Fashion Green Days : la mode durable est l’affaire de tous

Chez H&M, le projet pilote Take Care se met en place, car il ne s’agit pas seulement de vendre un produit mais aussi d’aider les consommateurs à mieux agir de leur côté. Services de customisation, réparations, conseils, patchs à coller, produits détachants…tout un programme pour allonger la durée de vie de leurs vêtements.

C’est dans les locaux de l’ENSAIT à Roubaix dans le Nord, bassin d’une industrie textile révolue, que les grands acteurs de la distribution, toujours présents dans la région, se sont exprimés les 23 et 24 mai à l’occasion des Fashion Green Days. Ici les industries textiles ont laissé place aux géants de la distribution à coups de délocalisations. Aux alentours, les usines de tissage en briques rouges sont investies de centres culturels, pépinières d’entreprises, espaces de co-working dédiés à la création, plateaux fertiles d’un secteur en pleine mutation. Deuxième forum de la mode circulaire organisé par l’association Nordcrea, l’événement met en lumière des leviers d’actions concrètes pour réduire les impacts environnementaux de la filière mode et habillement.

Retour sur deux ans d’application de la loi sur le devoir de vigilance

Pour les uns la RSE est dans l’air du temps et pour d’autres il est vraiment temps qu’elle soit dans l’air…
Retour en 1998, les images d’enfants pakistanais en train de coudre des ballons de foot Nike pour la coupe du monde en disent long. Quinze ans après, le Rana Plaza s’effondre provoquant un véritable séisme du système mode. Et pourtant, « en 2005 déjà on déplorait 700 morts dans les usines de confection textiles à travers le monde », rappelle Nyala Ajaltouni, porte-parole du Collectif sur l’Étiquette. Principale incriminée, la mondialisation à l’origine de la fast fashion, à l’origine de l’obsolescence programmée de la mode…résultante d’une chaîne éclatée de sous-traitants en sous-traitants, qui se cache derrière le vêtement et si difficile à remonter.
Depuis le drame de Dacca, Le Collectif sur l’Etiquette, acteur de dialogue regroupant syndicats et ONG depuis 1995, a rencontré les multinationales pour évoluer vers des modèles plus respectueux des droits humains. Chartes éthiques, audits, pratiques d’achat, politique de sourcing…Autant de maillons à renforcer pour créer de la valeur ajoutée. Quinze syndicats, ONG dont Greenpeace, Le Forum Citoyen pour la RSE ainsi que des députés engagés, juristes, économistes travaillent alors en coalition sur les mesures à prendre afin de prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement. 21 février 2017, la loi sur le Devoir de Vigilance est adoptée. Les plus grands groupes français devront désormais publier un plan de vigilance avec obligation d’identifier et prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. Inédite, cette législation intersectorielle engage la responsabilité des sociétés mères qui iront à l’encontre de ses fondements.
23 et 24 mai 2019, Nyala Ajaltouni annonce les premiers constats devant un parterre de professionnels du secteur aux Fashion Green Days. Bien que pionnière à l’échelle mondiale, la loi française n’est pas franchement prise au sérieux par toutes les entreprises concernées. Sur 80 d’entre elles analysées pour le bilan 2018, certaines n’ont pas publié leur plan et les grands groupes limitent souvent leurs mesures aux audits sociaux. « La RSE doit cesser d’être une riposte marketing uniquement » s’alarme la porte-parole de l’ONG tout en nuançant ses propos, consciente du long chemin à parcourir afin d’implémenter leurs démarches. Avant de clôturer que le premier revers pourrait bien avoir lieu côté consommateurs…

Plus de 60 entreprises exposantes étaient réunies à l’occasion pour présenter leurs services, solutions et produits de mode en économie circulaire. Parmi eux, Adapta Paris négociante de cuirs en économie circulaire et Recyc Leather, matière issue de chutes de cuirs.

Les nouvelles attentes des consomm’acteurs

Les indicateurs chiffrés de l’Observatoire Économique de l’Institut Français de la Mode (IFM) montrent une décroissance, de nouvelles pratiques de consommation. Selon une étude 2018, menée par Gildas Minvielle, son Directeur, le marché a connu une baisse en valeur de 15% depuis 10 ans, et va à l’encontre de la surconsommation car les consommateurs achètent moins en quantité. « On est déjà dans le moins mais mieux », analyse-t-il. Si 44% des interrogés déclarent avoir acheté moins de vêtements, on estime à 60% la part des facteurs liés au pouvoir d’achat et à un arbitrage avec d’autres produits concurrents. Néanmoins, 40% incombés à ce recul sont le fruit d’une démarche volontaire, sans regard de budget. En ressort une « déception et défiance des consommateurs vis-à-vis de la mode, qui attendent davantage de valeur et sont frustrés par une offre écoresponsable jugée insuffisante », prévient-il. Dans le collimateur, les soldes décrédibilisent le mode de fixation des prix avec un coût de production très bas, illégitime sur des produits vendus chers. La clé d’entrée du marché de la mode responsable demeure encore la santé – innocuité des produits et questions sociales – pour 40% des consommateurs avant l’écologie, moins perçue comme fondamentale. Et de casser l’idée reçue que la mode responsable ne s’adresse pas seulement au « bobo » parisien du Marais car le mouvement concerne toutes les entreprises, y compris les grands distributeurs et pas seulement les acteurs du luxe, présents pour l’occasion, venus échanger autour de leurs avancées en matière de RSE. Quelles actions en cours ?

