence ?

J’ai lancé la marque peu avant la pandémie. Tout a donc pris un certain retard. J’ai reçu la semaine dernière la première véritable production, repensée, plus concentrée, avec une identité plus forte et des prix plus étudiés allant de 75 à 250 euros pour la petite maroquinerie et de 450 à 1 200 euros pour les sacs. Les carrés de soie font 70 cm de côté pour éviter les chutes et sont vendus 150 euros. Je m’appuie sur un bureau d’études en France et une petite usine à Ubrique en Espagne à même de produire en petites séries. Les foulards sont fabriqués à Côme en Italie en séries de 30 à 50 exemplaires. La métallerie des sacs, les sangles et galons proviennent aussi d’Italie. Pour les produits plus spécifiques comme le porte-bouteille, je fais appel à des ateliers, à Paris ou en France, ayant une expertise. Depuis cette saison, la marque est présente en showroom pendant les fashion weeks, ce qui nous a valu déjà des contacts avec de belles boutiques aux États Unis, au Japon, en Corée. Et elle est distribuée dans le concept store parisien Beau Oui. Nous sommes en cours de refonte du site internet où une boutique en ligne propose les produits depuis le début. Un lien Shopify permet aussi d’acheter sur Instagram. Et nous allons faire des pop-up stores.

Avec quels types de cuir travaillez-vous ?

Nous utilisons des cuirs de veau italiens, espagnols et français, du cuir bovin tannage végétal, du cuir d’agneau et du chevreau pour les doublures. Nous nous limitons à quelques articles pour éviter le gaspillage. J’apprécie les cuirs peu couverts, au toucher sensuel et naturel, avec une certaine rondeur pour former de beaux volumes, qui ne cassent pas et vieillissent bien. C’est un beau symbole pour moi de commencer un nouveau projet avec le cuir, qui est une matière que j’affectionne particulièrement, pour les accessoires et également pour les vêtements.

Gilles Rosier apprécie les cuirs sensuels et ronds, comme pour le cabas Aligre en veau pleine fleur doublé de toile de coton. Anses en cuir à tannage végétal.

Que pensez-vous de la mode aujourd’hui ?

À côté de mon travail de création, j’enseigne depuis treize ans à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs à Paris, c’est-à-dire aux créateurs de demain. Même s’ils sont motivés, ces jeunes ne sont pas prêts à tout sacrifier pour leur travail, comme l’était ma génération. Ils sont moins attirés par les carrières dans les grands groupes. Ils critiquent beaucoup le système de la mode actuel et cherchent de nouvelles voies, avec des projets collectifs et interdisciplinaires, notamment. Au sein d’Éternel Parisien, je souhaite travailler avec des collaborateurs de différentes générations, réunis autour de la philosophie de la marque ; pas avec des gens qui veulent faire de la mode parce que c’est la mode. Le côté spectaculaire de la société en général, et de la mode en particulier, a beaucoup changé les choses. L’image a pris une importance démesurée, une image très autocentrée, narcissique, comportant même une relative violence. La désacralisation, la déprofessionnalisation, les influenceurs qui remplacent les journalistes… Je ne me sens pas proche de tout cela. Beaucoup de gens ne veulent plus apprendre. Mais je suis ouvert à l’évolution, sans passéisme. Les outils d’aujourd’hui, comme les réseaux sociaux – qui donnent facilement de la visibilité – ou les outils de gestion et de production qui permettent de minimiser le gaspillage, sont incontestablement des progrès.  

À quel public voulez-vous vous adresser avec Éternel Parisien ?

J’aimerais toucher un public sensible à mon univers et à ma conception de la mode, qui a une certaine culture. Je suis persuadé qu’il existe et j’aimerais le fédérer en communauté autour de mon projet. Même en Chine, des jeunes cherchent maintenant des choses différentes. J’accepte qu’Éternel Parisien soit une marque de niche, que la réussite prenne du temps, qu’il faille expliquer, faire de la pédagogie. Bref, d’être patient.

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Rédaction François Gaillard

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