Droits d’auteur et créations dans le domaine du cuir

Loin des rédacteurs du présent article la volonté de plagier le célèbre roman « Zazie dans le métro » de Raymond Queneau, mais « Doùquoncréedonctant ? » est une question qu’aurait pu se poser Gabriel s’il avait eu à penser à la filière du cuir. Tant chez les industriels que les artisans du secteur, « Esthétique » et « Création » sont en effet les maîtres-mots. Essentielle est donc la question de la protection des œuvres et de leurs auteurs, quels qu’en soient le mérite, le genre et la destination. 

Comment protéger l’apparence des produits ?

En France, l’auteur est protégé du simple fait de sa création et ce, sans qu’il lui soit nécessaire de procéder à une quelconque formalité. La loi sur la Propriété Littéraire et Artistique (communément appelée « Loi sur le Droit d’Auteur ») du 11 mars 1957, modifiée et intégrée aux articles L. 111-1 à L. 343-7 du Code de la Propriété Intellectuelle, débute ainsi : « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. »
En quelques mots, le principe est posé ; la création est le fait générateur du droit. Tout est alors question de preuves : Quoi ? Qui ? Quand ? Mais également, de présomptions. Afin de faciliter la preuve, cette dernière pouvant être apportée par tous moyens, plusieurs techniques sont possibles et cumulatives.
Même si une formalité ne peut être exigée pour protéger l’auteur et sa création, procéder à un dépôt auprès des autorités compétentes est également possible. Dans le domaine du design et des arts appliqués, il sera bien souvent tout à fait opportun d’opter, en sus du droit d’auteur, pour le dépôt d’un ou plusieurs dessins ou modèles industriels. À l’instar de la loi sur la Propriété Littéraire et Artistique, intégrée au Livre I du Code de la Propriété Intellectuelle, une protection spécifique aux Dessins et Modèles industriels et cumulable au Droit d’Auteur, qui résulte aujourd’hui de la transposition d’une Directive Européenne, a été codifiée aux articles L. 511 et suivants du Code de la Propriété Intellectuelle. Bien entendu, à l’arsenal juridique national français vient s’ajouter un ensemble de dispositions du Droit européen et international, toutes concourant à favoriser la création, à protéger les œuvres d’art, appliquées ou non, selon une économie cohérente. 

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En France, l’auteur est protégé du simple fait de sa création - Photo © Jonas Jacobsson – Unsplash.

Le Droit d’Auteur

En la matière, la condition unique et suffisante de protection sera celle de l’« Originalité ». D’après les tribunaux, une œuvre sera originale si on y perçoit l’empreinte personnelle de son auteur. L’inspiration n’est pas interdite et le chemin créatif passe souvent par l’observation et l’interprétation du passé et de l’existant. Nos plus grands créateurs ne sont-ils pas, avant tout, de fins observateurs souvent critiques de notre temps ? C’est très souvent au cours d’une action en contrefaçon que se posera la question de l’originalité et il reviendra à celui qui entend remettre en cause un droit d’auteur, ou se défend d’y avoir porté atteinte, d’en démontrer le manque. 
À l’inverse, pour l’auteur qui prétend subir une atteinte à son droit et souhaite en obtenir réparation, le « jeu » sera d’être en mesure de démontrer le contenu de son œuvre, de la caractériser et de la dater au plus près possible de sa création, d’où l’intérêt et l’importance de se constituer un dossier de preuves tout au long du processus créatif et de le conserver bien au-delà. 
Dans le cadre des arts appliqués, la tenue de cahiers de créations et leur éventuelle certification, la datation des évènements de divulgation des œuvres au public (foires, salons, défilés, etc.), la constitution de dossiers et revues de presse, la mise en forme de cahiers des charges, la conclusion de contrats écrits avec les designers et créateurs ou encore la description des fonctions et missions de création dans les contrats de travail, seront autant de mesures utiles, sinon nécessaires, qui faciliteront le jour « J » la preuve d’une création. Cela permettra de faire basculer une négociation ou un litige en faveur du créateur ou de la personne physique ou morale qui l’emploie ou l’a missionné. 
Au-delà de ces réflexes, des dispositifs existent tels que, par exemple, le dépôt d’une enveloppe e-Soleau auprès de l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) afin de donner date certaine à une création. 

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Une œuvre sera originale si on y perçoit l’empreinte personnelle de son auteur - Photo © Adobe Stock-Pixel Shot.