Le salarié, premier ambassadeur RSE de l’entreprise

Faire des collections écoresponsables, tout en intégrant les contraintes de prix, telle est la problématique majeure soulevée par Kiabi, au travers d’une consultation auprès de ses clients. Car si le questionnaire RSE a suscité une avalanche de 32 000 réponses en 2 heures – les autres restant habituellement ouverts pendant une période de 2 à 4 jours -, l’enseigne de mass market est fortement attendue sur la question du prix. Un vrai challenge à relever pour Béatrice Héricourt, Directrice des Collections et ses équipes. La « prise de conscience entre ce que l’on pense être bien et ce qui l’est vraiment en terme d’impact » est protéiforme et la modification des collections passera par la formation et l’information des équipes au sujet des matières et de la conception pour les éclairer à l’heure des choix. Au final, une collaboration étroite avec les équipes « procurement » en Asie, leur a permis d’affiner leur parc de fournisseurs, divisé en 3 sur 10 ans, garantissant un meilleur suivi. Chez Jules, on ne badine pas avec l’engagement des collaborateurs jusqu’à la production de campagnes vidéos destinées aux équipes internes, raconte le Directeur du Marketing, Benoît Latron. Grâce à une réflexion commune entre différentes entités textiles de même actionnariat – Jules, Grain de Malice, Pimkie, Orsay, Rouge Gorge, Brice…- sous la bannière Fashion3 (prononcez fashion cube), le nouvel écosystème collaboratif porte ses fruits. Premier cheval de bataille, le zéro waste ou « arrêter d’acheter ce que l’on n’est pas capable de vendre ». Rupture de tailles, stocks, soldes, promotions…Bien que la logique de volume pour générer du chiffre d’affaires soit dans le viseur, « c’est difficile d’écrire des budgets en négatif sur les mois de soldes », ajoute-t-il. La politique du groupement passe aussi par la mutualisation des matières premières telles le denim entre toutes leurs marques. Et la DATA se révèle le meilleur allié des prévisions de vente pour un pilotage précis des assortiments : le bon produit, au bon endroit, au bon moment.

Du sourcing linéaire au sourcing circulaire

Chez le géant H&M, la démarche d’approvisionnement en matières écoresponsables est conduite via le Lab (équivalent d’un département Recherches & Développement) ou des collaborations avec des start-up innovantes. Si aujourd’hui « 57% des matières utilisées dans nos collections sont recyclées ou identifiées écoresponsables – comme le Tencel, coton organique, polyester recyclé, Orange Fiber, Piňatex…-, l’objectif est de 100% d’ici 2030 », prévient Julie-Marlène Pelissier, Responsable Sustainibility & Corporate Engagement de H&M. Ou comment la RSE influe sur la stratégie d’innovation du groupe suédois au service du consommateur. La relation de confiance passe par la transparence : H&M fut parmi les premiers à publier les données fournisseurs. « Le consommateur peut voir sur l’application mobile et le site e-commerce les matières et origines des produits. » Un vrai challenge, car les informations ne sont pas encore toutes répertoriées mais le groupe y travaille.  En parallèle, le projet pilote Take Care se met en place, car il ne s’agit pas seulement de vendre un produit mais aussi d’aider les consommateurs à mieux agir de leur côté. Services de customisation, réparations, conseils, patchs à coller, produits détachants…pour allonger la durée de vie de leurs vêtements. Tout un programme en sus de collectes en boutique – soit 20 649 tonnes de textiles recyclés, reportés ou réutilisés en 2018 -, récompensées de réductions de 10% par passage en caisse. Dans un autre esprit, le groupe de marques et services pour les enfants ÏDKIDS sensibilise les grands par l’affichage de l’impact environnemental de A à E des produits, et les petits par des actions récréatives en magasin. Plusieurs fois par an, il organise via son service de dépôt-vente ÏDtroc des ventes de marques Jacadi, Okaïdi, Obaïbi, lui permettant par la même occasion de confirmer la « durabilité » de ses collections dont l’ADN du « style doit être transmissible » souligne Séverine Mareels, Directrice Qualité et RSE du groupe. La transition d’une industrie linéaire à une industrie circulaire s’opère avec le consommateur.

Rédaction & photos Juliette Sebille

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