Le second type de droit susceptible d’entrer en jeu est donc celui des dessins et modèles, lequel se matérialise par un titre de propriété industrielle, tout comme une marque ou un brevet, titre dont l’existence objective est accessible au travers d’un registre officiel et public. Alors que le droit d’auteur existe sans formalité, il est tentant de négliger la protection par dessin ou modèle. Ce faisant, on s’expose aux difficultés probatoires liées aux différents éléments évoqués ci-dessus ainsi qu’à la subjectivité à laquelle reste inévitablement soumise l’appréciation de la notion d’originalité. La protection des dessins ou modèles porte sur l’aspect des produits et leurs caractéristiques esthétiques.
Dans ce contexte, la notion de « produit » est très large dans la mesure où elle couvre tout article industriel ou artisanal. En revanche, une couleur unique, un concept ou encore un être vivant, n’entrent pas dans ce cadre. De ce tout dernier point, on peut déduire qu’il ne serait pas possible d’obtenir des droits sur le seul aspect de la granulosité particulière du cuir d’autruche, du pécari ou du galuchat.
Le droit sur un dessin ou modèle s’acquiert via le dépôt des vues de ce que l’on cherche précisément à protéger. C’est pourquoi une véritable réflexion stratégique doit être menée afin de déterminer comment protéger, au mieux, le design d’un nouveau produit. La protection recherchée peut porter tout aussi bien sur l’aspect général et la configuration d’ensemble du produit que sur l’une de ses parties (« modèle partiel »), voire d’un motif qui serait apposé sur le produit.
Il est également possible de déterminer l’étendue de la protection recherchée en choisissant judicieusement le mode de représentation des vues déposées : par exemple, un dessin en noir et blanc des contours d’un soulier confèrera une protection qui ne portera que sur sa forme sans tenir compte des couleurs ou motifs, tandis qu’une photographie ou une image de synthèse en couleurs va intégrer lesdites couleurs dans l’objet de la protection. Se trouvant en quelque sorte à mi-chemin entre ces deux possibilités, une image en niveaux de gris va représenter et donc protéger le contraste relatif entre plusieurs parties d’un même produit.
Si en droit d’auteur, la condition de protection résidait en l’originalité de la création, cette notion est absente en droit des modèles. Pour être valable, un dessin ou modèle doit essentiellement être « nouveau » (autrement dit, il ne doit pas avoir été divulgué antérieurement) et il doit posséder un « caractère individuel » (ou « caractère propre » selon que l’on se réfère aux textes français ou européens). Pour résumer très synthétiquement cette notion de « caractère individuel », elle correspond à une évaluation de l’écart avec l’art antérieur. L’impression globale que produira un dessin ou modèle sur un utilisateur averti devra différer suffisamment de ce qui a déjà été divulgué. Par ailleurs, un dessin ou modèle ne sera pas valable si la totalité de ses caractéristiques est exclusivement dictée par une fonction technique.
De façon générale, il est fortement recommandé de réaliser le dépôt avant toute divulgation, même si dans un grand nombre de pays, dont la Chine ne fait par exemple pas partie, il restera possible de déposer quelques mois après avoir divulgué sa création. Autre élément notable, certaines juridictions permettent de conserver le modèle secret après son dépôt, via un ajournement de sa publication. La mise sur pied d’une stratégie de dépôt est ici essentielle et l’assistance d’experts, vivement recommandée. Enfin, il faut préciser que ce bref aperçu du droit des dessins et modèle est présenté depuis une perspective européenne ; dès lors que l’on sort de l’Union européenne, les systèmes législatifs et la pratique de chaque juridiction varient sur bien des points, ce qui peut parsemer la voie de chausse-trappes.

Se poser les bonnes questions au bon moment

Que l’on envisage le droit d’auteur ou celui des dessins et modèles, quelques précautions doivent devenir des réflexes préalables. Parmi les questions à se poser en droit d’auteur, outre celle du contenu de la création, celles de sa datation et de la titularité des droits qui lui sont attachés sont primordiales ; la problématique dépendra du processus de création et du rôle des différents intervenants et la solution reposera sur une bonne conservation de la preuve et une parfaite administration des contrats. En outre, il sera opportun d’archiver les « mood boards » (c’est-à-dire les planches de tendances et sources d’inspiration) dans la perspective d’éventuels litiges : cela pourra permettre à un conseil ou un avocat d’exposer, le moment venu, la démarche créative dans un langage juridique.
Côté dessins et modèles, avant d’envisager le lancement d’un nouveau produit, il sera prudent de procéder à une recherche de liberté d’exploitation. En tout état de cause, avant tout dépôt, quelques questions essentielles doivent être abordées :

  • Qui a créé le modèle ? La titularité des droits d’auteur est-elle en adéquation avec l’identification du déposant du dessin ou modèle ?
  • L’aspect du produit a-t-il été divulgué et, le cas échéant, par qui et quand ?
  • À l’inverse, faut-il requérir l’ajournement pour conserver l’aspect du produit confidentiel ?
  • Dans quels pays faut-il déposer et où prioritairement ?

Toutes ces questions, votre conseil habituel vous aidera à vous les poser et à y répondre.

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Rédaction : Guillaume Vermander, Frédéric Glaize, Conseils en Propriété Industrielle – Associés Plasseraud IP

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